Bible et science : des points de vue complémentaires sur les origines de la vie, par Silvain Dupertuis

jeudi 27 mars 2008
La Bible et la science développent des discours sur les origines de la vie qui ont chacun leur domaine de pertinence. Après un article sur "La controverse créationniste est de retour" (1), Silvain Dupertuis, professeur de mathématiques au Gymnase du Bugnon à Lausanne, propose ici une contribution sur la manière d’articuler discours scientifique et discours théologique. Il ne s’agit ni d’opposer les deux, ni de les faire converger, mais de montrer qu’ils se complètent. La science expose le comment des choses et la foi propose un pourquoi.
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Opposer la Bible et la science, ou Dieu et Darwin, c’est mal lire la Bible et mal comprendre la science. Les faire concorder, par une lecture plus souple des textes bibliques reconnaissant la validité du modèle scientifique des origines, en s’émerveillant des concordances, est préférable... mais souvent boiteux. Séparer totalement science et foi, et vivre le dimanche en chrétien et la semaine en homme du siècle, relève de la schizophrénie.
Quelle articulation proposer pour aujourd’hui? Il faut d’abord reconnaître que la Bible n’est pas un livre de science et que la science ne répond pas aux questions d’ordre religieux. Pour simplifier, la Bible parle du pourquoi et la science s’intéresse au comment. Galilée disait déjà que « la Bible montre seulement comment l’on va au ciel et non comment il en va du ciel ». Récemment, le biologiste et paléontologue Stephen Jay Gould a proposé le principe du NOMA (Non-Overlapping Magisteria, autrement dit des domaines d’autorité qui ne se recoupent pas), dans son livre « Et Dieu dit : “ que Darwin soit ” : science et religion, enfin la paix ? » (Seuil, 2000).
Cependant, au-delà de cette séparation totale, mieux vaut reconnaître une complémentarité dans laquelle la théologie et la science peuvent se rejoindre ou s’interpeller mutuellement avec des approches complémentaires. Cette complémentarité peut être féconde notamment dans deux domaines : celui de notre responsabilité vis-à-vis de la création et celui de la recherche du sens de notre existence.

De la naissance de la science au scientisme
Ce qu’on appelle «science» a émergé autour de la première moitié du XVIIe siècle, notamment avec des penseurs tels que Galilée et Kepler. On ne se contente plus d’observer, on expérimente, on calcule, on crée des modèles et on fabrique des expériences, réelles ou de pensée, pour les valider ou les infirmer.
Dans les siècles qui suivent, les progrès réalisés, tant dans la compréhension de la nature que dans la maîtrise technique, donnent à la connaissance scientifique un prestige croissant. Ces avancées spectaculaires aboutissent vers la fin du XIXe siècle à une sorte de foi totale dans les possibilités de la science et de la technique qu’on appelle «scientisme». On croit pouvoir un jour tout expliquer et parvenir à une maîtrise totale du monde. On croit au progrès de l’humanité. On croit à la supériorité de la civilisation occidentale – une idéologie qui marque l’entreprise coloniale et influence le mouvement missionnaire de l’époque.

Vers une science plus modeste
Si la société actuelle reste imprégnée par cette vision des choses, cette belle assurance a néanmoins été fortement ébranlée au XXe siècle. Sur le plan théorique, la science fait des avancées au prix de profondes révolutions de pensée, notamment celles de la relativité et de la mécanique quantique, difficile à appréhender pour le profane. Même les mathématiques sont touchées, quand Gödel démontre en 1932 l’impossibilité du rêve d’assurer de manière certaine la solidité du soubassement logique sur lequel s’édifient les mathématiques. L’idée d’une compréhension totale du monde bat de l’aile. L’horizon de l’inconnu s’éloigne à mesure que l’on s’en approche. La science fondamentale se fait plus modeste, bien que cela ne transparaisse guère quand elle est médiatisée.
Pour le grand public, ce sont surtout les applications de la science qui en questionnent le prestige. Elle permet de guérir le cancer, mais aussi de détruire Hiroshima. Depuis quelques années, le monde a pris conscience de l’impasse où nous mène notre maîtrise de la nature qui en exploite les ressources sans limite.
Au scientisme du XIXe siècle se superpose maintenant une sorte de défiance vis-à-vis de la science. Une défiance qui n’est pas sans danger, car elle ouvre la porte à toutes sortes de croyances, au retour de vieilles superstitions, habillées de termes scientifiques. Tout cela dans la confusion la plus totale.
En tant que chrétien, nous pouvons accueillir avec reconnaissance l’apport irremplaçable de la science. Car elle répond à la vocation humaine de connaître et de maîtriser le monde que lui confie le créateur. Mais cette science est et restera faillible et incomplète. Et l’interpellation majeure d’aujourd’hui est celle des enjeux écologiques, avec le nécessaire respect de la création confiée à notre responsabilité, alors que politiciens et économistes continuent trop souvent d’invoquer sans sourciller la nécessité de la «croissance»...

Quelle lecture de la Bible?
L’approche de la Bible dans les milieux évangéliques est souvent marquée par un a priori erroné : la lecture littérale d’un texte en serait la lecture normale, tandis que d’autres manières de l’interpréter ne seraient que des concessions à la vérité. C’est ainsi que certains craignent déjà d’accommoder le premier chapitre de la Genèse en interprétant les jours comme des périodes géologiques...
La confrontation avec la science est sans doute un des facteurs qui nous conduit à questionner notre littéralisme. Pourtant, une lecture attentive des textes aurait pu ou dû nous y conduire. D’ailleurs la lecture littéraire ou symbolique des textes est très ancienne.
La Bible aime à nous présenter plusieurs facettes des choses : deux récits de création qui se succèdent sans concorder, deux chronologies divergentes du déluge qui s’entremêlent, deux généalogies de Jésus qui divergent fortement. A vouloir lire ces textes littéralement, comme des récits historiques au sens moderne du terme, on commet un anachronisme et on s’enfonce dans des contradictions qu’on ne peut lever sans forcer le texte.
Prenons simplement les deux récits de création qui ouvrent la Genèse. Dans le premier apparaissent dans l’ordre la végétation, les animaux terrestres, l’être humain «homme et femme». Au chapitre deux, l’ordre est différent : homme - végétation - animaux - femme. La critique biblique explique cette divergence par des sources différentes – qui restent hypothétiques. Il reste que l’auteur ou le compilateur du texte (peu importe qui) n’entend pas publier une simple anthologie de différentes conceptions du monde, mais bien nous livrer le témoignage de foi du peuple d’Israël. Ce Dieu de la révélation, qui a délivré le peuple de l’esclavage d’Egypte, n’est pas l’un de ces multiples dieux protecteurs d’un peuple particulier, mais le créateur de l’univers entier et la source d’où tout être humain tire son nom. Si cet auteur avait eu l’intention de nous donner une chronologie de la création, il s’y serait pris autrement...

Un magnifique portique d’entrée
Le premier chapitre est une célébration de la création et du créateur, magnifique portique d’entrée qui ouvre sur le sens de notre existence. Tout est déclaré bon. La semaine de la création est un cadre qui fait apparaître toute la splendeur de l’acte créateur. Trois jours consacrés à la création d’espaces par séparation – jour et nuit, eaux d’en haut et d’en bas, mer et terre. Puis trois jours pour peupler ces mêmes espaces : soleil, lune et étoiles au 4e jour, oiseaux dans le ciel et animaux marins au 5e, animaux terrestres et êtres humains au 6e.
Si le soleil n’apparaît qu’au 4e jour, c’est pour répondre à l’apparition du couple jour/nuit au 1er jour. Inutile de se demander pourquoi la lumière est apparue avant le soleil, ou de s’embarquer dans un anachronisme concordiste en y voyant la préfiguration des conceptions de la physique du XXe siècle, pour lesquelles l’énergie a précédé la matière. De plus, si l’auteur biblique parle du soleil en l’appelant modestement «luminaire», c’est pour se démarquer des cultes du soleil des religions environnantes. Etonnamment moderne, ce vieux texte relu aujourd’hui, alors que tant de gens croient trouver un sens à leur existence dans les astres plutôt qu’auprès de leur créateur...

Homme et femme en image de Dieu
Ces textes de création relèvent littérairement du genre «mythologique», dans le sens où ils racontent une histoire qui répond à la quête du sens et de l’origine, avec des thématiques et un langage qui se rapprochent des mythes des peuplades environnantes. En même temps, ils s’en distinguent nettement, non parce qu’ils raconteraient l’histoire telle qu’elle s’est réellement passée – perspective issue du rationalisme moderne – mais par la révélation du vrai Dieu, du Dieu unique et transcendant, et par la sobriété du récit. Pas question de dieux qui bataillent entre eux, ou qui engendrent les hommes avec leurs larmes ou leur sperme... Dieu crée par sa parole. Il crée l’humain, homme et femme. Ceux-ci adviennent à leur humanité par la parole et sont appelés à une relation d’harmonie avec leur créateur et avec la création – au-delà de cette brisure du péché que Dieu vient réparer par son oeuvre de salut.
Impossible de parcourir en quelques lignes la richesse et la profondeur de ces textes. Peut-être est-ce par la négative que j’en ai personnellement perçu la portée, à une certaine étape de vie. Après une rupture conjugale, il m’a fallu longtemps pour parvenir à relire le récit de la création jusqu’au sixième jour, où homme et femme sont créés en image de Dieu, tant ce texte m’était devenu douloureux.

Solitude ou présence?
Les récits d’origine que nous propose la science aujourd’hui ne nous offrent pas des certitudes. Mais les modèles généralement admis tiennent remarquablement la route. C’est d’ailleurs bien par crainte de redonner corps à la nécessité d’un créateur que la théorie du big bang, supposant un commencement, a eu tant de mal à s’imposer...
La quête des origines rejoint la quête de sens qui habite chaque être humain, qu’il soit scientifique, poète ou maçon... Les découvertes et les théories scientifiques, pour qui a l’occasion et la possibilité d’y plonger quelque peu son regard, conduisent à l’émerveillement et reposent la question du sens à nouveaux frais. Jacques Monod donne le vertige avec la conclusion de son ouvrage « Le hasard et la nécessité » (Paris, Seuil, 1970): «L’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers d’où il a émergé par hasard». Il s’agit évidemment là d’une affirmation de foi, et pas de science. Le chrétien partage la même question et le même vertige, mais y répond différemment, en plaçant sa confiance dans le Dieu créateur, révélé dans ces vieux récits bibliques. L’être humain n’est pas seul, il vit de la présence de Dieu. Mais cette réponse et cette certitude restent de l’ordre de la foi et non du démontrable, d’une relation vécue plutôt que d’une vérité qui s’impose.

Silvain Dupertuis, professeur de mathématiques au Gymnase du Bugnon à Lausanne et missiologue

Note:
1) Voir sur le site lafree.ch: "La controverse créationiste est de retour" par Silvain Dupertuis.

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