A l’aube du lancement des commémorations qui marquent les 500 ans de la Réforme, une pétition circule sur le net avec plus de 5000 signatures au compteur. Elle demande l’extraction d’une pierre « antisémite » à l’angle sud-est de la Stadtkirche (l’Eglise de la ville) de Wittenberg, l’édifice communément surnommé « l’Eglise mère de la Réforme ». C’est dans cette église que Luther a abondamment prêché, qu’il s’est marié et qu’il a fait baptiser ses 6 enfants.
Un rabbin qui ausculte l’arrière-train d’une truie
Ce bas-relief situé à 4 mètres du sol montre une truie qui offre ses mamelles à deux enfants juifs et dont l’arrière-train est examiné par un personnage vêtu comme un rabbin, devant lequel on discerne un Talmud. Au-dessus de cette sculpture, un texte : « Rabini Shem Hamphoras » (« Le nom prééminent – le nom de Dieu – du rabbin). Cette pierre a été mise là au début du XIVe siècle, soit plus de 200 ans avant l’émergence de la Réforme et de Martin Luther, dont certains ouvrages, à la fin de sa vie, renferment des relents antisémites nauséabonds.
Parmi les initiateurs de cette pétition, Richard Harvey, un juif messianique anglais, dont la famille a des origines allemandes. Son but : utiliser les commémorations des 500 ans de la Réforme pour « enlever cette pierre et la remplacer par quelque chose honorant davantage le Dieu d’Israël, respectueux du peuple juif et conférant de la dignité à un lieu de culte chrétien, au lieu de conserver une pierre qui véhicule des relents déplacés, obscènes, insultants, offensants, diffamatoires, blasphémateurs, antisémites et incendiaires » (selon le texte de la pétition).
D’autres personnalités du monde évangélique allemand se font les avocats de cette pétition : Joela Krüger, membre de la communauté des sœurs de Darmstadt, et le pasteur Henning Dobers, président du Renouveau spirituel communautaire dans l’Eglise protestante allemande (EKD). Dans une prise de position sur idea.de, ce dernier relève que si une église allemande avait affiché une croix gammée au sortir de la Seconde Guerre mondiale, cela ferait longtemps qu’elle aurait été effacée !
Supprimer la pierre : « Trop simple ! »
Du côté des responsables de la fondation qui gère les édifices luthériens de Saxe-Anhalt, on souhaite le statu quo. Stefan Rhein, le président de cette fondation, plaide sur le site idea.de pour le maintien de cette pierre. « On ne purifie pas l’histoire, argumente-t-il. Même si on ôtait cette pierre, la blessure resterait. A Wittenberg, nous devons vivre avec notre histoire. La ‘truie des Juifs’ de la Stadtkirche appartient à celle-ci ! » Pour Stefan Rhein, ce qui est décisif, c’est la manière dont on parle de l’histoire. L’installation en 1988 d’une plaque posée au sol et rendant attentif à la dimension antisémite de cette pierre permet de rappeler la culpabilité des Allemands à l’endroit des Juifs et de faire pénitence. « Eloigner la ‘truie des Juifs’ serait trop simple. Cela viendrait à rendre invisible notre culpabilité et à arracher simplement notre épine dans la chair. Cette blessure doit rester, afin que nous demeurions conscients de notre culpabilité. »
Cette pétition dotée de 5000 signatures a déjà été présentée aux responsables de la Stadtkirche de Wittenberg. Pour Richard Harvey, elle va rester ouverte « jusqu’à ce que la pierre ‘à la truie des Juifs’soit déplacée ou qu’un engagement soit pris dans ce sens ». Ce qui est important pour lui, c’est que cette démarche permette de corriger de nombreuses idées fausses sur les Juifs. « Nous ne souhaitons pas la destruction de cet objet, mais une meilleure manière d’y répondre. L’enlever d’un lieu de culte chrétien permettra d’arrêter d’offenser la décence commune ! »
Serge Carrel de retour de Wittenberg
Réagissez au commentaire: « Wittenberg : la pierre à la ‘truie des Juifs’ au musée ! » par Serge Carrel.