« Ce livre se penche sur ce que nous vivons dans une journée. Il s’intéresse à la foi dans les moments ordinaires, à la formation spirituelle à l’échelle moléculaire… » (1). Tish Harrison Warren est une pasteure anglicane évangélique américaine. Cette femme dans la quarantaine aujourd’hui est l’autrice de deux ouvrages de spiritualité, alertes et vivants (2). Son premier « Liturgie de la vie ordinaire. Pratiques sacrées du quotidien » a été distingué en 2018 comme le livre de l’année par le magazine étasunien « Christianity Today ». Ce livre passe en revue différents moments ou activités qui se déroulent sur une journée : réveil, faire son lit, se brosser les dents, perdre ses clés, manger des restes… Sur 11 chapitres, Tish Harrison Warren réhabilite notre quotidien, avec sa banalité, sa lourdeur et sa monotonie, puis montre que Dieu s’y manifeste. Ces banalités du quotidien peuvent avoir une signification spirituelle forte, alors que souvent nous les vivons comme si Dieu en était absent.
Faire son lit et sortir du chaos
« Aucune tâche n’est trop petite ou trop routinière pour refléter la gloire et la valeur de Dieu », affirme la pasteure anglicane. Pendant longtemps, Tish Harrison Warren considérait que faire son lit le matin était une perte de temps. Durant une période de Carême, elle décide de s’astreindre à cette discipline et découvre l’importance de ce rituel, qui, comme Dieu dans les récits de création de la Genèse, « transforme le chaos en ordre et en beauté ». Sur ce petit endroit bien ordonné, elle prend alors le temps de lire la Bible, de prier le Notre Père ou d’exposer au Seigneur ses soucis. « Nous agissons selon des schémas que nous avons établis au cours du temps, jour après jour, remarque-t-elle. Et ce sont ces habitudes et pratiques qui façonnent nos intérêts et nos désirs mais aussi, en fin de compte, qui nous sommes et qui nous vénérons. »
Pendant longtemps cette femme commençait ses journées avec son smartphone en consultant ses mails et les réseaux sociaux sur lesquels elle était active. Elle relève : « J’avais développé un rituel qui me formait pour un but précis : utiliser la technologie pour me divertir et me stimuler. Malgré la vision du monde que je professais ou la sous-culture chrétienne dont je faisais partie, cette habitude quotidienne jamais remise en question faisait de moi une adoratrice des écrans » (3). En faisant son lit chaque matin, Tish Harrison Warren revoit ses priorités. « En remplaçant ce rituel (du smartphone), souligne-t-elle, j’ai pu me créer une nouvelle habitude contemplative qui m’a orientée vers une autre manière ‘d’être dans le monde’ » (4).
Le sommeil comme parabole de la grâce de Dieu
Le dernier chapitre de « Liturgie de la vie ordinaire » aborde l’ultime moment de nos journées : l’endormissement et le sommeil. Selon Tish Harrison Warren, notre manière d’aller au lit témoigne de « ce que nous aimons, de ce en quoi nous croyons et de ce qui nous limite » (5). Cela se manifeste tout particulièrement lorsque notre sommeil est repoussé par de longues soirées passées devant les écrans à regarder telle ou telle série ou à terminer telle ou telle tâche non accomplie durant la journée. « Que je le veuille ou non, mes habitudes révèlent et façonnent ce que j’aime et qui me tient à cœur » (6).
Par ailleurs, le sommeil dévoile aussi nos limites de créatures, souligne Tish Harrison Warren. Notre besoin de sommeil résonne en nous comme un rappel de notre condition de mortel. Pour cette femme pasteure, céder au sommeil est une confession révolutionnaire : « Nous ne nous suffisons pas à nous-mêmes, nous avons besoin de quelqu’un qui s’occupe de nous » (7). Une parabole puissante de la grâce de Dieu en Jésus-Christ, au cœur de la foi chrétienne !
Une « spiritualité incarnationnelle »
Si l’on s’interroge sur le type de spiritualité que propose Tish Harrison Warren, on peut dire que, selon la typologie que propose Richard Foster dans son livre « Streams of Living Water » (8), cette pasteure anglicane évangélique s’inscrit dans la « tradition incarnationelle ». Pour Richard Foster, l’histoire de la spiritualité chrétienne est traversée par différents courants que l’on peut regrouper autour de différents axes : la tradition contemplative avec sa vie faite de prière, la tradition de sainteté et sa vie vertueuse, la tradition charismatique et sa vie mue par l’Esprit, la tradition de la justice sociale et sa vie compatissante, la tradition évangélique et sa vie centrée sur la Parole, et, enfin, la tradition incarnationnelle qui cherche dans le quotidien à découvrir et à rendre visible la présence de Dieu. La spiritualité proposée tout au long de son livre par Tish Harrison Warren nous invite donc à reprendre les rituels qui marquent notre quotidien et sa liturgie, et à examiner dans quelle mesure ils approfondissent notre enracinement en Dieu et le développement de sa vie en nous.
Serge Carrel
Chargé de la formation d’adultes dans la FREE
Notes
1 Tish Harrison Warren, Liturgie de la vie ordinaire. Pratiques sacrées du quotidien, Charols, Excelsis, 2018, p. 20.
2 Tish Harrison Warren, Liturgie de la vie ordinaire. Pratiques sacrées du quotidien, trad. Marion Marti, Charols, Excelsis, 2018, 176 p. Le second livre : Prier au sein des ténèbres. Pour ceux qui travaillent, veillent ou pleurent dans la nuit, trad. Stéphane Cugnet, Charols, Excelsis, 2022, 216 p.
3 Tish Harrison Warren, Liturgie de la vie ordinaire, p. 29.
4 Ibidem.
5 Ibidem, p. 140.
6 Ibidem, p. 141.
7 Ibidem, p. 146.
8 Richard J. Foster, Streams of Living Water. Celebrating the Great Traditions of Christian Faith, San Francisco, Harper Collins, 2001, 426 p.
