Israël, terre de la paix espérée, de la guerre toujours recommencée. Que nous apprend son histoire à cet égard ?
JJM - Il faut bien reconnaître qu’Israël a une histoire singulière. Il y a une trilogie vécue en tension entre le Dieu unique, la terre et le peuple. Les populations sur cette terre n’ont jamais été homogènes, il y a toujours eu des imbrications avec les voisins.
Et c’est un territoire le plus souvent sous occupation ?
GG - Oui, Israël est au carrefour de trois continents : Asie, Europe et Afrique. Des peuples l’ont constamment traversé et dominé, avant que ne se crée l’Etat d’Israël à la fin de la Seconde Guerre mondiale, après que la Shoah a évidemment marqué tous les esprits.
La Shoah est-elle à l’origine de la création de l’Etat d’Israël ?
GG - Non, mais elle a précipité les choses. C’est plutôt la montée de l’antisémitisme, notamment les grands pogroms en Russie au XIXe siècle ou de manière plus décisive l’affaire Dreyfus.
JJM - Une grande partie de la population juive d’Europe était désabusée par rapport à des possibilités d’assimilation dans leurs pays réciproques. En 1899 a lieu à Bâle le premier congrès sioniste visant un projet d’implantation en Palestine. A cette époque-là, la population arabe était nettement dominante, mais assez rapidement, la volonté des nouveaux arrivants de fonder des communautés juives indépendantes a provoqué des tensions entre les Arabes qui occupaient ce pays et les colons juifs.
Une terre pour deux peuples
On connaît la formule : « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Etait-ce la réalité du terrain ?
JJM - Je me suis inspiré de ceux que nous appelons les « nouveaux historiens israéliens » (1). A la fin de la Première Guerre mondiale, il y avait en Palestine 620’000 musulmans, 70’000 chrétiens et 60’000 juifs (20 à 30’000 émigrés de la diaspora surtout ukrainienne, russe ou polonaise et 30’000 natifs de Palestine). C’est à cette époque-là que le slogan « une terre sans peuple pour un peuple sans terre » a été lancé pour soutenir et justifier le projet d’implantation. Pour ma part, je préfère la parole de Martin Buber, philosophe juif qui, dans les années 30, écrivait : « Une terre pour deux peuples » (2).
Pourquoi les Arabes ont-ils refusé le plan de partage ?
JJM - Il n’y avait pas une très grande sympathie dans le monde arabe vis-à-vis des Palestiniens, d’où le refus de la création d’un Etat palestinien. Et bien sûr le refus de toute nouvelle implantation juive. Les Etats arabes estimaient que ce n’était pas à eux de subir les conséquences de la Shoah.
Dans ce conflit entre frères ennemis, quelle est la position qui semble devoir être celle du chrétien ?
GG - On imagine qu’il n’y a en Israël et dans les Territoires dits occupés (3) que des musulmans et des juifs. Or, plus de 60’000 chrétiens y vivent ! On serait tenté de soutenir un peuple contre un autre, occultant les souffrances de nos frères en Christ. Ma préoccupation est d’aller à la rencontre des croyants, qu’ils soient juifs messianiques ou chrétiens palestiniens, ces derniers souffrant beaucoup de cette situation. Au Moyen-Orient, on ne peut pas séparer le politique du religieux. La pression exercée par les grandes puissances occidentales et le nationalisme arabe est constamment présente, avec, à l’arrière-plan, les enjeux de l’or noir.
Promouvoir la paix
Y a-t-il une légitimité à justifier un Etat au nom d’une théologie ou d’une attente spirituelle ?
GG - On entre ici dans des considérations théologiques. Il y a en tout cas cette dynamique de l’Evangile par laquelle le Christ nous invite à être des ouvriers de paix, des ambassadeurs de la réconciliation. On peut vite devenir partisan, être pro Israël ou pro Palestiniens. Jésus n’est-il pas venu détruire les murs de séparation entre les peuples ?
JJM - Je m’élève contre l’amalgame ou la confusion entre le politique et le spirituel. Que signifie la notion d’élection ? Elle me dit que je ne peux pas par moi-même construire le Royaume de Dieu sur la terre ou dans le ciel. C’est un appel et un don. Il y a une élection qui repose sur Israël, c’est indéniable. Mais cette élection ne l’autorise absolument pas à des prétentions politiques et territoriales. Cette élection s’inscrit dans une dynamique de grâce, de paix et d’amour. Moi, je crois qu’Israël a été élu pour témoigner, pour être un signe de ce que Dieu est réellement. On oublie souvent qu’un important courant du judaïsme, les haredim, se sont opposés et s’opposent toujours à l’Etat d’Israël car ils attendent le don de cette terre des mains mêmes du Messie et non pas d’actions militaires.
Il n’empêche que vous ne pouvez effacer ces passages prophétiques qui parlent du retour d’Israël sur sa terre.
JJM - Tout ce qui concerne l’avenir renvoie ou aboutit à Christ, au Messie. J’aime dire que l’avenir c’est Dieu lui-même. Ce serait une erreur, selon moi, de définir une espèce de plan avec sa logique interne, son autonomie. C’est Dieu lui-même qui en fonction de sa souveraineté décidera chaque chose en son temps. Il n’y a pas de stratégies militaires territoriales à envisager. Il est certain qu’Israël a une place dans le projet de Dieu. Mais celle-ci reste à mes yeux un mystère. Nous avons raison de prêter attention à ce drame. Non pas pour prendre parti mais pour promouvoir la paix et venir en aide aux victimes. A ce sujet, je suis impressionné par la mobilisation des nombreuses organisations juives israéliennes qui dénoncent la politique injuste de leur gouvernement et militent en faveur de la paix et de la justice (4).
Guy Gentizon, êtes-vous pour deux Etats sur une même terre ou pour un seul Etat conciliant deux peuples ?
GG - Mon avis personnel ne compte pas énormément ! Je voudrais juste souligner ce qu’a d’inquiétant la dimension de l’extrémisme musulman, en particulier avec la position de l’Iran. Ils ont en vue une république islamique globale, sans frontière et sans juifs. Beaucoup de gens, là-bas, sont lassés, fatigués d’être tout le temps dans le conflit. Ils sont des milliers à être de bonne volonté, à faire tous leurs efforts pour vivre un peu plus d’humanité. Les poussées religieuses nous ramènent cependant à la dimension spirituelle de ce conflit. On est sur le terrain d’une guerre spirituelle dont les répercussions se voient à l’œil nu.
JJM - Permettez-moi de rebondir sur cette idée d’Israël signe de Dieu. Je le crois très volontiers. Mais signe aussi de l’incapacité pour des humains de trouver une harmonie sans Dieu. Toutes les solutions humaines sont des impasses sans une intervention réelle de Dieu. « Ils tourneront les regards vers moi – celui qu'ils ont transpercé » (5). Ce « ils » renvoie aussi à tous les êtres humains qui crieront à Dieu quand tout ce qu’ils auront essayé de construire aura échoué.
Sortir de la pensée clanique
Jean-Jacques Meylan, vous dénoncez dans votre opuscule la pensée clanique. De quoi s’agit-il ?
JJM - Sylvain Cypel montre dans son ouvrage, « Les Emmurés, la société israélienne dans l’impasse » (6), que les deux populations, juive et palestinienne, n’ont pas encore accédé à ce qui a permis de construire nos démocraties occidentales, à savoir une pensée communautaire qui adhère à la légitimité de l’existence de toutes les composantes de la société. C’est toujours en établissant des contacts avec celui que l’on considère comme son pire ennemi qu’on pourra faire avancer les choses...
Quels seraient les mots d’une fin provisoire autour de cet éclairage sur cet Israël d’aujourd’hui et de cette écharde que constitue le conflit israélo-palestinien ?
GG - Prions pour les populations de ces régions. Essayons également de discerner comment on peut leur venir en aide. Gardons-nous de juger et de vouloir donner des leçons. Je suis persuadé que Dieu est en train de faire quelque chose envers et contre tout. Oui, l’avenir lui appartient.
Si je comprends bien – et ces voyages en Israël en sont l’occasion – on peut faire pont entre les uns et les autres ?
JJM - Oui, c’est vraiment l’objectif principal de ces voyages. Et nous voulons leur donner une dimension spirituelle au sens prophétique du terme...
Propos recueillis par François SERGY, journaliste à Radio Réveil et à Certitudes
Notes
1 Benny Morris, Ilan Pappé, Eugen L. Rogan et Avi M. Shlaï, Tom Segev, Sylvain Cypel, etc.
2 Expression reprise par Ilan Pappé comme sous-titre – en version anglaise One Land Two Peoples – de son Histoire de la Palestine moderne (Fayard, 2004).
3 La Cisjordanie ou Judée-Samarie.
4 Peace Now, Ta’ayush coexistence, Bat Shalom, Machsom/Watch, Gush Shalom, Neve Shalom/Wahat al-Salam, Stop the Wall...
5 Zacharie 12 : 10 ; Jean 19 : 37.
6 Editions La Découverte, 2006, collection Poche N° 234.