Il arrivait que le plus petit, apeuré, demande qu’on l’accompagne dans la nuit aux cabinets, à l’arrière de la maison, parce qu’il n’y avait pas de lampe au-dessus de la simple planche percée d’un gros trou noir... L’unique appareil électrique de toute la maison était un fer à repasser. Et encore un poste de radio qui rapportait de terribles menaces...
Le père s’absentait de longs mois, mobilisé par l’armée. La mère était de santé fragile, une maladie incurable devait l’emporter plus tard. Enceinte de son quatrième, elle n’a pas pensé: « Je suis maîtresse de mon corps ». Elle n’a pas même pensé: « C’est une situation de détresse ».
A-t-elle demandé, et le père avec elle: « On garde l’enfant ? » A vrai dire, ils ne se sont pas posé la question. Ils faisaient partie de tous ces gens qui, tout au long des siècles, ont unanimement cru que la vie était sacrée, qu’elle était un don de Dieu qui ne se négociait pas, pas plus avant qu’après la naissance.
Beaucoup avouent aujourd’hui: « On n’a pas pu garder l’enfant ». « L’enfant » justement, et non pas un embryon ou un petit tas de cellules ! « L’enfant qu’elle dit », celle qui déclare: « L’enfant ne s’inscrivait pas dans ma vision d’avenir... » Et aussi celle qui a fait une petite cérémonie, accompagnée de son pasteur, pour marquer le jour présumé de la naissance de son petit refusé...Détresse ? Elle existe certainement, rarement insupportable. Il faut s’appliquer à y remédier, car on ne fera jamais assez pour assister les mères en difficulté. Jamais n’a été autant fait. Ceci étant, ces situations d’épreuve auraient paru, pour la plupart, enviables à des multitudes de couples qui, au cours des âges, ont transmis et respecté les vies fragiles qui ont permis les nôtres, dans des conditions souvent inimaginables pour la mentalité actuelle.
***
La mère a porté l’enfant en elle sur la place du village, pour aller faire la lessive dans le grand bassin commun. Par tous les temps. L’eau était si froide certains jours gris... Puis l’été est venu, et l’enfant a pesé plus lourd aux jours pénibles des foins, quand il fallait bien y aller et tirer le râteau, au raide du soleil...
C’était en 1941. L’enfant a paru. René, né deux fois, qu’on l’a appelé. Je le salue, je suis si heureux de le savoir encore bien en vie !
Son frère : Paul Dubuis