Manfred Engeli a le bonheur à coeur. L’été dernier, ce psychothérapeute bernois a pris un mois pour rédiger en allemand un petit livre : « Makarios, le chemin vers le bonheur ». Pas le énième livre de recettes en 10 points qui vous garantit une félicité extatique, sans rapport avec le quotidien. Non ! A 69 ans, ce docteur en psychologie ne donne pas dans la facilité. Surtout parce qu’il connaît la réalité du malheur. Manfred et son épouse Fleurette ont perdu en 2001 leur troisième enfant. Un fils, pasteur, emporté à 30 ans par un cancer.
D’abord relationnel
« Dieu veut nous enseigner l’art d’être heureux ! » C’est la conviction fondamentale qui traverse le livre de Manfred Engeli. Une affirmation que le psychothérapeute a aussi faite sienne pendant 25 ans, alors qu’à Berne il accompagnait des individus et des couples en thérapie.
Le chemin du bonheur, l’expérience « makarios » (« heureux » en grec), comme aime l’appeler Manfred Engeli, ne passe pas par la consommation de biens matériels. « Notre soif d’acquisitions ne s’étanche jamais ! » constate-t-il. Le bonheur dans une perspective chrétienne est avant tout relationnel : connaître la paix avec Dieu, avec soi-même et avec les autres.
Croire à l’amour de Dieu envers et contre tout
Le chemin du bonheur passe ensuite par la connaissance de la personne de Dieu. En fait, « Dieu veut notre bonheur, parce qu’il nous aime ! » Peu de gens aujourd’hui sont prêts à endosser cette conviction. Pour eux, Dieu est quelqu’un de très lointain. Du fait qu’il nous aime, il devrait nous épargner toute difficulté. « Si nous définissons ainsi l’amour de Dieu, commente Manfred Engeli, alors Dieu n’a pas aimé son Fils en le laissant mourir sur une croix. » Pour le psychothérapeute bernois, Dieu est Amour. Il aime ses créatures et laisse la liberté à l’être humain de faire ses choix. Par ailleurs, il ne supprime pas les difficultés, mais les traverse avec nous et peut les utiliser pour nous faire grandir. Le propos de l’apôtre Paul dans l’épître aux Romains est ainsi tout à fait central : « Nous savons que Dieu travaille en tout pour le bien de ceux qui l’aiment... » (8,28).
« Pendant de très longues années, nous avons vécu une vie de famille sans problème, se rappelle Manfred Engeli. Avec nos 5 enfants, tout se passait bien. Puis en l’espace de trois ans, nous avons vécu une accumulation d’épreuves. » Les médecins découvrent un cancer chez David. Il en décède une année après. Un an plus tard, c’est Manfred Engeli qui apprend qu’il est atteint d’un cancer, sans espoir de rémission selon les médecins. « Au travers de ces tempêtes, nous avons découvert que ce ne sont pas les événements eux-mêmes qui peuvent nous séparer de l’amour de Dieu, mais nos questions et notre interprétation de ce qui nous arrive. » En fait pour le psychothérapeute bernois, nous n’avons jamais de réponse à nos pourquoi. Au coeur de nos tempêtes, il y a une autre question à se poser. Une question beaucoup plus féconde : dans quel but cela nous arrive-t-il ?
Dire oui à ce qui arrive
« Ce qui a primé durant la maladie de notre fils, ce fut de vivre honnêtement la réalité présente avec les émotions qui étaient là, avec la foi que nous avions aussi que Dieu peut guérir... » La confiance dans l’affirmation que Dieu est Amour a habité ce psychothérapeute. Il pouvait dire oui à ce qui arrivait, tout en souffrant. Il pouvait dire à Dieu : « Je n’aimerais pas que ma réalité ressemble à cela, mais j’accepte que cela soit la réalité... »
Pour Manfred Engeli, ce fut la meilleure manière de vivre ce départ. « Nous avons eu des contacts très intenses les uns avec les autres au sein de la famille, se rappelle-t-il. Nos temps d’échange et de partage étaient très profonds et très personnels. » Au bout de cette épreuve, il y a eu la souffrance de la séparation, mais aussi la paix. « Oui, David nous manque. Mais nous avons la paix ! Nous pouvons même dire que, par rapport à ce décès, nous vivons l’expérience « makarios ». Nous sommes en paix ! »
Jésus, le « makarios » par excellence
Pour Manfred Engeli, toute réflexion chrétienne sur le bonheur ne peut faire l’économie de Jésus. L’homme de Nazareth donne un contour particulier à l’expérience « makarios ». Au travers de ce qu’il a dit et fait, il propose un bonheur en rupture avec celui qu’envisagent les foules de son temps et les foules d’aujourd’hui. Dans le Sermon sur la montagne, il appelle « heureux » les pauvres, les tristes, les persécutés... autant de personnes qui ne font pas de la foi une assurance contre le malheur et qui ne cherchent pas à éviter la souffrance (Mt 5, 3-12).
Tout cela, Jésus l’a vécu et ressenti lui-même. Dans chacune de ces situations, il se qualifie aussi d’heureux, parce qu’il goûte dans le même temps à la paix de son Père. « Ce qui est extraordinaire lorsqu’on parcourt les évangiles, ajoute Manfred Engeli, c’est que Jésus est véritablement ancré dans l’amour du Père. » Pour le psychothérapeute bernois, il y a là un secret : celui de la liberté ! « Dans tout ce qu’il vit, Jésus reste libre face aux humains qui l’entourent. Il ne leur doit rien et il est libre d’accueillir la vie comme elle se donne. »
Serge Carrel
Cet article est paru une première fois dans "Le Christianisme aujourd'hui" de janvier 2007 (http://www.christianismeaujourdhui.info/).