Chronique libanaise du 16 juillet : L’incertitude au quotidien

vendredi 21 juillet 2006
Catherine Mourtada vit depuis une quinzaine d'années à Beyrouth au Liban. Avec l'association Tahaddi, elle anime une école dans un bidonville de Beyrouth pour des enfants analphabètes. Elle visite aussi les prisons libanaises. Pour l'instant Catherine Mourtada a décidé de rester au Liban avec sa fille Nayla. Cette Suissesse compte parmi les envoyés du Trait d'union missionnaire (TUM) de l'Union des AESR. Voici sa chronique du 16 juillet.

Ce qui est le plus incroyable dans cette guerre, c'est sa soudaineté! Mercredi passé, j'allais à la prison lorsque des tirs nourris ont attiré mon attention. Une fois arrivée (Agnès avait d'autres obligations, c'est pourquoi j'y suis allée seule), j'ai appris que des soldats israéliens avaient été capturés et d'autres tués par la résistance du Hezbollah au sud du Liban.
Le soir, nous étions réunis pour un anniversaire, tous soucieux de la suite qu'allaient prendre les événements. Et la nuit, l'aéroport a été bombardé, des ponts détruits... Jeudi, je suis allée à l'ambassade pour demander le visa de Nayla, avec elle, car le bus qui devait la prendre pour ses activités d'été n'était pas venu.

Des destructions monstres !
En quelques jours, nous avons basculé dans le « surnaturel ». Vous ne pouvez imaginer l'ampleur des destructions des infrastructures routières. Même si cette guerre ne se prolonge pas, nous allons tous payer le prix très concrètement dans notre quotidien, sans compter les pertes touristiques et économiques.
Au moment où je vous écris, les avions israéliens survolent Beyrouth et ont recommencé à tirer sur la banlieue où nous travaillons (une zone où le Hezbollah est très présent). La marine israélienne est en face de Beyrouth, la route principale vers la Syrie est coupée (en traversant le nouveau pont qui désengorgeait la route Beyrouth-Damas, l'autre jour, on se disait justement que c'était un pont bien fragile et le premier qui serait bombardé... Est-ce que vous vous êtes déjà dit cela en passant sur des ponts qui enjambent des vallées en Suisse ou en France?!).

La « valse » des missiles
Hier, un missile a été tiré sur le port de Beyrouth, pas loin de l'église où nous nous réunissons. Le culte a été annulé. Les habitants de Beyrouth se réuniront dans une maison et ceux des banlieues, à l'ABTS, l'Institut baptiste de théologie, à deux minutes de chez nous. Le culte commencera à 11 h, 10 h chez vous.
Le blocus est donc total. Des missiles ont été lancés sur les trois ports de Beyrouth, Jounieh et Tripoli, hier. La frontière syrienne a même été bombardée. Un car de 50 étrangers venus pour une conférence avec Opération mobilisation (OM) a juste pu passer en Syrie. Ils ont mis 8 heures pour faire 100 km et ont payé très cher leur passage... mais ils sont en sécurité.
La France organise le rapatriement de ceux qui le désirent par tranche de 800 à 1000 par ferry sur Chypre dès ce soir et les Américains seront évacués par hélicoptère vers un ferry au large de Tripoli. Ils négocient avec la marine israélienne, bien sûr.

L’incertitude au quotidien
Le plus difficile, c'est l'incertitude et le fait de ne pas savoir de quoi le lendemain sera fait, de devoir réorganiser sa journée pour garder un semblant de normalité, surtout avec les enfants. Nayla voulait dormir dans mon lit hier et je lui ai dit: « Seulement si cela bombarde pendant la nuit ». Elle n'était pas couchée que deux missiles se sont abattus sur Beyrouth faisant beaucoup de bruit... Je lui ai dit que cela ne comptait pas... mais à trois heures du matin, je n'avais plus d'excuses... Je prépare Nayla à l'éventualité de ne pas pouvoir partir en Suisse et je sais que ça va être très dur pour elle de ne pas voir sa Mamie  et sa famille, ses amies Pauline, Natalia et Naomi, Carine et Mireille, Valérie et tant d'autres... C’est toujours une fête pour elle d'aller manger une fondue à La Dent de Vaulion pour l'anniversaire de sa grand-mère... La Suisse, c'est très spécial pour elle!
Les écoles de Beyrouth et de Tripoli sont pleines de réfugiés avec les problèmes logistiques que cela pose très vite.

De l’électricité grâce à des générateurs
L'électricité? Je ne vous en parle qu'à peine: 12 heures en moyenne de coupure sur la journée... et on a plus de chance que d'autres! La plupart des générateurs ne peuvent fonctionner 12 heures d'affilée et les prix grimpent! Le propriétaire de notre immeuble a son propre générateur, mais il a décidé de ne le mettre en route qu'à partir de 19 h. C'est très ennuyeux, mais, d'un autre côté, c'est beaucoup moins cher.
Malgré les événements, hier, nous avons décidé d'aller faire une balade en montagne, loin de la zone des bombardements et nous avons découvert un coin magnifique où nous nous sommes promis de revenir avec un groupe en octobre... mais tout de suite, nous avons eu conscience de la fragilité de tels projets en de telles circonstances. Nous avons bu un café chez l'habitant, une famille chiite, d'un petit village chiite, dans la montagne chrétienne. Nous en avons profité pour regarder les nouvelles sur la télévision branchée sur une batterie de voiture (bien sûr, il n'y avait pas d'électricité), sous le portrait de Hassan Nasrallah... Les sentiments de la population sont très mitigés. Bien sûr, ils se sentent pris en otage d'une guerre qu'ils n'ont pas choisie et ils auraient préféré que le désarmement du Hezbollah se passe d'une manière plus diplomatique. Et puis la guerre, ils ont donné!
Je sais que vous serez nombreux en ce dimanche à intercéder pour le Liban. Faites-le, s'il vous plaît, afin que cette situation absurde s'arrête vite!

Catherine Mourtada

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