Antioche sur Californie, le nouvel horizon de la présence de l’Eglise dans le monde, par Henri Bacher

jeudi 23 avril 2009

Avec ce premier article, Henri Bacher se lance à nouveau dans ses réflexions favorites sur les changements culturo-spirituels dans l'Eglise. D'autres vont suivre, notamment sur les natifs et immigrés dans le monde du numérique et sur les tendances ecclésiastiques en voie de développement.

L'incarnation est un mot-clé dans l'expérience chrétienne, particulièrement lorsqu'il s'agit du message. Le Christ s'est aussi incarné dans une culture, celle des juifs. Le christianisme a pu se répandre parce que des théologiens et des missionnaires comme Paul ont accepté de laisser tomber, en quelque sorte, la culture juive pour adapter leur message au monde grec. Le monde était, à cette époque, en train de basculer et le grand apôtre des païens n'a pas fêté les 500 ans de la naissance du prophète Esaïe (1) pensant que ça servirait à revigorer la foi de ses contemporains. Non, il a lancé une révolution copernicienne en ne prenant plus Jérusalem comme centre de la spiritualité chrétienne. Au fil des années et des siècles, le développement des disciples du Christ a suivi non seulement les évolutions politiques, mais aussi les avancées technologiques. Les chrétiens ont souvent été des avant-gardistes. Aujourd'hui, on les appelle des « geeks », des passionnés de nouveautés technologiques, des découvreurs de nouvelles manières de communiquer, des explorateurs de nouveaux espaces de socialisation. Si les Eglises semblent aujourd'hui à la traîne, c'est qu'une bonne partie de la Suisse a tendance à se retirer dans sa coquille. Elles se révèlent donc tributaires de leur environnement.

Les voies romaines, la toile du temps de Paul
Paul a utilisé le réseau des voies romaines et la langue grecque pour diffuser l'Evangile. Ce réseau ressemble à s'y méprendre à nos réseaux électroniques actuels. Antioche était un nœud important de communication dans le système des échanges romains. La langue du réseau était le grec, et l'araméen que Jésus parlait, n'aurait servi à rien. Ce ne sont pas les disciples directs du Christ, comme Pierre, qui ont investi ce réseau romain, ce sont des gens comme Paul. Des « pluriculturels », des « résoteurs », des explorateurs.
Plus tard, les centres comme Antioche se sont déplacés vers « l'ouest » : Constantinople, Rome, Wittenberg ou Genève, l'Angleterre, la côte est du continent américain avec les pères fondateurs des Etats-Unis et aujourd'hui la côte ouest avec la Silicon Valley. Demain, le nouveau centre du monde sera peut-être chinois. Toujours plus à l'ouest selon les dires de Jacques Attali (2). Cet auteur parle surtout de développement économique lié à des découvertes comme le gouvernail, les lettres de crédits, etc. Toutefois il est intéressant de constater que les centres d'influence des chrétiens ont suivi ces pôles économiques. Ce constat est indéniable : le moteur actuel du christianisme se trouve aux Etats-Unis, tant du point financier que du point de vue spirituel. De là à dire que le christianisme est aussi lié à l'économique me paraît un peu exagéré, mais n'empêche que cette question devrait nous titiller. Du temps de la Réforme, Genève était une importante ville de foire connue dans toute l'Europe et les banquiers y jouaient un rôle important.
Donc, pour résumer, comme chrétien nous devons investir les centres de pouvoir, mais aussi entrer dans les techniques de communication et les « philosophies » qui s'y rattachent. La Réforme a utilisé à fond le levier technologique de l'imprimerie, mais elle a aussi puisé dans l'humanisme qui n'était pas à proprement parlé un mouvement spirituel.

En Eglise, expérimenter le « toujours plus à l’ouest »
Aujourd'hui les gens se trouvent mentalement, mais aussi d'une manière virtuelle sur la côte ouest des Etats-Unis entre Google, Twitter, Facebook, Seesmic, Youtube, Dailymotion, Iphone et Androïd. Si les chrétiens ne laissent pas tomber le monde des imprimeurs et celui de l'approche scolaire de la foi, ils perdront le fil de leur histoire. Dans nos Eglises on soutient plus facilement des librairies que des télévisions. On organise encore des bibliothèques de prêt au lieu de gamberger sur Facebook. Notre élite est formée à « Genève » et « Wittenberg » au lieu d'expérimenter le « toujours plus à l'ouest ».
En Californie se forge une nouvelle culture que j'appelle « oralité électronique ». Les disciples actuels du Christ, comme Pierre, à l'époque, devront peut-être recevoir une puissante révélation, pour se rendre compte que les « païens » d'aujourd'hui ont besoin d'un Evangile repensé et revisité; attention je n'ai pas dit « édulcoré » ni « amputé ». Mais, j'ai confiance, Dieu a préparé des Paul pour s'élancer dans les réseaux électroniques et sociaux actuels.

Henri Bacher
www.logoscom.org

Notes
1 C'est un coup de pied au 500e de la naissance de Calvin, fêté en 2009. Esaïe aurait vécu à Jérusalem au VIIIe siècle av. J.-C., approximativement entre 766 et 701 (Wikipedia). Cette allusion à ce prophète n'est donc que symbolique.
2 Jacques Attali, Une brève histoire de l'avenir, Paris, Fayard, 2006.

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