Qu’a représenté pour vous cette dédicace à la cathédrale de Lausanne de la transcription braille de la TOB 2010 ?
C’était une grande journée pour nous. Finir un tel projet au moment où on prend sa retraite est une grande satisfaction. Tous les aveugles peuvent dorénavant disposer de la TOB en braille et c’était aussi l’occasion d’exprimer notre reconnaissance au Seigneur.
La dimension interconfessionnelle de cette célébration m’a beaucoup plu. Cela correspond à l’identité de la MEB : être au service des aveugles de toutes les Eglises, des catholiques, des réformés et des évangéliques.
De quelle nature a été votre implication dans la réalisation de cette transcription de la Bible en braille ?
En fait, j’ai dirigé ce projet. L’Alliance biblique française nous a fait parvenir le « paratexte », un texte informatique avec une série de commandes à l’intérieur pour la mise en pages. J’ai réalisé ensuite un petit programme informatique pour que cela soit rendu correctement dans une édition braille.
Vous avez fait là un travail de programmeur…
Oui. Nous avons fait ensuite relire le texte par un groupe d’aveugles qui ont fait leurs remarques par rapport à la qualité du texte. On a eu quelques difficultés avec les noms propres dans l’édition en braille abrégé, parce que le programme ne sait pas les distinguer des noms communs. J’ai donc dû élaborer un dictionnaire de tous les noms propres de la Bible, avec l’orthographe spécifique de la TOB, pour que le programme ne les abrège pas. Le livre des Chroniques m’a donné beaucoup de travail. Tout une série de noms propres ont dû être ajoutés à ce dictionnaire.
En tout, combien de temps avez-vous consacré à ce travail ?
On a commencé en 2012 et le travail s’est étendu sur 6 ans. A côté de beaucoup d’autres engagements, j’ai dû consacrer en tout une année entière à ce projet.
Qui sont les destinataires de cette Bible ?
Les aveugles et les malvoyants européens. Pour l’Afrique, où le français est la plupart du temps une deuxième langue, nous envoyons plutôt la Bible en français fondamental qui s’appelle Parole de vie. Par rapport à chaque demande de bible, nous essayons d’entrevoir les besoins de la personne. Il faut donc l’informer des différentes traductions. Nous essayons aussi de voir ce que sont vraiment ses besoins. La MEB n’envoie pas facilement en Afrique des bibles à mille francs – le prix de la transcription de la TOB 1010 en 44 classeurs – avant d’avoir discerné les besoins. Il nous est arrivé d’envoyer des bibles dans certaines régions et de découvrir qu’une année après, elle avait fait le bonheur des termites ! La Parole de Dieu est une nourriture, mais il ne faut pas exagérer !
Des pasteurs ou catéchistes africains ont parfois besoin de cette bible. Nous avons par exemple envoyé à un aveugle du Tchad la TOB 2010, parce qu’il est impliqué dans un projet de traduction biblique. C’était important qu’il dispose à la fois la TOB et de la version Parole de vie pour comparer deux traductions différentes.
Y a-t-il des aveugles qui souhaitent avoir la Bible en entier ?
Oui, cela arrive. Mais vu que ce sont des volumes séparés, certains choisissent. Ils optent par exemple pour les évangiles, le Nouveau Testament et les Psaumes, ainsi que pour les autres livres qu’ils aiment lire. Ils peuvent aussi nous les emprunter.
Ils s’adressent à la MEB et peuvent les obtenir…
Oui, ils peuvent obtenir cela auprès de la MEB et les recevoir gratuitement via la Poste, parce que tout ce qui est « cécogramme » – le terme officiel des postes pour tout ce qui est littérature pour aveugles – est envoyé gratuitement.
On a aussi publié un choix de textes qui s’appelle Pain quotidien. Ce classeur propose les textes bibliques principaux : le récit de la création, les Dix Commandements, le Sermon sur la montagne, le récit de la Passion et de la Résurrection, des passages des épîtres, un choix de Psaumes… Cela permet à un aveugle qui ne peut pas disposer de toute la Bible d’avoir une sorte de condensé chez lui.
Vous vous êtes donné beaucoup de peine avec la TOB 2010 pour transcrire en braille les 6 livres propres à la Bible orthodoxe. Etait-ce vraiment nécessaire ?
Effectivement, je ne connais pas beaucoup d’aveugles orthodoxes francophones, lisant le braille… Mais cela faisait partie d’un projet qui visait à traduire l’entier de la TOB 2010. Lire ces livres intéressera sûrement certains chrétiens – une quinzaine de personnes les ont déjà demandés. De plus, cela peut faire partie des nombreux ouvrages que nous mettons à disposition des aveugles comme des commentaires bibliques ou des livres de spiritualité.
Vous avez pris votre retraite le 1er juin dernier. La publication de cette Bible constitue un point fort de votre ministère dans le cadre de la MEB…
Il m’a paru important de terminer ce projet avant de prendre ma retraite. C’est souvent difficile de remettre à quelqu’un un projet que l’on a commencé. Donc j’étais content que l’on puisse imprimer le premier exemplaire de cette Bible complète en février dernier.
Aux yeux de nombreuses personnes en Suisse romande, vous incarnez la MEB. Va-t-il y avoir d’autres collaborateurs au sein de votre ONG qui sont atteints d’un handicap de la vue ?
Notre ONG a engagé Christine Cloux pour me succéder. Cette femme est complètement aveugle. Personnellement, j’avais un peu ce ministère d’interface entre les aveugles et les voyants, du fait que je suis malvoyant, mais Christine est complètement aveugle.
Elle reprend tout le travail d’édition et d’impression en braille ainsi que la correspondance avec les aveugles. De par son engagement professionnel précédent, elle connaît aussi très bien l’informatique pour les handicapés de la vue, et notamment tous les gadgets informatiques pour faciliter la vie des aveugles. Par ailleurs, elle dispose d’un carnet d’adresses des aveugles romands bien plus important que le mien.
Qu’allez-vous faire de votre retraite ?
J’ai presque toujours été au service de la Bible, cela me passionne et je continuerai : j’ai pas mal de projets, mais avant tout j’aimerais écrire une histoire de la MEB. J’ai connu cette ONG en 1970, j’ai connu la fondatrice, puis participé à un pan de son histoire. Actuellement, le plus ancien collaborateur de la MEB est arrivé en 2015. Nous avons donc une jeune équipe qui reprend le flambeau, et il est important de leur permettre de savoir d’où vient cette association.
Propos recueillis par Serge Carrel