Avec l'arrivée de la loi sur la laïcité (LLE) et de son Règlement d'application en 2019, les organisations religieuses du canton de Genève n'ont plus accès au domaine public pour des manifestations cultuelles. Nous en avons eu l'exemple avec l'Église évangélique de Cologny (FREE), dont le recours en vue d'obtenir l'autorisation de célébrer un baptême dans le lac a été rejeté par le Tribunal fédéral en février 2024. Pour cause, l'Église n'avait pas fait de «demande d'admission à des relations avec l'État» en signant notamment une «déclaration d'engagement».
Egalement pour l'aumônerie et la contribution religieuse volontaire
Une pareille contrainte est également en vigueur pour les aumônières et aumôniers issu·e·s de communautés qui n'auraient pas signé cette déclaration d’engagement. Ceux-ci se voient refuser l'accès aux établissements publics de soins, à ceux accueillant des personnes en situation de handicap et aux établissements de privation de liberté. De même pour le prélèvement de la contribution religieuse volontaire. Pour pouvoir demander à l'Administration fiscale cantonale la perception d'un don versé par ses fidèles (jusqu'à 1,5% du revenu imposable net annuel du contribuable), une organisation religieuse doit désormais signer cette même déclaration.
L'Armée du Salut a signé la déclaration d'engagement
Mais qu'est-ce qui refroidit les Églises évangéliques à faire le pas ? En août 2024, huit communautés religieuses avaient déjà établi des relations avec l'État : l’aumônerie musulmane, la communauté israélite de Genève, le diocèse de Suisse du Patriarcat œcuménique, l'Église orthodoxe russe de Genève, l'Église catholique chrétienne de Genève, l'Eglise catholique romaine de Genève, l'Église protestante de Genève et...l'Armée du salut.
Deux articles qui peuvent déranger
«Deux articles présents dans la déclaration d'engagement peuvent poser problème aux évangéliques, les articles 4d et 4h», explique Philippe Henchoz, pasteur dans l'Église évangélique de Meyrin. Le 30 janvier dernier, il était l'un des intervenants de la rencontre sur la question des relations Église-État, organisée par le Réseau évangélique de Genève (REG).
L'article 4d stipule que l’organisation religieuse doit s'engager à « rejeter toute forme de discrimination ou de dénigrement à l'égard d'une personne – ou d'un groupe de personnes – en raison notamment de ses convictions, de ses origines ethniques ou nationales, de son sexe, de son orientation ou de son identité sexuelle, ainsi que de son identité ou expression de genre ». «À Genève, nous ne pourrions pas refuser l'accès à une quelconque responsabilité dans l'Église à une personne en vertu de son orientation sexuelle. Pour certains évangéliques, cela peut poser problème», relève Philippe Henchoz.
La primauté de l'ordre juridique suisse
Quant à l'article 4h, il stipule que l'organisation religieuse doit s'engager à «reconnaître la primauté de l’ordre juridique suisse sur toute obligation religieuse qui lui serait contraire, en particulier s'agissant du droit de la famille». «Pour faire court, il s'agit de mettre la loi des hommes avant celle de Dieu», explique Philippe Henchoz. Mais, pour le pasteur, cet article ne pose aucun problème : «Qu'avons-nous comme obligation religieuse qui aille à l'encontre de l'ordre juridique suisse ? Mise à part l'obligation religieuse de porter secours aux plus faibles, je n'en connais pas. Si une Église ou une association héberge une personne en situation irrégulière, elle doit juste le signaler comme le stipule la loi cantonale».
Des éléments légaux déjà en vigueur
Selon le pasteur évangélique, cette loi a été promulguée non pas pour contraindre les Églises du canton, mais pour faire face à la montée de l'islam. «Pour nous, refuser cette mise en relation avec l'État, c'est, à quelque part, leur donner raison de se méfier de nous autant que nous nous méfions d'eux. De surcroit, tous les éléments légaux mentionnés dans la loi sur la laïcité sont déjà des lois en vigueur, comme la Constitution suisse ou la norme pénale antiraciste : on y est soumis de toute manière», conclut Philippe Henchoz.