L’épreuve du feu

Gilles Geiser mardi 17 décembre 2024

La cathédrale Notre-Dame de Paris en flammes… Un soldat du feu… Une journaliste qui cherche… Un conte pour Noël de Gilles Geiser, pasteur dans l’Église évangélique de Châble-Croix (FREE), à Aigle.

« Quand j’ai vu les flammes, depuis le camion, je me suis dit : ‘Si on n’est pas dessus très rapidement, c’est plié’. Sur les lieux, on s’est engagé par la petite porte. Pour attaquer le feu, on a pris les escaliers, pour arriver au plus près possible des flammes. C’était le 15 avril 2019 ; il était dix-neuf heures. »

C’est comme ça qu’il a commencé son propos, mon « soldat du feu ». Moi, j’étais une jeune journaliste, c’était mon premier boulot. On s’était donné rendez-vous à la Taverne d’Esmeralda qui fait le coin entre la rue des Bernardins et le quai de la Tournelle. Durant l’entretien, je voulais avoir un œil sur « elle ». Notre-Dame.

Évidemment, mes questions sur l’incendie de 2019 lui évoquaient des souvenirs. J’avais parfois l’impression de voir encore les flammes se refléter dans son regard.

J’ai apprécié l’entendre me parler de ces quelques heures profondément gravées dans sa mémoire. Me parler de ce moment comme d’un combat, difficile à mener, où rien n’est véritablement joué.

« L’ennemi, c’est le feu. Et c’est un ennemi qui progresse très vite. »

Je lui ai demandé s’il avait eu peur. Il a un peu éludé la question en me rappelant ses préoccupations et ses priorités face au feu, face au danger : « On ne pense pas à la peur. On ne pense pas aux risques. On se dit : ‘Ce feu, on va l’attaquer, ce feu, on va l’éteindre’ ».

– Avez-vous craint, à un moment, de perdre complètement la cathédrale ?

– J’ai eu peur qu’on perde l’édifice, oui. Surtout après avoir perdu la bataille de la toiture. C’était devenu une fournaise. Le feu s’étendait dans toutes les directions. Mais nous étions persuadés que la victoire était possible. On a engagé toutes nos forces parce qu’il était inconcevable de repartir en laissant un tas de cendres derrière nous. Pour nous, ce soir-là, il n’était pas question d’être dans la défaite.

Combien j’ai aimé cette détermination.

J’ai commandé deux cafés et une crème brûlée. Ça l’a fait rire… Et je lui ai posé une dernière question : « Qu’est-ce qui est le plus dur à vivre, pour vous ? »

Il a réfléchi un instant et m’a répondu : « Le plus difficile, c’est que, à chaque fois, notre adversaire a commencé à courir avant nous. On se bat contre un ennemi qui a – toujours – plusieurs longueurs d’avance ».

Après avoir jeté un coup d’œil sur la cathédrale, toujours en chantier, il m’a souri et, dans un regard plein d’espoir, il m’a dit : « On l’a sauvée… et on va la reconstruire, plus belle qu’avant ».

On s’est fait la bise. J’aurais aimé plus. Mais il était marié, je l’ai laissé partir.

Et je me suis rassise.

On était en décembre, il neigeotait dans les rues de Paris. J’ai commandé un Bailey’s. J’avais envie de réfléchir un peu, de fermer les yeux.

À l’époque de l’incendie, je menais une vie de dingue. Mais je me souviens que je m’étais arrêtée quand le feu s’était déclaré. Je faisais partie de la foule fascinée et profondément touchée par ce qui se passait. Et étonnée, en même temps, de constater l’attachement profond de mon cœur à cet édifice en proie au feu.

Voir cette cathédrale partir en flamme, ça m’a fait mal.

Oh, je n’y étais pas allée plus que vous, non. Ce n’était pas un attachement personnel qui me liait à elle, ni la religion, d’ailleurs.

Il y a longtemps – très longtemps – que je n’allais plus à l’église.

Mais là, devant Notre-Dame qui partait en flamme, c’était comme si on prenait conscience de tout ce qu’on lui devait, à elle, à ce qu’elle représentait ; toute la richesse qu’elle contenait. Et on se sentait coupable de l’avoir négligée.

Un peu comme une grand-mère dont on sait très bien qu’on lui doit la vie, mais qu’on ne visite plus depuis longtemps, qu’on laisse seule, s’éteindre… à petit feu.

Ce 15 avril, j’étais restée jusqu’à tard dans la nuit, sur les bords de la Seine.

Cela avait marqué mon esprit.

Et là, ce soir, cinq années plus tard, le fait de parler à « mon » soldat du feu, ça m’a fait remonter à ma mémoire ce profond ressenti que j’avais gommé depuis.

À force de remuer les cendres, j’avais retrouvé un peu de braise.

J’ai repensé au christianisme, à ce qu’on m’avait appris. Au Christ. C’était bientôt Noël après tout. Je me suis dit : « À Noël, j’ai le droit de penser à Jésus, non ?... » Comme si j’avais besoin d’une validation pour me lancer dans cet exercice contre-culturel.

Alors, comme ça, toute seule, dans mes pensées, j’ai commencé à méditer. Sur l’incendie de la cathédrale, sur l’incendie de notre époque… sur l’incendie de ma vie. La cathédrale avait eu ses soldats du feu.

Et nous ? Et moi ?

Il était où, mon soldat du feu à moi ?

Ce soldat du feu, courageux, qui s’approcherait au plus près possible des flammes, au cœur de la fournaise. Ce soldat déterminé à ne rien lâcher, quelle que soit l’avance prise par l’ennemi. Ce soldat du feu décidé à éteindre l’incendie de la colère dans ma vie, et du mal dans ce monde.

La serveuse m’a apporté le Bailey’s commandé un siècle plus tôt. J’étais bien, dans mes pensées. Je ne lui ai même pas dit « merci ».

Je me disais : « À Noël, Jésus s’est approché des flammes, en fait. Par la petite porte. Pour parvenir au plus près possible du brasier, au plus près possible des cœurs brisés.

Au plus près possible du cœur des hommes. Parce que c’est de là que le feu part, c’est là que ça bouronne.

Dans mon cœur, en tous les cas, ça bouronnait depuis bien des années. À cause de… plein de choses. Trop de colères pas éteintes.

« À Noël, Jésus s’est approché des flammes. » Il était là, mon soldat du feu.

Motivée intérieurement par cette première trouvaille, que – à ma grande surprise – j’avais trouvée pas si mal, j’ai continué : à Noël, par la petite porte, Jésus s’est approché du brasier pour attaquer le feu du mal, à la racine.

À Pâques, il est entré dans la fournaise. Il a éteint le feu qui couve dans nos cœurs, le feu de la colère et de la haine. Le feu du mal qui dévore tout sur son passage.

À Pâques, il a éteint le feu de la mort. Il est sorti grand vainqueur du combat contre cet ennemi-là.

Je n’avais jamais été inspirée comme ça, moi ! « C’est le Bailey’s ou quoi ? » Physiquement, j’avais les yeux fermés, mais, intérieurement, ils étaient écarquillés ! Et j’ai poursuivi, sur ma lancée.

« Pour éteindre ce même incendie, dans ta vie, Sandrine, dans ton cœur… il faudrait peut-être que tu l’appelles au secours, ton soldat du feu. Et que tu lui laisses un accès. Un libre accès. Une porte ouverte. »

Alors j’ai prononcé deux mots. Silencieusement. La plus courte prière de ma vie. « Au feu ! », je lui ai dit. C’était adressé à Dieu. Il l’a compris.

Dehors, les flocons avaient grossi, la température s’était adoucie. Mon cœur aussi. Je suis sortie.

En passant devant la cathédrale, je me suis fait cette promesse : le premier Noël où la cathédrale est reconstruite, j’irai lui faire une visite.

Joyeux Noël !

 

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