« Donner son argent... » - par Marc Luthi

lundi 07 février 2011
Dans une période difficile financièrement pour nombre d’Eglises, la collecte menée par l’apôtre Paul au Ier siècle de notre ère regorge de pistes stimulantes et de trésors d’encouragement !
Qui ose encore aborder le thème de l’argent dans nos Eglises? Les pasteurs en tant que salariés de la communauté ne s’en sentent souvent pas la liberté. Pour bien des membres de nos Eglises l’argent reste un tabou, l’objet d’un certain malaise dont on ne parle pas... Cette approche des biens matériels est en fort décalage par rapport à la place que leur donne la Bible dans l’Ancien Testament et dans le Nouveau.
Dans cette abondance de récits et d’invitations, nous nous arrêterons aux principes que l’apôtre Paul communique aux chrétiens de Corinthe. Ils sont engagés avec d’autres Eglises d’origine païenne dans une collecte organisée pour le soutien des chrétiens de Jérusalem durement éprouvés (2Co 8 et 9).
Aux yeux de Paul, cette collecte revêt une signification spirituelle très importante: elle veut marquer l’unité de l’Eglise. D’une part signifier la communion des Eglises d’origine païenne avec l’Eglise judéo-chrétienne de Jérusalem, et d’autre part marquer l’unité des communautés d’origine païenne entre elles. En effet, Paul les encourage à organiser une seule offrande qui sera acheminée en une seule fois à Jérusalem. Quand on sait les difficultés et les tensions engendrées par l’intégration des chrétiens d’origine païenne dans l’Eglise (voir Actes 15), on comprend mieux pourquoi l’apôtre Paul s’investit à ce point dans cette entreprise.
 
Le vocabulaire employé par Paul
Il est intéressant de prêter attention au vocabulaire qu’utilise Paul pour parler de cette collecte. Il n’emploie jamais le mot courant pour désigner une collecte (logeia), mais le remplace par d’autres termes forts pour donner un sens profond à cette démarche. Il utilise le mot charis (8.6, 7, 19), qui d’ordinaire signifie grâce, mais qui ici signifie plutôt œuvre de grâce. Cette collecte apparaît ainsi comme une œuvre de charité et d’amour. Paul recourt aussi au mot diakonia (8.4 ; 9.1, 12, 13), un terme qui signifie service ou ministère. Le ministère de cette collecte est précisément de marquer le lien qui unit les Eglises entre elles. Et l’apôtre surenchèrit en qualifiant cette offrande de bénédiction (eulogia, 9.5), de liturgie (leitourgia, 9.12), c’est-à-dire de service public et religieux, et finalement, peut-être le mot le plus riche de sens, de koinonia (communion ou mise en commun des biens).
 
Comment donner ?
Avant tout, ce qui intéresse Paul, c’est la qualité et la motivation du don plutôt que la quantité de ce qui est donné. Ce qui importe donc, c’est de :
 
1. Se donner d’abord soi-même à Dieu (8.5)
La libéralité n’a de sens que comme expression du don de soi-même à Dieu. Ce n’est pas d’abord notre argent que Dieu veut, l’or et l’argent lui appartiennent; ce qu’il désire avant tout, c’est le don de nous-mêmes, de nos personnes et de nos vies ! Notre offrande sera le signe de cette réalité : nous lui appartenons avec tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons !
 
2. Se donner librement et de son plein gré (8.3 ; 9.7)
A plusieurs reprises, l’apôtre Paul insiste sur le caractère volontaire de cette offrande. La communauté chrétienne ne doit exercer ni pression ni contrôle. Elle peut néanmoins exhorter et encourager comme Paul le fait ici, mais dans le respect de la liberté et de l’anonymat de chacun. Chacun est encouragé à donner comme il l’a résolu dans son cœur. Il faut donc donner sans contrainte (anagkè : la contrainte que subit celui qui n’ose pas refuser, qui donne uniquement parce qu’il estime que son nom, son rang, sa position l’y oblige, n’est pas de mise !), sans tristesse (il ne s’agit pas de faire un sacrifice à regret, mais dans un élan de générosité, avec l’accord de tout son être. Imaginez un cadeau fait à contrecœur !) et avec joie (le Seigneur aime celui qui donne avec joie!).
 
3. Donner dans un souci d’équilibre et d’égalité (8.13-15)
Que l’abondance des uns pourvoie au nécessaire des autres! Il peut y avoir dans nos communautés des inégalités criantes qui manifestent le manque de solidarité des membres entre eux. Il suffit de se rappeler ce que vivaient les chrétiens de Corinthe lors de la cène partagée au cours d’une agape: les uns avaient faim et les autres étaient ivres (voir 1Co 11)! Quel scandale!
Nos Eglises ne devraient-elles pas être davantage sensibles à cette dimension de solidarité au sein de la communauté: mettre en place un fonds de solidarité par exemple. Mais cette solidarité peut aussi s’exprimer d’une Eglise locale à une autre, d’une région à une autre, d’un continent à un autre...
Il n’y a pas d’amour ou de communion véritable sans partage. Il est même possible d’échanger des biens matériels contre des biens spirituels : « Si nous avons semé parmi vous les biens spirituels, est-ce excessif que nous moissonnions vos biens matériels ? » (1Co 9.11).
Pour illustrer cette égalité, Paul se réfère à un texte de l’Exode (16.18) qui mentionne la manne, symbole par excellence de la providence de Dieu, extraordinaire signe d’égalité : « Celui qui en avait beaucoup n’avait rien de trop et celui qui en avait peu ne manquait de rien. »
 
Combien donner ?
Ce n’est pas la quantité qui compte, mais l’empressement !
 
1. Selon ses possibilités (8.3 ; 8.12)
… et même au-delà, c’est ce qu’on fait les chrétiens de Macédoine ! Ils ont touché à leur nécessaire qui a été volontairement réduit. L’Eglise de Thessalonique a particulièrement souffert de la persécution qui avait encore aggravé leur pauvreté. Mais Paul est réaliste (8.12-13): « Il ne s’agit pas de vous exposer à la détresse ! » Il part de ce que les Corinthiens peuvent donner et non de ce dont ils rêvent : ah ! si j’avais beaucoup d’argent !
« Dieu demande qu’on donne proportionnellement à ce qu’on a, et non à ce qu’on n’a pas ; et c’est d’après cette mesure qu’il apprécie l’esprit de sacrifice de chacun ; il estime la pite de la veuve (Mc 12.43-44) selon ce qu’elle a » (Frédéric Godet).
 
2. En abondance (9.5)
Que notre libéralité (eulogia) soit une bénédiction et non pas un acte d’avarice ! En se rappelant que « celui qui donne peu, moissonnera peu, et celui qui donne en abondance, moissonne en abondance (9.6).
 
Comment récolter et acheminer l’argent ?
Paul a le souci d’éviter toute critique quant à sa manière de s’occuper de sommes importantes: il a à cœur de se conduire de manière irréprochable devant le Seigneur et devant les hommes. Que ce soit pour récolter l’argent ou pour l’acheminer jusqu’à Jérusalem, c’est un travail d’équipe. Plusieurs témoins feront le déplacement à Jérusalem: des hommes de confiance tels que Tite, lui-même accompagné par un frère désigné par les Eglises concernées, ainsi qu’un troisième témoin dont on ignore l’identité. Paul lui-même les accompagnera pour accomplir cette mission délicate à ses yeux (Rm 15.25-33).
On comprend qu’une grande prudence s’impose dans les affaires d’argent, dans l’Eglise également!
 
Des promesses de bénédiction suite à la libéralité
Les promesses de bénédictions qui résulteront de la libéralité des Eglises de Macédoine doivent aussi motiver leur générosité.
 
1. Des bénédictions matérielles (9.8-11a)
Qu’ils n’aient pas peur, plus ils donnent, plus Dieu leur multipliera les moyens de donner encore. Dieu ne reste le débiteur de personne ! Cinq fois dans ce seul passage, Paul emploie le mot « tout » ; cette juxtaposition renforce l’idée que Dieu comble au-delà de tout celui qui donne avec joie !
Encore faut-il bien se comprendre quant à l’abondance promise: il s’agit d’avoir suffisamment pour subvenir à ses besoins et de quoi venir en aide aux nécessiteux. Voilà la vraie richesse! L’abondance selon Dieu n’est pas la richesse selon les critères humains. Elle implique la notion du contentement que Paul mentionne à plusieurs reprises (2Co 9.8; 1Tm 6.6; voir aussi Ph 4.11). «Certes c’est une grande source de gain que la piété si l’on sait se contenter de ce qu’on a !» (1Tm 6.6). Paul dira même: «J’ai appris à me contenter de l’état où je me trouve...» (Ph 4.11).
L’abondance, Dieu la promet, à condition de savoir se contenter et de mettre des limites à nos besoins sans cesse exacerbés par la société de consommation.
 
2. Des bénédictions spirituelles (9.11b-15)
Comme déjà souligné, cette collecte a une haute portée spirituelle: non seulement elle pourvoit aux besoins des chrétiens de la Judée, mais elle produira des fruits spirituels à la gloire de Dieu ! Elle fait abonder leurs actions de grâces à l’égard de Dieu : ils glorifient le Seigneur pour l’obéissance que vous professez, ils remercient Dieu pour la preuve tangible de la communion (koinonia) !
De plus, elle suscite les prières, manifeste la tendresse de Dieu pour eux. L’Eglise judéo-chrétienne tend les bras vers le monde des Gentils, quel résultat extraordinaire ! «Grâce soit rendue à Dieu pour son don ineffable !» s’écrie émerveillé l’apôtre Paul.
 
***
Une fois de plus, nous sommes repris par rapport à notre tentation de séparer ou d’opposer ce qui est spirituel et matériel. Non seulement la vraie spiritualité se manifeste par des gestes de partage, d’entraide et de libéralité, mais encore ces gestes « matériels » peuvent produire des fruits spirituels manifestes! Il faut oser le dire et le vivre!
 
Marc Luthi
Pasteur retraité et Dr en sociologie

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