La place de l’homme face à la nature est paradoxale. D’un côté, nous avons une grande maîtrise sur le monde qui nous entoure, et il peut nous sembler que cette maîtrise ne fait qu’augmenter, qu’elle n’aura pas de limite. D’un autre côté, nous restons vulnérables ; un soubresaut de l’écorce terrestre peut anéantir des vies par milliers et des décennies de travail humain ; des virus et bactéries infimes peuvent nous faire passer de vie à trépas, et quels que soient nos efforts, nous ne pouvons pas reculer indéfiniment le jour de notre mort. Avec le deuxième chapitre de la lettre aux Hébreux, nous pouvons voir une réflexion inspirée sur la place de l’humanité dans le monde, et sur la manière dont Jésus, son incarnation et sa mort répondent au dilemme de notre situation.
Une promesse d’autorité
Dans son premier chapitre, l’auteur de la lettre aux Hébreux a établi que Jésus était infiniment supérieur aux anges, en tant que Fils premier-né de Dieu. Il avait terminé ce sujet en soulignant que les anges sont envoyés pour servir ceux qui vont hériter du salut. Après une parenthèse, il reprend avec une proposition choc : le monde à venir n’a pas été soumis aux anges, mais, sous-entend-il, à l’humanité (Hé 2.5). Il étaye immédiatement cette idée avec une citation du Psaume 8, qui dit que l’être humain a été fait pour peu de temps (ou « de peu », selon les choix de traduction) inférieur aux anges, et que Dieu lui a soumis toutes choses. Le psaume lui-même reprenait des idées présentes dans le récit de la création, où Dieu ordonne à l’homme de soumettre toute la terre. Voilà un point de départ : la destinée de l’humanité est entre autres de régner sur la création.
Echec et accomplissement
A ce moment, notre auteur souligne une tension : nous ne voyons pas toutes choses soumises à l’homme. Cette destinée est promise et affirmée par l’Ecriture, mais notre expérience de la réalité ne rejoint pas cette promesse. Ayant mis le doigt sur le problème, l’auteur dirige les regards vers Jésus : lui a été fait pour un peu de temps inférieur aux anges, et est maintenant couronné de gloire et d’honneur. En Jésus, Dieu fait homme, la destinée glorieuse de l’humanité est accomplie. Mais l’auteur ne s’arrête pas là, le dessein de Dieu n’est pas « seulement » de donner gloire, honneur et domination à Jésus. Il est encore de dire que Dieu voulait « conduire un grand nombre de fils à la gloire » (2.10). Jésus ne veut pas entrer seul dans la gloire divine, mais nous y entraîner avec lui. L’auteur va encore montrer comment l’incarnation et la mort de Jésus étaient nécessaires pour accomplir ce projet de Dieu de mettre l’humanité à la tête de la création et de l’amener dans sa présence glorieuse. Ce faisant, il donnera aussi un éclairage supplémentaire sur la situation de l’être humain sans Christ.
La crainte de la mort
La lettre déclare en effet que, par sa mort, Jésus est venu rendre impuissant celui qui avait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable, et libérer ceux qui étaient tenus dans la captivité toute leur vie par la crainte de la mort (2.14-15). Non seulement l’humanité ne règne pas sur le monde, mais elle est tenue captive par le diable au moyen de la peur de la mort. Et nous pouvons le voir : la peur de la mort est un moteur puissant. L’humanité rêve de ne plus mourir, et certains sont prêts à mettre les moyens, tous les moyens, pour y parvenir. On repousse les limites de la technique, et peut-être aussi de l’éthique, dans l’espoir de dépasser la mort. Il est par ailleurs normal que l’humanité exècre la mort ; nous n’avons pas été créés pour la mort, mais c’est une conséquence de la rébellion contre Dieu. Comme Paul l’écrit, « l'aiguillon de la mort, c'est le péché » (1 Cor 15.56), et « le salaire du péché, c'est la mort » (Rm 6.23). C’est à cause de notre péché, c’est-à-dire de notre attitude de désobéissance vis-à-vis de Dieu et de nos mauvaises actions, que nous sommes exposés à la mort. La mort est un jugement contre notre corruption morale, et elle annonce le jugement, encore plus terrible, que nous méritons devant le trône de Dieu. L’humanité rebelle risque la mort éternelle, l’enfer, l’éternité hors de la communion avec Dieu. Le diable profite de notre culpabilité, de notre éloignement de Dieu et de notre peur de la mort pour nous garder captifs.
L’incarnation pour nous sauver
La lettre insiste sur le fait que Jésus est devenu un homme comme nous, qu’il a eu une chair humaine comme la nôtre, qu’il a eu le même sang que nous dans ses veines. Il l’a fait pour nous délivrer par sa mort. C’est l’humanité qui s’est révoltée et qui agit mal, il fallait que ce soit un être humain qui en paye le prix. En Jésus, Dieu s’est fait homme, il est devenu un être humain, parfaitement saint et exempt de culpabilité. Il est mort en prenant sur lui la sanction que mérite la révolte. Par là, il peut nous libérer de toute culpabilité, ce qui nous permet d’être en communion avec Dieu, d’être dans la présence glorieuse de Dieu sans tomber sous le coup du jugement. Par ses souffrances, Jésus a été qualifié pour être celui qui nous sanctifie, celui qui nous permet d’être dignes de la présence de Dieu (2.10). Grâce à lui, notre mort n’est plus un jugement et un signe du jugement dernier, mais pour ceux qui mettent leur foi en Jésus, mourir veut dire rejoindre Jésus dans la présence glorieuse de Dieu. Il nous est même promis que nous régnerons avec lui (2 Tim 2.12) ; par lui nous accomplirons la destinée de l’humanité qui avait été compromise par la rébellion de l’humanité, entraînant sa mort et son asservissement.
Jésus, plein de compréhension
Ce chapitre souligne encore une conséquence de l’incarnation et des souffrances de Jésus : comme il a été rendu semblable à nous en toutes choses, il peut être fidèle et plein de compassion (Hé 2.17-18). Il a été exposé à la souffrance et à la tentation, sans jamais pécher (Hé 4.15), de sorte qu’il peut nous comprendre, nous entendre et nous venir en aide. Lorsque nous sommes dans la souffrance et dans la peine, lorsque la mort approche ou frappe, nous pouvons crier à Jésus qui nous comprend. Nous ne prions pas une divinité lointaine, éloignée de notre expérience, de notre faiblesse et de nos souffrances. Nous faisons appel à un Dieu qui a connu une existence humaine, jusque dans les bas-fonds de la faiblesse, du rejet, et même de la torture. Le Jésus qui règne sur toute chose est le même Jésus qui a souffert, pleuré, crié, saigné ; il peut nous accompagner, nous comprendre et nous venir en aide quoi que nous vivions.
Une démarche apologétique
Pour conclure, je voudrais encore souligner que dans ce chapitre, l’auteur montre une véritable démarche apologétique, une attention à présenter le message du salut en tenant compte de l’expérience humaine présente. Il commence par identifier un point de tension entre la destinée de l’humanité, selon le plan de Dieu, et la réalité de la vie dans ce monde. Et cette tension est aussi une tension entre nos aspirations profondes et notre condition présente. Il montre ensuite comment Jésus-Christ répond à cette tension. Cela lui donne l’occasion, d’une part, de dire davantage sur ce qui cause la situation déplorable de l’humanité (l’asservissement au diable par la peur de la mort) et, d’autre part, de présenter le salut par la mort de Jésus. Il n’oublie pas de montrer comment ce salut accomplit l’aspiration initiale qu’il identifiait. Et il ne manque pas de souligner les conséquences pratiques dans la vie du croyant de ce qu’il a montré sur l’incarnation et les souffrances de Jésus. Voilà une démarche qui peut nous inspirer également !