Lorsque Martin Luther découvrit divers textes de Jan Hus, écrits cent ans avant les débuts de la Réforme, il en fut vivement impressionné. Il publia ses lettres et écrivit dans la préface : « Jusqu’à maintenant, j’ai défendu et exposé les enseignements de Jan Hus sans le connaître… Nous sommes tous des Hussites sans le savoir. »
Jean Hus est né en Bohême-Moravie (Tchéquie actuelle) dans un village où son père était un pauvre ouvrier agricole. Il peut cependant suivre des études universitaires, et, à l'âge de 28 ans déjà, il enseigne à l'Université de Prague. A 30 ans (1400), il est ordonné prêtre, et deux ans plus tard la noblesse de Prague construit la chapelle de Bethléem pour qu'il soit leur prédicateur. Tout d’abord orateur brillant mais superficiel, il approfondit de plus en plus son message sous l’influence de la Parole de Dieu.
La chapelle de Bethléem a été édifiée par des nobles, mais bientôt ce sont les masses populaires qui se pressent pour l'écouter (1). Malgré l’interdiction prononcée par un synode, Hus fait chanter à son assemblée de nouveaux cantiques en langue tchèque. Il commence une révision de la Bible en langue populaire. Homme du peuple, il sait parler aux humbles. Mais sans les flatter, car il appelle à la repentance avec des accents enflammés. Il prend pourtant conscience que si les gens sont pécheurs, c'est qu'ils sont mal enseignés et ont de mauvais exemples sous les yeux. Dès lors, ses reproches visent de plus en plus les curés des paroisses qui négligent les fidèles, et les dignitaires ecclésiastiques pour leur richesse et leur soif de pouvoir.
La polémique gagne l'université lorsqu’on apprend que le pape a condamné (à titre posthume) les livres du théologien anglais John Wycliffe (1320-1384), le « docteur évangélique », qui vécut un peu plus d’une génération avant Hus.
Sous la pression du pape, l'évêque de Prague, Sbinek, d'abord favorable à Hus, se tourne contre lui et l'excommunie en 1410. Mais la population, y compris le roi et la noblesse, le soutient, sans doute plus par nationalisme que par conviction religieuse. Peu après, le pape lui-même excommunie Hus (1411), ce qui provoque des émeutes à Prague. Mais bientôt Hus s’oppose au roi, car il fait organiser une vente d’indulgences pour financer une campagne militaire contre son rival, le roi de Hongrie. Dès lors, beaucoup parmi ses amis influents le quittent. Mais Hus tient ferme, car son combat n'a rien à voir avec le nationalisme et l'opportunisme politique. Trois de ses jeunes disciples sont arrêtés et décapités. Sa tête est mise à prix et, bouleversé de devoir abandonner ses fidèles disciples, il quitte Prague pour se réfugier dans son village natal, d'où il revient souvent clandestinement pour les encourager. D’ailleurs, son départ ne calme pas la situation, au contraire.
Martyr pour la foi évangélique
L'empereur Sigismond est inquiet : il craint que les troubles en Bohême contaminent tout l'Empire. Il presse le pape de convoquer un concile qui siègera à Constance (sud de l'Allemagne) dès le début de 1415, en présence de rois et de princes, des cardinaux et des évêques. Hus reçoit un sauf-conduit de l'empereur qui stipule que « les princes et les évêques laissent librement et sûrement passer, demeurer et retourner Hus ». Ce dernier pourtant ne se fait guère d'illusion et sait le danger qu'il court. Il écrit dans une lettre d'adieu à ses amis de Prague qu’il se rend à Constance, convaincu de son bon droit et pressé de vouloir témoigner pour la vérité, même au prix de sa vie :
« Je me confie tout entier dans le Dieu tout-puissant, dans mon Sauveur. J'espère donc qu'il exaucera vos ardentes prières, qu'il mettra sa prudence et sa sagesse dans ma bouche, afin que je leur résiste, et qu'il m'accordera son Saint-Esprit pour me fortifier dans sa vérité, de telle sorte que j'affronte avec courage les tentations, la prison et, s'il le faut, une mort cruelle. Si ma mort doit contribuer à sa gloire, priez pour qu'elle vienne rapidement, et pour que Dieu m'accorde de supporter la souffrance avec persévérance et courage. Mais s'il vaut mieux que je retourne parmi vous, prions Dieu pour que je revienne sans tache, c'est-à-dire pour que je ne retranche rien de la vérité de l'Evangile, afin de laisser à mes frères un bel exemple à suivre. »
Pendant six mois, Hus est enfermé et enchaîné dans un cachot humide et froid, et il tombe malade. Il écrit des traités pour évangéliser ses gardiens de prison, et même un traité sur le mariage pour l’un d’eux qui se marie. Sa vocation principale, même dans ces tragiques moments, reste l'édification de son prochain. Enfin, en juin, il comparaît devant le Concile. Il veut discuter, argumenter, mais on le fait taire : « On ne t'a pas fait venir pour t'écouter, mais pour te soumettre ou te condamner. » Hus, pourtant très affaibli, garde une grande fermeté. « Je suis prêt à renier ce que j'ai écrit, dit-il, quand on me montrera que c'est faux. » Il écrit à Prague : « Je veux que vous sachiez qu'ils ne m'ont pas une fois acculé par les Ecritures, ni par leurs arguments. Leur seul but était de m'amener à me rétracter, par des ruses et des menaces. »
A la fin des audiences, l'empereur dit à Hus : « J'ai voulu que tu viennes à Constance et que tu puisses répondre publiquement à tes accusateurs. Si tu t'entêtes, le Concile n'hésitera pas. Je leur ai dit que je ne veux défendre aucun hérétique. Au contraire, je serais prêt à allumer moi-même le bûcher. » Et comme Hus ne cède pas, l'empereur déchire le sauf-conduit qu’il avait signé de sa main.
Avant de mourir, Hus demande à se confesser auprès de son meilleur ami devenu son adversaire le plus acharné, et lui demande pardon pour les paroles dures qu'il a prononcées contre lui.
Le 6 juillet 1415, Hus est conduit au bûcher, hors de la ville. Son visage rayonne, et il déclare : « L'intention que j'ai poursuivie dans ma prédication, mes actes et mes écrits, a été d'arracher les hommes au péché. Pour la vérité de l'Evangile que j'ai prêchée selon la tradition des Pères, je veux volontiers mourir. Je crois fermement en mon Sauveur. Aujourd'hui je règnerai avec lui. »
Au moment où les évêques prononcent la malédiction sur lui devant son bûcher, il réplique d’une voix forte : « J’ai confiance en le Seigneur Dieu tout-puissant, au nom de qui je subis cette souffrance, qu’il ne m’ôtera pas la coupe de sa rédemption. J’ai même la ferme espérance de la boire aujourd’hui dans son Royaume. » Par dérision, on lui met sur la tête une couronne de papier. Il dit alors : « Mon Seigneur Jésus-Christ porta pour moi une couronne d’épines plus lourde et plus cruelle que celle-ci. Innocent, il fut jugé digne de la mort la plus ignominieuse. Et moi, misérable et pauvre pécheur, pour l’amour de son nom et de la vérité, je porterai aussi celle-ci, même si c’est une couronne de honte. »
Jan Hus meurt, brûlé vif, en récitant le Symbole des Apôtres. Ses cendres sont jetées dans le Rhin. Il a 45 ans.
Des héritiers qui ont dynamisé le protestantisme trois siècles plus tard !
La prise de position de Jan Hus lors de son procès annonce celle de Luther à la Diète de Worms 106 ans plus tard (1521) : « Je suis prêt, dit Hus, à obéir au pape tant que ses ordres sont conformes à ceux des Apôtres. Mais s’ils y sont contraires, je n’y obéirai point, même si j’ai mon bûcher dressé devant moi. »
L'Eglise de l'Unité des Frères Hussites fut fondée par les disciples de Jean Hus après sa mort (1457). Elle rejoignit le courant de la Réforme au siècle suivant, mais continua d'exister sous ce nom. Au XVIIe siècle, après la victoire des Etats catholiques en Europe centrale, les Hussites de Bohême-Moravie furent durement persécutés. Chassés de lieu en lieu, ils étaient réduits à la clandestinité. Au siècle suivant, dès 1722, ils furent nombreux à se réfugier en Allemagne où ils furent accueillis par le comte de Zinzendorf, un jeune homme de la haute noblesse, qui leur offrit de s'établir sur ses terres. Bientôt un village s'organisa sur une base entièrement communautaire. En 1727, un réveil spirituel bouleversa cette communauté et, dès lors, ils se mirent à prier pour la mission. En 1732, les premiers missionnaires moraves (c'est ainsi qu'on appelait ces réfugiés) partirent aux Antilles et au Groenland, puis en d'autres lieux sur quatre continents. Cette Eglise morave fut la première Eglise protestante avec une vision et un engagement missionnaires, et les descendants des Hussites vécurent une épopée extraordinaire et exemplaire, marquée par de nombreux sacrifices. Tout le protestantisme est encore aujourd'hui redevable à leur élan remarquable.
Jacques Blandenier
Note
1 Deux siècles plus tôt, le mouvement des « Vaudois » avait rencontré un écho important en Bohême (c’est dans cette région, semble-t-il, que son fondateur Pierre Valdo a fini sa vie) ; il restait de nombreuses traces de ce premier courant pré-réformateur. Et des prédicateurs sillonnaient le pays en appelant l’Eglise à la repentance.