Défense de la liberté religieuse : l’Alliance évangélique mondiale et Geoff Tunnicliffe encouragent à développer des partenariats avec des croyants d’autres religions

vendredi 13 mars 2009

Restrictions à la pratique de la foi, limitations dans la liberté de culte, interdictions de changer de religion, persécutions physiques... La liberté de conscience et de religion est constamment malmenée sur la planète aujourd’hui. L’Alliance évangélique mondiale (AEM) se mobilise autour de cette question. Elle invite les chrétiens et toutes les personnes de bonne volonté à faire de même. Le directeur international de l’AEM, Geoff Tunnicliffe, était à Berne début décembre. Il invite les évangéliques à élargir leur plaidoyer et à s’associer à des représentants d’autres fois ou d’autres convictions pour faire advenir davantage de liberté de conscience sur cette planète. Grand entretien avec le no 1 de l'AEM.

Dans la « Déclaration sur la liberté religieuse et la solidarité avec l’Eglise persécutée » que l’Alliance évangélique mondiale a publiée lors de son assemblée générale à Pattaya en octobre dernier, vous invitez les évangéliques à défendre les chrétiens persécutés et les croyants d’autres religions ou les athées dont les droits dans le domaine de la liberté de conscience sont bafoués... Pourquoi cette invitation large à défendre la liberté de conscience ?
Lorsque nous tentons de promouvoir la liberté de religion pour tous, nous ne la promouvons pas pour notre propre communauté uniquement. La Déclaration universelle des Droits de l’homme des Nations unies demande la liberté de religion pour tous. Nous avons donc à promouvoir tant la liberté de conscience que la liberté de croyance. En disant cela, nous ne disons pas que nous souscrivons aux convictions que véhiculent d’autres fois. Nous disons simplement que tous les habitants de cette planète ont le droit de croire comme ils le font et nous comme nous le faisons.

Les organisations évangéliques impliquées dans la défense des libertés religieuses le font souvent uniquement au profit d’autres évangéliques. Comment réagissez-vous à cela ?
La plupart du temps sur la planète aujourd’hui, ce sont les chrétiens qui semblent être attaqués par rapport à leur liberté de religion. Certaines ONG ont un rôle spécifique en faveur des personnes qui sont impliquées dans les Eglises. Certaines de ces ONG devraient toutefois élargir leur plaidoyer et nous les encourageons à cela.

N’est-ce pas nouveau dans le monde évangélique cette prise de conscience qu’il faut défendre la liberté religieuse de tous et de toutes les religions ?
Je ne pense pas que cela soit quelque chose de neuf, mais c’est peut-être un élément nouveau qui se dit en public. Pendant de nombreuses années, nous avons travaillé à cela dans les coulisses et au travers d’une diplomatie silencieuse, que cela soit devant des tribunaux, mais aussi avec des personnalités politiques qui se sont engagées dans la promotion de la liberté religieuse.

En Suisse, des ONG comme Portes ouvertes ou Christian Solidarity International (CSI) sont focalisées sur la défense des droits des chrétiens. Invitez-vous ces ONG à élargir leur défense des libertés religieuses ?
Nous demandons à chacune de ces ONG d’être fidèles à son appel. Pour certaines, leur engagement en faveur des chrétiens leur est peut-être spécifique. Mais l’Alliance évangélique mondiale affiche un autre positionnement que les ONG. Nous sommes impliqués dans d’autres dialogues. En aidant notre propre communauté, nous avons aussi à défendre la liberté de religion d’autres personnes.

Dans la déclaration d’octobre dernier, vous évoquez la possibilité de travailler avec tous ceux qui partagent les mêmes buts que les évangéliques en matière de liberté religieuse. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Un exemple historique parlant, c’est celui de William Wilberforce (1759-1833). Cet évangélique anglais a été membre du Parlement britannique voilà deux cents ans. Il a pris conscience du scandale de la traite des esclaves et il a pensé que s’il voulait débarrasser son pays de cette injustice, il fallait s’associer à des personnes de bonne volonté qui partageaient la même vision que lui : mettre un terme à l’esclavage. Par lui-même, il ne serait probablement pas parvenu à le faire, mais il a travaillé avec des gens qui partageaient le même but que lui, mais pas nécessairement la même foi...
Notre défi en tant que chrétiens aujourd’hui, c’est de parvenir à travailler avec d’autres, même s’ils ne partagent pas la même foi, en vue du bien commun de la société. Je pense que nous le pouvons. W. Wilberforce en a apporté la preuve et nous allons trouver des chemins pour démontrer cela en matière de liberté religieuse ou dans tout autre domaine qui touche au bien commun.

Avez-vous des exemples pratiques où cela marche ?
Au Canada, le pays où je vis, l’Alliance évangélique, l’Eglise catholique, les musulmans et les hindous ont travaillé ensemble sur une définition du mariage. Ils se sont rencontrés pour échanger à ce sujet. Une partie de cette démarche a été couronnée de succès, une autre non, au vu des lois qui ont été adoptées. Ce qui nous a rassemblés, c’est une préoccupation commune à partir de laquelle nous pouvions travailler ensemble.

Demandez-vous aux évangéliques de s’investir davantage dans une telle direction ?
Nous appelons les évangéliques, tout autour du monde, à s’engager sur les questions qui sont pertinentes dans leur pays et dans le monde. Certains ont peut-être une vue étroite du monde et peut-être sont-ils enfermés dans leur propre vision des choses... Nous sommes invités à être sel et lumière de ce monde. Nous appelons donc les évangéliques à s’engager sur les grandes questions sociales d’une manière plus large et plus profonde, dans toute société et dans toute culture.
Je suis convaincu que les questions qui touchent à l’avenir de la planète sont si complexes : la pauvreté, l’environnement... qu’aucun groupe ne peut y venir à bout tout seul. Les gouvernements n’en ont pas la capacité, le monde industriel non plus... Même les communautés religieuses n’y arriveront pas par elles-mêmes. Si nous trouvons des moyens de nous retrouver et d’aborder ces questions ensemble, alors nous pourrons parvenir à des avancées signifiantes.

L’ONU est-elle un partenaire crédible pour la promotion de la liberté religieuse ?
Les Nations unies sont un des endroits-clés sur la planète pour se connecter à d’autres et nous devons être partenaires de tout dialogue qui se noue dans cette instance. Il y a des forces aux Nations unies qui veulent opérer des changements. Nous travaillons très dur pour construire des relations à l’intérieur des Nations unies afin d’aider certains interlocuteurs à comprendre ce qu’est notre position et comment la communauté évangélique au plan international souhaite s’engager en faveur des mêmes buts.
Prenons un exemple. Ban Ki-moon, le Secrétaire général des Nations unies, a récemment souligné publiquement que la campagne lancée par l’AEM, le « Défi Michée » ou « StopPauvreté.2015 » en Suisse, est la plus grande initiative en dehors des Nations unies qui s’est focalisée sur la défense de l’ensemble des Objectifs du Millénaire pour le développement. Une telle démarche est perçue de manière très positive par les instances onusiennes. Je vais bientôt rencontrer des personnes impliquées dans la lutte contre le sida aux Nations unies afin de trouver de nouveaux chemins que nous pourrions envisager au sein de la communauté chrétienne pour lutter contre cette pandémie...

Et que dire par rapport à la liberté religieuse ?
Nous avons une place dans cet environnement et nous sommes à même de faire entendre notre voix. Par ailleurs, nous avons des amis au sein des Nations unies qui parlent en notre nom et donc nous utilisons ces possibilités.

N’est-ce pas une tâche trop difficile avec la présence de pays musulmans qui s’opposent à la promotion de ce type de liberté ?
C’est un grand défi ! De nouveau, c’est mieux de travailler de l’intérieur plutôt que de l’extérieur. Nous essayons de nous impliquer et de construire une compréhension mutuelle et de faire du bon travail. Nous devons donc être particulièrement précis dans nos recherches et produire des informations bien documentées, pas seulement de « bonnes histoires »... Beaucoup de choses se passent dans les travées des Nations unies plutôt que dans les séances plénières. Si on peut être présent dans les couloirs en parlant avec les gens, c’est beaucoup plus efficace que si nous lançons de grandes déclarations publiques.

Au-delà du combat pour la liberté de religion, l’Alliance évangélique mondiale ne mène-t-elle pas un combat politique pour l’instauration de démocraties libérales partout sur la planète ?
Nous tentons de promouvoir la bonne gouvernance dans tout type de gouvernement. Nous ne prenons pas une position particulière sur les différentes formes de gouvernement. Ce que nous voulons promouvoir, ce sont des valeurs qui nous sont chers. Nous encourageons les gouvernements à exprimer ces valeurs. Dans certains pays que je visite et qui peuvent être des régimes autoritaires ou des régimes islamiques, je dis aux dirigeants qu’ils n’ont pas à craindre les chrétiens de leur pays, parce que nous souhaitons être de bons citoyens. Nous voulons construire des familles solides, des emplois de qualité, contribuer à une société bien éduquée...
Nous ne promouvons pas en soi la démocratie comme un instrument de gouvernement, mais il semble que cela soit l’un des moyens pour qu’une bonne gouvernance puisse s’instaurer. A coup sûr si nous promouvons les principes de bonne gouvernance : la redevabilité des gouvernants, la liberté pour les citoyens de choisir librement à l’intérieur de leur pays... un régime démocratique devrait se développer. C’est ce que nous voulons encourager, tout en ayant conscience qu’il y a différents degrés de démocratie dans le monde.

Dans le meilleur de la vision du monde propre aux chrétiens évangéliques n’y a-t-il pas le respect des droits de l’individu contre le groupe auquel il appartient ? Aujourd’hui, cette revendication n’est-elle pas problématique dans le monde musulman comme dans les autocraties russe ou chinoise ?
Nous croyons que les habitants de notre planète doivent vraiment bénéficier de la liberté de choisir leurs convictions religieuses. Quand Jésus invite des gens à le suivre, certains disent non. Le jeune homme riche refuse de suivre Jésus. Il est donc clair que la foi évangélique est ouverte à un tel choix laissé aux individus. Dans certaines parties du monde, y compris dans le monde musulman, certaines personnes ont l’impression que nos activités d’évangélisation ne donnent pas de choix aux pauvres. Selon eux, elles les manipulent. Nous nous attacherions aux vulnérables d’une société et nous ne leur laisserions pas le choix de croire. Ils ne sont peut-être pas forcés de croire, mais ils sont manipulés pour croire. La réponse que j’énonce souvent à cette remarque, c’est que nous n’utilisons pas l’aide ou le travail avec les pauvres pour amener des gens de manière nécessaire à la foi. Mais c’est une expression de notre foi. C’est l’un des piliers de notre foi : Jésus veut que nous nous soucions des pauvres. Et nous cherchons à incarner les valeurs défendues par Jésus lorsque nous nous soucions des pauvres, qu’ils viennent à la foi ou non. Parfois des personnes avec une autre vision du monde ont de la peine à comprendre cela !

Comment réagissez-vous alors ?
Il y a là un choc des visions du monde, parce que la conception de la grâce n’est pas là, parce que la liberté de choix en matière religieuse n’est pas là non plus. Nous avons à explorer la foi des autres et leur compréhension de la vie. Nous avons à construire des relations qui vont plus profond dans l’échange et la compréhension mutuelle. Parfois, c’est facile de lire les titres des journaux pour apprendre à se connaître les uns les autres. Quand je parle à des conférences musulmanes, je dis volontiers que nous lisons des choses à leur sujet dans les journaux et qu’eux lisent des choses à notre sujet dans les journaux, mais allons au-delà de ces titres ou de ces articles. Apprenons à nous connaître davantage les uns les autres et à chercher une meilleure compréhension mutuelle...

Qu’apporte pratiquement ce type de dialogue ?
Ça aide à casser les stéréotypes que nous entretenons les uns sur les autres, comme quoi tous les évangéliques auraient une vision du monde marquée par l’économie ou une certaine vision des relations internationales... Tout cela permet de mettre à bas les stéréotypes et donne l’occasion de faire comprendre que l’on n’a pas à avoir peur de nous. A certains égards, nous nous trouvons aux premiers jours de ce dialogue, mais nous devons avancer sur ce chemin parce que les anciennes manières de faire n’amènent pas les résultats que nous souhaitons. Nous devons donc trouver de nouveaux chemins qui vont nous conduire à moins de violence, à moins d’oppression... Peut-être que cela ne marchera pas, mais nous devons espérer que ce que nous faisons va apporter des changements dans la perception que nous avons des uns et des autres. Quand vous avez bu le thé avec quelqu’un et conversé avec lui, le langage que vous utilisez à son sujet est un langage qui respecte sa dignité et sa personne. Parfois, nous les chrétiens, nous pouvons attaquer des gens sur ce qu’ils sont et dans leur dignité en utilisant une manière de parler qui n’aide pas... Un vocabulaire dur basé sur des stéréotypes peut être très blessant.
Nous essayons de trouver un chemin avec certains responsables musulmans qui comprennent cela et qui essaient de promouvoir la liberté de religion dans leur propre pays. Mais c’est un grand défi ! Y compris pour eux ! Ils prennent également des risques !

Avez-vous l’impression que cela amène du neuf dans la lutte pour la liberté religieuse ?
Dans certains contextes, nous voyons des résultats. C’est petit, mais nous sommes pleins d’espoir. Le grand défi est de savoir si nous allons laisser les « radicaux » prendre la direction des opérations ou permettre à ceux qui ont des convictions plus modérées de prendre leur place et de développer leur influence.

Propos recueillis par Serge Carrel

  • Encadré 1:

    L’Alliance évangélique mondiale en bref
    L'Alliance évangélique mondiale (AEM) est un réseau d'environ 3 millions d'Eglises locales rassemblant 420 millions de chrétiens de conviction évangélique dans 128 pays du monde. Elle a été fondée en 1846 au sein des Eglises issues de la Réforme. Elle est interdénominationnelle.
    Du 25 au 30 octobre dernier, l’AEM a rassemblé 500 délégués à Pattaya en Thaïlande pour son assemblée générale. A cette occasion, elle a adopté la « Déclaration sur la liberté religieuse et la solidarité avec l’Eglise persécutée », un texte qui invite à tisser des partenariats avec toutes les bonnes volontés de la planète pour la défense de la liberté de conscience et de religion.
    Pour plus d’infos.

  • Encadré 2:

    Geoff Tunnicliffe en bref
    Geoff Tunnicliffe est depuis 2005 le directeur international de l’Alliance évangélique mondiale. Ce pasteur canadien travaille à la coordination des activités de l’Alliance évangélique au plan mondial. Il est docteur en théologie et l’auteur du livre « 101 manières de changer votre monde » (disponible en anglais seulement).

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