La lecture de la Bible est au centre de la piété protestante depuis la Réforme. Même s’il n’est pas certain que les chrétiens évangéliques d’aujourd’hui manifestent autant de détermination pour maintenir la priorité de cette pratique que leurs ancêtres de la Réforme, ils ne sont pas prêts à transiger sur ce principe. Seulement voilà, la culture a changé. L’écrit n’est plus le média privilégié. L’image et le son lui ont ravi la vedette. En plus, le jeu social enferme les lecteurs dans un rôle dans lequel beaucoup ne se reconnaissent plus. Que faire ? Tout le monde sait que regrets et voeux pieux sont stériles. Et si l’on prenait appui sur un point fort de cette nouvelle culture qui investit beaucoup dans de nouveaux modes de relations humaines ?
La Bible une occasion de convivialité
En modes « traditionnels », on lisait la Bible pour soi et pour les autres. Le prédicateur, devait passer du pour soi au pour les autres. En mode interactif, on lit la Bible avec les autres, autrement dit, la lecture devient occasion de relations qui permettent à la parole de rebondir comme une balle dans un jeu. Il y a ici plus qu’une image, car lire la Bible en groupe constitue effectivement une sorte de jeu. Il suffit de voir ce qui se passe quand il n’y a ni règle du jeu ni arbitre ! C’est souvent le souvenir que garde de la lecture interactive ceux qui ne veulent plus entendre parler d’animation biblique ! Par contre, lorsque le jeu est bien organisé, que les lecteurs se sont mis d’accord sur une règle – qui n’est rien d’autre qu’une méthode de lecture ou un outil d’animation – et qu’un animateur qui a reçu un minimum de formation peut jouer son rôle d’arbitre, de sage-femme des idées, de guide de randonnées bibliques ou de médiateur selon le moment, lire la Bible en groupe devient une partie de plaisir. Nul ne connaît à l’avance les rebondissements de la Parole et des paroles des participants. On peut même se demander si le Saint-Esprit n’a pas une prédilection pour ce genre d’exercice fait d’écoute et de considération pour la parole des autres.
Besoin de formation
Reste une condition. L’animation biblique ne s’improvise pas. L’interactivité est un art qui suppose la connaissance d’enjeux psychosociologiques complexes et de techniques souvent très simples mais qu’il faut savoir utiliser à bon escient selon les conditions du moment. Alors comment se former ? Il est rare que les pasteurs issus des institutions de formation théologique aient reçu une formation, voire une simple initiation à l’animation biblique. D'ailleurs, il n’est pas sûr que ce soit toujours eux qui doivent jouer le rôle d'animateur. Par contre, le pasteur a sa place dans une équipe d’animation. Il sera souvent la personne ressource qui pourra donner l’information biblique ou théologique dont le groupe a besoin. Des lieux de formation voient le jour. Un partenariat entre le service biblique de la Fédération Protestante de France et la Ligue pour la Lecture de la Bible existe depuis quelques années pour organiser des sessions de formation. Cette équipe a lancé un site internet (www.animationbiblique.org) pour permettre d’entrer dans un processus de formation continue.
Utile ou futile ?
Les jeux ne sont pas toujours futiles. Ils contribuent souvent à rétablir des équilibres menacés soit en servant d’exutoire (vengeance virtuelle), soit en créant des compensations (succès virtuels). Par exemple, battre ses parents dans un jeu constitue pour l’enfant, qui est presque toujours en situation d’infériorité, une saine revanche. Le père ou la mère qui joue avec ses enfants et quelquefois perd, n’a pas toujours conscience de libérer son ou ses enfants des effets négatifs de son autorité. En outre, la fonction ludique répond à au moins deux besoins : valoriser les joueurs et créer ou entretenir des relations entre eux. Dans notre société qui sécrète exclusion et solitude, ces deux vertus du jeu sont capitales.
Travail et jeu
Dans les sociétés traditionnelles, le jeu était souvent intégré aux autres activités de la vie. À la campagne, parce que la récolte était aussi une fête, on chantait en moissonnant et toutes sortes de coutumes agrémentaient le travail. La mécanisation et la nécessité d’augmenter le rendement ont peu à peu fait disparaître ou renvoyé à des jours particuliers l’aspect festif et ludique du travail. C’est tout juste si l’on a le droit de s’adresser à son voisin d’atelier ! Peu à peu, comme si c’était une grande découverte, on redonne de l’importance aux relations humaines à l’intérieur des entreprises ! Qu’en est-il des Eglises ? Elles rassemblent souvent des gens qui se connaissent peu. Repas fraternels et sorties permettent de tisser des liens. Mais si l'on n'y veille pas, la convivialité peut favoriser la formation de clans.
Communion fraternelle et jeu
Des rencontres bibliques à caractère ludique permettent de donner à chacun sa place. Le débutant ne se sent pas dépassé et le « vieux routier » de la Bible est tout surpris de découvrir qu'il lui est encore possible d'aborder les textes comme s'il était un nouveau venu. S’identifier à un personnage biblique, rebondir à une remarque, chercher ensemble la solution à une énigme, reconstituer une scène, se mettre d’accord pour choisir des signes à placer dans la marge d’un texte biblique – ce ne sont que quelques exemples – non seulement sont des démarches qui font « entrer dans le texte », mais elles créent ou renforcent les relations entre les participants et elles insufflent la dose de plaisir propre au jeu.
Si tout le monde aime jouer, on aime ou l’on n’aime pas certains jeux. C’est pourquoi l’équipe d’animation sera attentive à varier les méthodes d’animation. Pour tenter des expériences, nous ne saurions trop recommander le petit manuel d’animation biblique « Études et Variations » (éditions LLB). Il propose un série de méthodes qui ont fait leurs preuves avec des jeunes et des moins jeunes.
Le côté ludique de l'animation n'exclut pas l'étude biblique, mais y donne accès ou la renouvelle. Il y introduit ou permet de la conclure. C'est tout l'art des animateurs de savoir doser interactivité, jeu et interventions magistrales.
Charles-Daniel Maire