Lorsqu'on regarde la télévision qui suit minute après minute ce qui se déroule sur l'ensemble du territoire libanais, on voit parfois les bombardements en direct et je peux dire à Nayla : « Attention, on va entendre le bruit... » Et quelques secondes plus tard, c'est le « boum » qui ébranle les murs... mais on s'y est préparées!
- C'est ça la guerre, Nayla, tu vois, c'est triste. Il y a des destructions, des gens qui perdent leur vie, leur maison, leur travail, tout...
- C'est vrai, Maman, c'est ça la guerre?
- Ben, oui, Nayla, qu'est-ce que tu croyais que c'était?!
- Je croyais que c'était comme dans mon livre d'histoire, tu sais, quand ils se rencontrent dans les champs de bataille et se battent avec des lances, des arcs et des épées.
- ... Euh, tu sais, cela a bien changé maintenant!!
Et je me suis rendu compte que le mot « barbarie » convenait mieux à ce genre de bataille où l'ennemi n'est pas visible, mais a le pouvoir de vous réduire en cendres en quelques minutes et de faire des milliards et des milliards de dégâts en quelques jours sans compter les conséquences à long terme.
Emplettes en temps de guerre
Ce matin, nous sommes allées acheter de la lessive, du café, des biscuits et des petits fromages pour les femmes en prison, à l'épicerie du coin de la rue, où nous allons souvent nous approvisionner. Il n'y avait ni électricité ni générateur et on a fait les achats dans la pénombre. Les étalages étaient à moitié vides et j'ai eu honte d'acheter autant à la fois. Je me suis empressée de dire que c'était pour les femmes en prison... Puis, plus tard, nous nous sommes arrêtées dans une boulangerie pour acheter un croissant pour Nayla et, là, j'ai eu honte de n'acheter qu'un croissant, alors que les gens demandaient plusieurs sacs de pain libanais à la fois ou des petits pains par quinzaines... (Je suis plutôt du genre cigale... mais j'ai acheté un sac de pain, 6 petits pains et encore un pain spécial... ce qui était parfaitement ridicule, car avec le peu d'électricité qu'on a, on ne peut congeler correctement!)
" Liban Lait" a été bombardé aujourd'hui ainsi que les ports de Beyrouth, de Tripoli et de Jounieh. Les ponts, les routes, les réserves de gaz et d'essence, des quartiers entiers à Beyrouth, Tyr et Baalbeck ont été détruits. La main-d’oeuvre syrienne en particulier est partie en masse et l'agriculture manque cruellement de bras pour cueillir, mettre dans les caisses et porter les fruits et les légumes. Les déplacements sont très difficiles et l'approvisionnement de la capitale est de plus en plus compromis.
Une employée sur le départ
Hier, dimanche, nous (Agnès et moi) avons dit au revoir à notre employée du dispensaire que nous avons rencontrée avec 11 membres de sa famille (dans une seule petite voiture!!) sur l'autoroute allant en Syrie via Tripoli. Ils ont essayé de rester dans leur cabane le plus longtemps possible, mais les bombardements étaient trop bruyants et le quartier où se trouvent l'école et le dispensaire est pratiquement vidé de ses habitants. Nous lui avons donné un mois de salaire et nous nous sommes quittés dans les larmes après avoir prié ensemble. Elle est Libanaise chiite et son mari est Palestinien sunnite. Ils ont 4 enfants.
Ce matin, avec Nayla, nous sommes allées dans le quartier de l'école et du dispensaire et nous avons trouvé le quartier presque vide. Il ne restait que des chats, des chèvres et des ordures (cf. la photo, les cabanes fermées à l'arrière-plan et quelques hommes dans la rue dans le rétroviseur de ma voiture). Les ordures sont une autre conséquence de la guerre à gérer au plus vite et on recommence à brûler les poubelles sur place. Agnès a pu aussi aller vider le dispensaire et mettre les médicaments et d’autres matériels en lieu sûr.
Nayla, un rayon de lumière dans la prison
Nous nous sommes retrouvées toutes les trois devant la prison et je me demandais s'ils allaient laisser entrer Nayla. Et bien, c'est comme si elle avait été transparente... Pas une question, pas une remarque, alors qu'ils ouvraient jusqu'au dentifrice ces derniers mois et qu'on passait une demi-heure à être fouillés! Une fois à l'intérieur, les femmes étaient très avides de renseignements sur la guerre. Elles sont anxieuses. Les bombardements sont proches. Plus personne ne vient leur rendre visite. Elles manquent de tout et leur enfermement est plus dur dans ces conditions.
Nayla semblait très à l'aise, pleine de compassion pour ces femmes. Puis elle a disparu dans une autre cellule, la plus grande où s'entassent une trentaine d'étrangères. Au bout d'un moment, je vais voir ce qu'est devenue ma fille, pensant qu'elle doit se sentir à l'étroit dans une cellule où il fait très chaud, où les odeurs sont difficilement supportables vu les conditions et où elle ne peut communiquer qu'avec difficultés. A ma grande surprise, je constate qu'elle a organisé un jeu assez difficile que j'avais joué avec les enfants de l'Eglise, dimanche il y a 10 jours. Elle mène très bien son affaire. Elle a mis les femmes en cercle autour d'elle, a fait un ballon avec des chiffons et dirige son jeu avec courage et détermination. J'en suis bouche bée et... très fière de ma fille, qui, par ailleurs, a tellement lutté sur le plan scolaire cette année, sa dyslexie rendant tout plus difficile.
Prier, chanter, intercéder
L'Eglise se retrouve chaque jour à 16 h pour prier, chanter et intercéder pour le Liban. Les écoles sont ouvertes pour les réfugiés ainsi que les mosquées et les églises. La solidarité est importante. Dimanche passé néanmoins, comme l'église où nous nous rendons se trouve dans un endroit trop dangereux, la communauté a dû se séparer en deux : une partie à Beyrouth dans une maison et une autre à Mansourieh(dans la banlieue est de Beyrouth) où plusieurs d'entre nous habitent.
Le camp qui aurait dû avoir lieu la semaine prochaine est annulé, bien sûr.
Les Accad vont le mieux possible. Comme pour beaucoup de gens qui ont vécu les horreurs de la guerre civile, c'est dur de se retrouver avec des souvenirs qui reviennent en force et qui sont difficiles.
Nayla a des copines libanaises dans l'immeuble, qui seraient parties dans la montagne, dans leur village d'origine pour « estiver », si la guerre ne les retenait à la maison. C'est sympa pour ces 4 filles, entre 10 et 12 ans, de pouvoir passer du temps ensemble, à oublier la guerre...
Communiquer en ces circonstances est très précieux, espérons que c'est un privilège que nous ne perdrons pas!
Catherine Mourtada