Simonetta Sommaruga : « Dans la lutte contre la traite des êtres humains, nous avons besoin de la politique, de la société civile et des Eglises ! »

Journée StopPauvreté 2013: Peter Seeberger et Simonetta Sommaruga
Journée StopPauvreté 2013: Peter Seeberger et Simonetta Sommaruga
dimanche 03 novembre 2013

« Stop à la traite des êtres humains » a connu un grand succès. La journée annuelle de StopPauvreté a permis d’entendre non seulement ce que la Confédération met en place pour lutter contre cet esclavage moderne, mais aussi des personnalités du milieu évangélique, qui crèvent l’écran dans leur lutte contre ce trafic.

« Je sens ici un énorme engagement pour lutter contre la traite des êtres humains », relève la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, peu après son intervention lors de la plénière de la journée annuelle de StopPauvreté le samedi 2 novembre à Berne. Devant 500 personnes, le jurassien Philippe Decourroux, auteur du clip Les filles de l’Est, a ouvert la journée avec sa chanson : A contre courant. Pierre Tami, fondateur de l’ONG Hagar, a ensuite expliqué qu’il importait de donner du travail aux femmes victimes du trafic d’êtres humains dans des pays comme le Cambodge ou le Vietnam.

Une conseillère fédérale engagée personnellement
Simonetta Sommaruga a ensuite répondu aux questions de Peter Seeberger, le directeur national de StopPauvreté 2015. Elle a tout d’abord souligné que la traite des êtres humains existait en Suisse. « Beaucoup de gens pensent que la traite c’est au Cambodge ou en Afrique, non ! Cette réalité existe chez nous en Suisse, sous trois formes : l’exploitation sexuelle, le travail forcé et le prélèvement d’organes. » Elle a aussi saisi l’occasion de faire le bilan de son Plan d’action national contre la traite d’êtres humains. Sensibilisée à cette question dans le cadre d’un cercle d’amis avant son entrée au Conseil fédéral, elle a pris à bras-le-corps cette question, une fois à la tête du Département fédéral de justice et police. Elle s’est rendue sur le terrain à Zurich et en Roumanie pour découvrir les réalités concrètes de cet esclavage moderne. Aujourd’hui, quelques personnes ont été condamnées pour un tel trafic. « De telles condamnations devraient se multiplier grâce à la création dans de nombreux cantons de tables rondes entre différents intervenants : police, association de femmes, médecins… » La mise en place depuis le début de l’année d’un programme de protection des témoins devrait faciliter les choses et permettre à des femmes qui acceptent de dénoncer leurs bourreaux d’échapper à des mesures de représailles.

Pierre Tami, entrepreneur social 2005 du WEF
Trois engagements ont particulièrement impressionné les participants à cette journée StopPauvreté. Tout d’abord celui de Pierre Tami, qui, en ouverture de journée, s’est présenté comme un « simple Tessinois », qui a quitté la Suisse au début des années 90 pour le Cambodge, en rêvant d’y apporter de l’aide aux femmes et aux enfants de la rue. En 1994, il fonde Hagar, l’ONG qui concrétise son rêve. Le moyen principal pour ces femmes de recouvrer leur dignité, c’est, pour Pierre Tami, de trouver un job. Pour leur en procurer, il a lancé au Cambodge une entreprise qui propose des petits-déjeuners dans de petits véhicules. Cette entreprise est devenue l’un des plus importants services traiteurs du pays. Au Vietnam, il a ouvert une chaîne de cafés et de boulangerie qui, aujourd’hui, emploie 600 personnes dont la plupart sont des femmes sorties de la prostitution et du trafic d’êtres humains.
« La vie humaine est sacrée, lâche celui qui a été nommé en 2005 entrepreneur social de l’année par le World Economic Forum. Et cette dignité nous vient de Dieu. »

Des piques contre un discours officiel
Devant un parterre d’officiels de la Confédération, le bouillant Tessinois n’a pas sa langue dans sa poche. Il lance quelques piques. « Dans les programmes d’aide à ces femmes, on a tendance à les assimiler à des objets ou à des statistiques. De tels programmes n’apportent aucun changement véritable, sinon des rapports et des rapports sur les rapports ! Pour que ces femmes puissent vraiment quitter leur situation, il faut un cœur à cœur. Il faut partager avec elle l’obscurité de leur être intérieur et leur permettre de rebondir. »
Pierre Tami lance aussi une pique contre certaines formules des Objectifs du Millénaire contre le développement. « Pourquoi parler de réduction de la pauvreté ? Non ! Il s’agit de créer de la richesse. Il importe de donner une chance à ces femmes de devenir des être humains comme vous et moi. Ce ne sont pas des morceaux de chair, mais des personnes qui ont la possibilité de créer et de développer leur pouvoir économique. »
En final, le Tessinois invite les jeunes Suisses bien éduqués à faire preuve de courage et à se lever pour aller vers ces victimes du trafic d’êtres humains. Il termine en citant une jeune femme décédée trop tôt, sur le livre de bord de laquelle a été trouvée la citation suivante : « Ne gaspille pas ton existence pour des choses que la vie va emporter ! »

A deux comme pasteurs de rue
L’engagement d’un couple a aussi impressionné. Peter et Dorthee Widmer travaillent en binôme comme pasteurs de rue dans le « Kreis 4 », un quartier chaud de Zurich. Lors de leur atelier l’après-midi, ce couple très looké – elle en blonde décolorée et mini-jupe, lui une casquette vissée à l’envers sur la tête et pantalon clouté – a souligné que, pour aider les victimes de la traite ou de la prostitution, il fallait vraiment se plonger dans ce milieu, sous peine de ne rien voir du tout. Brandissant un caméléon en plastic, Peter Widmer a souligné que les capacités d’adaptation du milieu de la prostitution à l’environnement légal ou social étaient très grandes. Pour lui, l’aide à apporter à de telles femmes se fait sur le long terme. Il faut créer la confiance au travers de relations qui s’inscrivent dans la durée. Leur association, Heartwings, donne des cours de langue, traduit certains papiers, cherche des places de travail… Puis, après une période que Peter estime à une année et demie, la femme peut être prête à quitter le milieu dans lequel elle a plongé ou dans lequel elle a été plongée.
Le troisième engagement qui a crevé l’écran durant cette journée est celui d’Irène Hirzel, directrice de projet à la Mission chrétienne pour les pays de l’Est (MCE). Cette maman de trois jeunes adultes est au bénéfice d’une expérience de plusieurs années à Bâle dans le milieu de la prostitution. Elle est devenue parmi les évangéliques d’outre-Sarine la personne qui, en milieu évangélique, incarne le non à la traite des êtres humains. Membre du groupe de travail Roumanie-Suisse contre le trafic des êtres humains initié par la Confédération, elle a expliqué dans son intervention du matin comment l’industrie du sexe encourageait le nouvel esclavage de femmes en provenance des pays de l’Est. Elle ne s’est pas gênée non plus d’associer directement le développement de la pornographie en Suisse à celui de la traite des êtres humains.
« J’accepte toutes les formes d’engagements contre le trafic d’êtres humains, a souligné en aparté Simonetta Sommaruga, qu’ils soient motivés par des convictions de foi ou d’ailleurs. Dans une telle lutte, nous avons besoin de la politique, mais aussi de la société civile et des Eglises. »
Serge Carrel

Un article de 24heures online sur la conférence de StopPauvreté : « Le plan d’action contre la traite des êtres humains efficace » (2 novembre 2013).

Les sites des ONG :

  • Encadré 1:

    Peter Seeberger analyse le succès de cette édition de la conférence annuelle de StopPauvreté
    Peter Seeberger est le directeur de la campagne StopPauvreté au plan national. Ce pasteur, ancien envoyé au Burkina Faso, analyse le succès de l’édition 2013 de la conférence annuelle de StopPauvreté.

    A quoi attribuez-vous un tel succès ?
    Au fait que l’on rencontre le trafic des êtres humains devant notre porte, alors que des thèmes que nous avons traités ces dernières années comme la corruption ou l’eau paraissent moins tangibles à nombre d’entre nous. On trouve ici la réaction d’une population concernée, qui voit le problème sous ses fenêtres. Nous commençons à réaliser que la prostitution est liée au trafic d’êtres humains.

    Au vu de cette journée, StopPauvreté apparaît comme un des lieux importants de la conscience sociale des évangéliques suisses. Est-ce aussi quelque chose qui vous frappe ?
    Le fait que notre rayonnement augmente se voit aussi par l’intérêt que des instances de la Confédération comme la DDC (Direction du développement et de la coopération) portent à notre travail.
    De plus en plus, nous voyons un réseau qui se tisse entre les différentes ONG évangéliques. Chacune ne reste plus seule dans son coin. Nous commençons à briser les barrières et nous essayons de collaborer davantage autour de certaines thématiques. Par ailleurs, nous essayons aussi d’intégrer d’autres acteurs : les spécialistes de la Confédération ou des représentants d’ONG particulièrement compétents dans un domaine donné.

    Quel thème allez-vous choisir l’an prochain pour augmenter encore votre assistance ?
    Chaque année, notre objectif est de traiter d’un thème qui est sur l’agenda de la société civile. L’an prochain, nous aborderons le thème de l’écologie, donc de notre style de vie et de notre contribution à la réduction du gaspillage en matière énergétique. C’est aussi quelque chose qui nous concerne directement. En fait, c’est le principe de ces conférences ; nous posons toujours la même question : qu’est-ce que nous pouvons faire en tant que citoyens par rapport à tel ou tel sujet ?
    Propos recueillis par Serge Carrel

  • Encadré 2:

    Le 23 novembre à la Neuveville : une soirée de gala contre la traite des êtres humains
    Le 23 novembre, l’Eglise évangélique de la Neuveville (FREE) et la Paroisse réformée du lieu mettent en place une soirée de gala avec un repas et des représentations de danse en création originale, par l’association « Entre Racine et Envol ». Cette soirée exceptionnelle au Centre des Deux Thielles au Landeron permettra d’entendre le témoignage d’associations comme Heartwings à Zurich, qui luttent contre la traite des êtres humains. L’entrée à la soirée de gala coûte 75 francs. Les bénéfices iront au soutien de ces associations.
    Infos : gala13@romandie.com.

Please publish modules in offcanvas position.