Au seuil de l'adolescence, son avenir était déjà compromis: échec scolaire, mauvaises rencontres, mauvaises habitudes... elle serait devenue ce que l'on appelle pudiquement une «marginale». Quelques années plus tard, elle arrive au bout de sa scolarité obligatoire et peut commencer un apprentissage. Entre deux, le Kinderheimat (1) Tabor lui a rendu un avenir.
Fondé en 1921 et situé à Aeschi sur Spiez, le Kinderheimat Tabor accueille des jeunes en âge scolaire, issus de familles monoparentales ou victimes de dysfonctionnements. Il leur procure un entourage affectif, éducatif et scolaire qui leur permet généralement de renouer avec un avenir.
Ce lieu a été voulu par des chrétiens des Eglises évangéliques libres (Freie Evangelische Gemeinden, FEG) de Berne, Gümligen et Münsingen. Interpellés par les difficultés des familles monoparentales de l'époque – particulièrement en matière de finances et d'éducation –, ainsi que par les dégâts dus à l'alcoolisme, ils ont décidé que leurs communautés devaient s'engager concrètement en faveur de la société. Aujourd'hui, le Kinderheimat Tabor fonctionne de manière autonome, mais il est rattaché à la Fédération des Eglises libres de Suisse allemande (Bund FEG).
Un encadrement personnalisé
A l'origine, la maison était dirigée par une diaconesse et n'accueillait que de jeunes enfants. Mais rapidement, la présence d'un homme a été jugée indispensable. Nonante ans plus tard, l'encadrement est généreux, puisque les 35 enfants accueillis sont encadrés par 45 collaborateurs, remplissant 30 postes à plein temps.
Les enfants qui viennent au Tabor, généralement envoyés par les services sociaux du canton de Berne, proviennent souvent de familles dans lesquelles il n'y a pas de père. Ils souffrent de difficultés sociales, intellectuelles, psychologiques, voire psychiatriques. Parmi eux, certains ont développé des addictions au virtuel – internet, jeux vidéo, télévision. Pour les aider, l'œuvre a mis en place une structure personnalisée. Ainsi, les classes de l'école ne comptent jamais plus d'une dizaine d'enfants. Chaque enfant est suivi par un éducateur de référence, il a sa propre chambre qu'il peut décorer comme il le veut et il vit dans une petite structure à caractère familial.
Cette structure de base est complétée par des activités permettant aux enfants en échec scolaire de réussir ailleurs. Ainsi, ceux-ci participent à l'entretien du jardin potager. Ils prennent soin d'animaux dans une ferme voisine. Ils peuvent recevoir des cours de musique. Ces activités permettent de développer en eux le sens des responsabilités, ainsi que la joie du travail et de l'apprentissage. Lorsque cela est désiré, Tabor offre également les services d'un coach aux familles des enfants placés. Et, en fin de prise en charge, il se fait un honneur de trouver à chaque jeune un lieu d'apprentissage ou d'étude, voire de vie.
Thérapeute formé en gestion de structures d'accueil, Urs Klingelhöfer dirige la maison depuis 17 ans. Ce qui le motive après tout ce temps: « Dieu a placé de la valeur et un potentiel dans chaque personne. Je désire que les jeunes qui n'en sont pas conscients le découvrent. Qu'ils sachent que Dieu les aime, qu'ils ont un potentiel et de la valeur. » De même, les 50 collaborateurs du Tabor doivent montrer un engagement chrétien clair. De sensibilités ecclésiales diverses, ils sont tous engagés dans des communautés membres de l'Alliance évangélique.
Des chrétiens, mais pas de religiosité
« Le Tabor est une œuvre sociale et non une mission d'évangélisation, rappelle Urs Klingelhöfer. Mais le Christ n'est pas neutre. Et lorsque nous vivons notre foi au quotidien, nous n'avons pas besoin d'évangéliser en paroles pour être porteurs de la force et de l'espérance de Jésus-Christ. Je ne veux pas de religiosité dans l'établissement, mais une équipe formée de bons professionnels qui travaillent dans la dépendance du Christ. Cela dit, le dimanche matin, les enfants qui se trouvent au Tabor ont la possibilité de venir écouter une histoire biblique. »
Le Tabor n'évangélise par, mais il fait un travail reconnu par le canton de Berne qui lui envoie des enfants et le subventionne en bonne partie – le reste du financement étant couvert par des dons. « Notre canton est bienveillant envers les œuvres motivées par des convictions religieuses ou philosophiques, se réjouit le directeur. Il nous donne donc une pleine liberté de travailler au nom de notre foi, pourvu que nous respections les règles qu'il impose en matière de déontologie et de qualité de travail. Et puis, le travail diaconal est une tradition encore bien implantée dans notre région. »
Pour Urs Klingelhöfer, les chrétiens qui ont pris le risque de fonder le Kinderheimat Tabor sont encore aujourd'hui des exemples. Ils avaient compris que l'engagement social découle naturellement de la foi, si celle-ci est cohérente.
Claude-Alain Baehler
Note
1 Kinderheimat = lieu destiné aux enfants, dans lequel ils se sentent comme à la maison.