La venue de Mark A. Gabriel : une manière de contribuer à l’intégration des musulmans en Suisse ! par Thomas Salamoni
L’interpellation que Mark A. Gabriel adresse dans le livre « Swislam » « au courageux peuple suisse » et aux différentes instances gouvernementales et juridiques de notre « petit paradis alpestre » est marquée de candeur, voire d’une certaine naïveté. Pourtant, c’est précisément ce côté inédit de l’interlocuteur et de sa démarche qui peut compléter notre réflexion sur l’islam en Suisse, nous encourager à rencontrer nos voisins musulmans de façon constructive, tout en nous conduisant à apprécier de manière fraîche la liberté et les privilèges démocratiques qui sont les nôtres dans notre Etat de droit.
Une mise en garde contre l’islam fondamentaliste
Fort de sa connaissance particulière de l’islam, et dont il a déjà pu témoigner dans ses précédents livres (1), Mark A. Gabriel met en garde contre un islam fondamentaliste. L’auteur entend par là un islam qui suit de manière conséquente les enseignements du Coran, et ceci selon les principes d’interprétation islamiques traditionnels qu’il explique parfois de manière détaillée. Pour le non-spécialiste, ceci permet de mieux comprendre les portraits de l’islam si contrastés qui se côtoient souvent en Occident, parfois citations du Coran à l’appui : d’une part un islam radical qui génère le terrorisme, et d’autre part un islam modéré, voire une religion de paix, qui se veut moderne et compatible avec la démocratie. Il est intéressant pour comprendre ces versions divergentes de connaître le principe selon lequel, en cas de contradiction entre deux sourates dans le Coran, celle qui est considérée comme chronologiquement postérieure annule la précédente. D’après Mark A. Gabriel, c’est particulièrement significatif lorsqu’il s’agit de textes du Coran qui incitent à la violence contre des non-musulmans, et qui sont pour la plupart situés tardivement dans la vie du Prophète.
Une mise en garde contre la peur
Si les musulmans qui s’identifient avec l’islam radical sont largement minoritaires en Suisse, il n’est pas inutile, dans notre pluralité religieuse exigeant une tolérance intelligente, d’avoir d’une part une idée des pressions qui viendraient à l’avenir d’un islam de type radical, et d’autre part de mieux percevoir quels éléments poseraient problèmes à un pays démocratique. Il est vrai que cette possibilité paraît minime aujourd’hui, mais il faut se rappeler que Mark A. Gabriel parle en connaisseur de la logique conquérante de l’islam radical.
Concrètement, l’auteur met en garde contre une attitude de peur et de méfiance face aux musulmans. Il invite à l’ouverture et à l’amabilité dans les contacts, à développer des liens d’amitié avec des musulmans, et donne quelques pistes pour éviter des obstacles et procéder de manière respectueuse et constructive. En plus, si des relations de confiance se développent, on pourra même trouver chez des musulmans modérés des alliés dans la lutte contre le radicalisme islamique, puisque la plupart des musulmans y sont également opposés.
A ce sujet, le photomontage sur la page de couverture de « Swislam » dessert cette perspective. En effet, cette couverture suscite la peur, incite à l’alarmisme, et prête à confusion avec certaines campagnes politiques peu constructives en vue d’une cohabitation paisible entre les différentes cultures et religions de notre pays.
D’abord sensibiliser les chrétiens évangéliques
Les rencontres avec Mark A. Gabriel organisées par les Eglises évangéliques membres de la FREE sur la Côte du 27 au 29 mai prochain ont comme objectif principal de mieux équiper les membres de nos Eglises pour comprendre leurs voisins musulmans, les rencontrer et les accueillir de façon clairvoyante et constructive. Dans la société suisse où, à l’instar du monde occidental, des cultures et des croyances toujours plus diverses se côtoient, il en va de l’authenticité des chrétiens d’être de véritables artisans de paix.
Les écrits de Mark A. Gabriel permettent de mieux comprendre un certain islam radical de l’intérieur. Il est évidemment crucial de prendre au sérieux la distinction que fait l’auteur entre différents types de musulmans (séculiers, croyants et engagés, et radicaux), afin d’éviter l’amalgame entre musulmans et extrémistes. En tant que chrétiens évangéliques, nous n’apprécions nous-mêmes guère des raccourcis de ce genre, et nous nous abstiendrons donc d’en faire en ce qui concerne nos voisins d’autres religions.
Thomas Salamoni, pasteur dans l’Eglise évangélique l’Arc-en-ciel à Gland (FREE)
Note
1) Mark A. Gabriel a publié plusieurs livres. Certains sont traduits en français :
- Mark A. Gabriel, Swislam, L’islam en Suisse : menace ou opportunité ? Zurich, Salpe, 2011.
- Mark A. Gabriel, Jésus et Mahomet. Profondes différences et surprenantes ressemblances, Romanel-sur-Lausanne, Ourania, 2011 (3<sup>e</sup> édition).
- Mark A. Gabriel, Islam et terrorisme. Ce que le Coran dit sur le christianisme, la violence et la guerre sainte, Romanel-sur-Lausanne, Ourania, 2006.
Mark A. Gabriel ne contribuera pas à l’intégration des musulmans de Suisse ! par Christian Mairhofer
Le dernier livre de Mark A. Gabriel semble viser un seul but : démontrer la dangerosité de l’islam (tel que l’auteur le conçoit) pour notre démocratie. Cette thèse est relayée par le titre de son livre « Swislam » et par la couverture qui brandit le sceptre de l’islamisation au travers de l’image de notre drapeau avec sa croix qui se fait petite à côté d’un croissant musulman, le tout sur fond de photo du Cervin ! Et même si le sous-titre est présenté sous forme de question « L’islam en Suisse : menace ou opportunité ? » la réponse ne fait guère de doute. Aucune amorce de véritable dialogue avec les musulmans de Suisse, si ce n’est quelques rares citations disséminées ici et là, dont la seule présence semble justifier la thèse du livre.
Une distinction insuffisante ! Dans une anecdote, l’auteur parle d’une conférence (p. 18) où il se positionne pourtant en tant que modéré face à un orateur dont le « message principal était que tout ce qui se rapportait à l’islam ou au monde musulman était menaçant et extrêmement dangereux ». En fait Mark A. Gabriel se considère comme modéré parce que son propre discours vise à « faire la différence entre la doctrine de l’islam d’une part et les musulmans en tant qu’êtres humains d’autre part ». Dans mes mots cela donne : « Ce que vous croyez est dangereux, mais vous êtes des êtres humains donc nous vous respectons ». Mais lorsque la foi musulmane est présentée sous un jour si négatif, à lire notamment l’accusation de mensonge généralisé (p. 49-51, 53-59), comment est-il encore possible de différencier l’islam des musulmans ?
Une comparaison artificielle !
De plus l’auteur parle de l’islam comme s’il s’agissait d’un bloc monolithique intemporel. Sa présentation se situe ainsi paradoxalement dans les mêmes catégories de pensée que les extrémistes qu’il dénonce à juste titre. On le voit notamment lorsqu’il place tel quel côte à côte des articles de notre Constitution et certains versets coraniques, pour montrer leur incompatibilité avec la charte fondamentale de la Suisse. Il se livre à une lecture fondamentaliste qui, faute de prendre en compte l’épaisseur historique et culturelle des textes, aboutit à une présentation caricaturale. De plus, pour appuyer sa thèse, il doit simplifier la présentation de l’islam et la complexité des questions. Un exemple : le fait de laisser entendre que si la loi coranique était appliquée en Suisse, l’Etat ne devrait plus tolérer que l’on vende de l’alcool (p. 126) ! Pourtant, dans la ville du Caire où l’auteur a étudié, les magasins vendant de l’alcool sont bien présents, alors que la Constitution égyptienne stipule « que les principes de la loi islamique constituent la source principale de la législation ».
Finalement tout ce que Mark A. Gabriel parvient à démontrer dans son réquisitoire est effectivement qu’il y a une incompatibilité entre une lecture du Coran de type fondamentaliste et notre Constitution. Mais un tel constat pourrait également se faire avec nos textes bibliques ! Et lorsqu’il se permet d’estimer le nombre de musulmans radicaux à 8’000 sur les quelques 400’000 musulmans habitants en Suisse (p. 51), on reste plus que dubitatif. Quel est le but recherché pour susciter ainsi la peur et la méfiance, en nous poussant à un amalgame réducteur entre le fondamentalisme islamique et les musulmans de Suisse ?
Un témoignage personnel à entendre, mais...
Le témoignage de Mark A. Gabriel, offert en appendice de « Swislam », mérite d’être lu et entendu ! Mais son approche globale et son éloignement de notre contexte n’en font pas, à mon sens, un guide avisé pour nous conduire dans l’intégration de la population musulmane dans une société suisse de plus en plus multiculturelle et plurireligieuse.
Christian Mairhofer, pasteur dans l’Eglise évangélique des Uttins à Yverdon-les-Bains (FREE)