Nyankunde, Bunia, Ituri, Province orientale du Congo... des noms familiers à beaucoup de nos lecteurs. Durant la seconde moitié du XXe siècle, le Service missionnaire évangélique (SME) de nos Eglises a soutenu de nombreux envoyés, principalement dans le domaine médical, pour seconder nos Eglises-sœurs de la Communauté Emmanuel, fortement implantées dans cette région. Le SME poursuit d'ailleurs son partenariat par des projets de développement (école, ferme pilote).
Un pays qui panse ses plaies
Dans les premières années de ce siècle, les troubles ethniques qui couvaient depuis longtemps dans l’est du Congo se sont déchaînés avec une violence inouïe : pillages, destructions, massacres par milliers, flots de personnes déplacées... Entre autres désastres, le grand Centre médical évangélique de Nyankunde, fondé par diverses missions mais entièrement africanisé et fournissant une médecine de haut niveau pour une immense région, a été entièrement saccagé. Il renaît pourtant de ses ruines.
Dans ce pays qui panse ses plaies, les villes sont à peu près sécurisées par les forces des Nations unies, mais les villages de brousse restent sans cesse menacés par des groupes armés incontrôlés. Beaucoup sont quasi désertés, et les villes voient affluer des populations sans ressources. Bunia, qui comptait 125'000 habitants en 2005, a quasiment triplé de population en quatre ans. Quant aux infrastructures et aux administrations (routes, éclairage public, poste, électricité...), elles continuent à se dégrader. De nombreuses ONG (dont Medair que nous connaissons bien) maintiennent presque la région sous perfusion.
Des Eglises, lieux de compassion et de réconciliation
Sombre bilan ? Oui. Et pourtant, si je rentre d’un septième séjour d’enseignement théologique dans la région avec le poids d’un lourd fardeau, c’est aussi et d’abord avec une grande espérance.
Je pense à ces Eglises citadines, devenues si nombreuses par l’afflux de réfugiés, ou à celles des villages qui ont quasiment tout perdu. Et je me demande ce que seraient devenues nos Eglises évangéliques suisses si elles avaient subi le quart ou le dixième des souffrances et des destructions qu’ont subis nos frères et sœurs de l’Ituri. Là-bas, malgré de graves ébranlements, elles sont et demeurent un lieu de compassion, de réconciliation, de joie et d’espoir. Sel et lumière, témoignage du « malgré tout » de la fidélité de Dieu dans un monde ravagé par la puissance dévastatrice de l’égarement humain.
L’Université Shalom
Parmi les signes d’espérance les plus forts, il faut placer sans hésiter l’Université Shalom de Bunia (USB). Un Institut supérieur de théologie avait été créé il y a plus de trente ans, par les diverses missions évangéliques présentes dans la région, formant une pépinière de serviteurs de Dieu compétents, dont plusieurs ont été promus à de hautes responsabilités au sein du protestantisme congolais. Comme pour le Centre médical évangélique de Nyankunde, le corps enseignant et le Conseil d’administration ont été progressivement africanisés. Lors de mon précédent séjour, l’Institut comptait une soixantaine d’étudiants, dont une dizaine à un niveau d’étude correspondant à une licence en théologie.
Le nouveau doyen, le Dr Katho Bungishabaku, un chrétien de Nyankunde formé à un excellent niveau universitaire en Afrique du Sud, est revenu parmi les tout premiers après les guerres ethniques, trouvant un Institut épargné miraculeusement par les destructions et abritant des milliers de réfugiés. Celui qui était le doyen à l’époque, le pasteur Alo, bien connu en Suisse – il fit une partie de ses études de théologie à Genève – était une figure si respectée dans la ville que le domaine de l’Institut a été considéré comme un lieu de refuge neutre et épargné. Il est décédé peu après, sa santé ayant été gravement altérée par le poids de ces événements dramatiques.
Ces circonstances ont parlé au Dr Katho et à son équipe. lIs ont discerné le rôle stratégique que pouvait jouer une telle institution : être un lieu de paix (Shalom !) et de reconstruction apte à fournir au pays – qui en a si tragiquement manqué – des cadres formés sur la base d’une éthique chrétienne, en interaction entre la théologie et d’autres disciplines académiques orientées principalement sur le développement humain.
Katho Bungishabaku est un homme de foi et un visionnaire exigeant, qui a su s’entourer d’une solide équipe de collaborateurs. Ayant pris son bâton de pèlerin, il est allé faire antichambre auprès du gouvernement de Kinshasa afin d’obtenir le statut universitaire pour l’Institut de théologie et y joindre d’autres facultés, et il a eu gain de cause.
Aujourd'hui 720 étudiants
Ainsi, lorsque je suis revenu après une absence de guère plus de deux ans, ma découverte a été une immense source de reconnaissance. Là où se trouvait un Institut biblique d’une cinquantaine d’étudiants, j’ai vu une ruche bourdonnante de 720 étudiants et étudiantes inscrits dans cinq facultés : gestion de l’environnement, pêche, eaux et forêts, sciences et techniques du développement, administration et gestion des organisations. Plus, bien sûr, la Faculté de théologie, avec un premier tronc commun de trois ans, puis, pour des étudiants ayant le baccalauréat et une pratique de quelques années de ministère pastoral, quatre sections d’études aboutissant à la licence en théologie : théologie biblique, théologie pratique, missiologie (évangélisation), langues bibliques (en collaboration avec l’Association Wycliffe pour la traduction de la Bible).
En très peu de temps, et dans un contexte économique précaire, il a fallu affronter des problèmes difficiles à imaginer : constituer un corps de professeurs capables de transmettre, selon la devise de l’USB, une excellence spirituelle et académique. Mais aussi édifier des salles de cours et les équiper, des logements, une vaste bibliothèque bientôt opérationnelle et qui pourra accueillir sur ses rayons 30'000 volumes, un laboratoire informatique avec une trentaine d’ordinateurs...
Pour la gloire de Dieu et le bien de la population
La motivation profonde de l’équipe dirigeante, enthousiasmante mais coûteuse en énergies de toutes sortes, c’est la gloire de Dieu et le bien de la population rescapée de tant de souffrances et stagnant encore dans le dénuement et l’insécurité. La visée spirituelle est prioritaire. Deux aumôniers – bientôt quatre dont une femme, espère-t-on – prennent très à cœur l’évangélisation et l’accompagnement des étudiants. Des retraites sont régulièrement organisées hors de la ville pour une cinquantaine d’étudiants à la fois – ceux qui s’inscrivent à l’Université, quelles que soit leurs convictions ou leur religion, s’engagent à y participer. Les cultes hebdomadaires sont marqués par l’enthousiasme d’une jeunesse africaine qui sait extérioriser sa foi, mais aussi par une grande attention pendant des prédications d’excellente qualité.
Parmi d’autres initiatives d’organisations évangéliques cherchant à rejoindre la population à tous les niveaux, l’Université Shalom est un signe d’espérance. Concernant l’Afrique subsaharienne, les statistiques pourraient nous éblouir : les Eglises, toutes tendances confondues, pullulent et sont archipleines. Pourquoi cela semble-t-il avoir si peu d’influence sur la marche des pays ? Instabilité politique et dictature, corruption des dirigeants, misère matérielle, affrontements ethniques, multiplications de sectes... L’évangélisation de l’Afrique semble avancer très fort, miracles et manifestations charismatiques de toute sorte abondent. Mais comment parvenir à un approfondissement de la foi capable de transformer des vies et de toucher tous les domaines de l’existence, sinon en renforçant la formation de ceux qui sont appelés à nourrir et à diriger ces masses avides de religiosité mais souvent sous-alimentées bibliquement ? Les responsables de l’Université Shalom ont compris la nature de l’enjeu. Ils ont droit à notre prière et à notre soutien.
Jacques Blandenier, pasteur et formateur d'adultes retraité