Les évangéliques font leur examen de conscience et s’engagent à poursuivre la mission du Christ!

jeudi 28 octobre 2010
De retour du congrès « Lausanne III » pour l'évangélisation du monde, qui a eu lieu au Cap, en Afrique du Sud, Norbert Valley nous transmet une interpellation forte de cette rencontre. Il énumère les principales raisons qui ternissent le témoignage et la mission de l'Eglise. Ces causes sont externes et internes: apprenons à les déchiffrer dans le monde qui nous entoure, ainsi que dans nos manquements internes.
Différents problèmes, qui empêchent la croissance du mouvement évangélique en quantité et en qualité, ont été identifiés avec lucidité lors du troisième congrès du Mouvement de Lausanne pour l’évangélisation mondiale.

La mondialisation et la sécularisation de la société, causes externes de la crise de croissance

Selon Os Guinness(1), auteur critique connu, « la mondialisation est un défi monumental qui est tout simplement la manifestation la plus pressante du « monde » à notre époque. Elle constitue la plus grande possibilité de mission – mais aussi le plus grand défi pour faire des disciples – que l’Eglise de Jésus-Christ ait eu à affronter depuis les temps apostoliques du premier siècle. La vision de « l’Evangile tout entier, pour le monde tout entier, par l’Eglise toute entière » n’a jamais été plus proche, ni plus contestée. »
Ce conférencier résume en trois mots le travail de l’Eglise du XXIe siècle : discerner, évaluer et s’engager, en admettant toutefois que la tâche n’est pas simple. Selon lui, une vingtaine d’éléments liés à la transformation du monde sont à étudier. Il mentionne, entre autres, le sens du temps et de l’espace, le sens de la réalité dans un monde en perpétuel changement, le virtuel et l’imaginaire, la valeur du travail, les migrations et le tourisme sexuel.
Parmi les difficultés de la mission dans le monde postmoderne, Guinness évoque en particulier le développement des moyens de communication et la sécularisation. Il mentionne, par exemple, la prédominance du style divertissement, le style clip sonore, les affirmations tapageuses, l’appel fréquent aux seuls sentiments, « l’inattention » dans un monde où « tout le monde parle et personne n’écoute », « l’inflation » des idées et des sources qui fait que tout n’est que « paroles, paroles, paroles », la dépendance envers la communication assistée plutôt que la communication en vis-à-vis... qui s'inspire de l’Incarnation. Et Guinness conclut: « Dans la mesure où ils utilisent les médias modernes sans réserve, les chrétiens réduisent l’Evangile à n’être qu’un baratin publicitaire de plus parmi beaucoup d’autres. »
Cet auteur pense également que la sécularisation donne une illusion de pouvoir qui ne touche pas seulement les agnostiques, mais aussi les croyants. En effet, ceux-ci utilisent des méthodes séculières pour provoquer la croissance de l’Eglise. Ils pensent qu’avec les techniques modernes, ils peuvent évangéliser et faire grandir les Eglises par la seule force de l’intelligence humaine, sans véritable besoin de Dieu.

Touchée par le sécularisme, l'Eglise vit « en tension »
Os Guinness rappelle que l’Eglise est toujours en tension avec la réalité: le chrétien est en même temps dans le monde sans être du monde. « En tant que chrétiens et en tant qu’Eglise de Jésus-Christ, nous sommes appelés par notre Seigneur à être « dans » le monde sans être « du » monde. N’étant « plus » ce que nous étions avant de venir au Christ, nous ne sommes « pas encore » ce que nous serons quand il reviendra. Cet appel vivifiant à vivre une tension, tant dans le temps que dans l’espace, est au cœur de notre foi. Individuellement et collectivement, nous devons vivre dans le monde, dans une position qui est à la fois oui et non, affirmation et antithèse, « contre le monde et pour le monde »... Ce défi entraîne une conséquence inévitable : dans chaque génération, la fidélité chrétienne exige une compréhension claire du monde. Le point de vue biblique sur « le monde » a plusieurs dimensions, allant du monde que Dieu a créé et qu’il aime à celui qui est « opposé » au Royaume du Christ. Nous avons donc besoin d'une compréhension nuancée et de réponses multiples à ce sujet. De manière positive, nous devons comprendre le monde, parce que c'est un préalable à notre témoignage. En effet, la communication présuppose toujours la compréhension du contexte. De manière négative, nous devons comprendre le monde, afin d'être capables de ne pas nous y conformer. Parce que nous ne pouvons éviter que ce que nous comprenons correctement. »

a) L'évangile de la prospérité et la guérison
L’évangile de la prospérité est l'une des manifestations du sécularisme. Dans un multiplex consacré à ce sujet – animé de manière remarquable par trois Africains – le Dr Asamoah-Gyadu, du Ghana, associe à l’évangile de la prospérité la promesse de guérison à tout prix : « Je critique l’évangile de la prospérité, parce qu’il a une orientation matérialiste ! Il est différent de parler des choses matérielles et d’avoir une approche matérialiste de la présentation de l’Evangile. Au Ghana, nous avons eu de grandes croisades d'évangélisation. Parfois, des familles ont loué des voitures et fait des dépenses importantes pour participer à ces rencontres. Une ou deux guérisons ont eu lieu, mais les autres participants sont rentrés dans le même état. Personne ne s’est occupé d’eux ». En apportant son témoignage personnel, Daniel Bourdanné, du Tchad, ajoute qu’il croit à la guérison divine, mais dénonce la manipulation de ceux qui font de la guérison un objectif absolu: « Je crois que Dieu peut guérir et ressusciter des cadavres. Je suis un miracle vivant. J’étais mort et mon père a prié et je suis revenu à la vie. Mais la question est de savoir de quelle manière nous pouvons être dans la perspective de Dieu et dépendre de lui ! Dieu guérit, mais il ne doit pas guérir. La guérison est du domaine de sa souveraineté, et nous ne pouvons pas le manipuler. Certains disent: « Vous ne guérissez pas en raison d’un péché ou du manque de foi ! » Mais les Eglises aussi, font des fautes. Et nous considérons parfois la pauvreté comme un péché. »

b) L’évangile de la prospérité et la cupidité
« L'évangile de la prospérité fait beaucoup de victimes, particulièrement dans les pays pauvres, affirme le Nigérien Femi Adeleye (2). Dans un contexte d’extrême pauvreté existe une attente de bien-être. Certains prédicateurs tordent le sens de la parole de Jésus au sujet de la vie en abondance de Luc 6.38 et Jean 10.10. Dans nos pays, une minorité de gens contrôle les biens. Les prédicateurs manipulent les pauvres en leur promettant la prospérité et ils empochent les offrandes pour eux-mêmes. Ce scandale intervient dans un contexte où les pauvres ont le sentiment d'avoir perdu leur dignité. Pour beaucoup, l’Eglise est leur seule espérance. L’évangile de la prospérité est très attractif pour ces gens qui espèrent des miracles. »
Une autre participante africaine nuance le propos en rappelant qu’il ne faut pas non plus prêcher un évangile de la pauvreté. « On a souvent prêché qu'il était normal d’être pauvre pour un chrétien, explique-t-elle. Du coup, les gens ont perdu l’espérance d’une amélioration de leur situation. Par conséquent, ils ont perdu le goût de l’initiative. Dieu promet à ceux qui mettent leur confiance en lui de pourvoir à leurs besoins ».
De son côté, Chris Wright (3) rappelle que l’apôtre Paul dénonce l’idolâtrie de la cupidité (Col 3.5). Il explique: « La Bible reconnaît la richesse légitime comme un don de la générosité de Dieu. Mais elle parle bien plus souvent de l’idole que la richesse peut facilement devenir. Dans toute la Bible, on trouve des avertissements à l’encontre de la cupidité et du danger de convoiter la richesse. Certains ont été formulés par Jésus lui-même. Jésus et Paul ont donné l’exemple d’une dépendance de Dieu dans la simplicité et le contentement ».
Chris Wright termine son discours en posant plusieurs questions pertinentes. Il demande : « (1) L’évangile de la prospérité est aujourd’hui une des manifestations du christianisme les plus répandues sur Terre. Comment doit-il être évalué sur le plan biblique ? A quoi son succès galopant doit-il être attribué ? (2) Ceux qui prêchent la prospérité citent souvent la Bible, mais le font-ils avec intégrité ? Certains enseignent la prospérité en soulignant les exhortations bibliques à travailler dur et à se prendre en charge. Mais bien d’autres font purement appel à la cupidité et à l’ambition. (3) L'évangile de la prospérité fleurit dans des contextes de pauvreté et de manque d’opportunités. Mais apporte-t-il une réponse biblique à ces besoins, en particulier si cette approche accorde peu d’attention aux questions de justice que soulève la Bible ? »

Pouvoir, succès et immoralité
Chris Wright  dit à ce sujet : « La tentation de la recherche du pouvoir et de la position est très forte. Et, malheureusement, de nombreux responsables évangéliques y cèdent. Ils ne suivent ni l’enseignement du Christ, ni son exemple. La « domination » peut prendre de nombreuses formes au sein de l’Eglise, par le biais des responsables et des pasteurs. Celle-ci se retrouve notamment dans l’abus de confiance, l’exploitation pour le profit personnel, la répression des femmes, la manipulation de l’argent et du pouvoir ».
Une enquête portant sur plus de 10'000 leaders dans le monde donne des résultats inquiétants quant à la qualité du leadership dans les milieux évangéliques. Les chrétiens des Eglises dans lesquelles travaillent ces leaders ont été questionnés quant aux défauts de leurs responsables. Ils ont répondu que ceux-ci étaient orgueilleux, qu'ils avaient toujours raison et se comportaient en grands patrons, qu'ils manquaient d’intégrité, qu'ils étaient indignes de confiance, durs et indifférents, qu'ils refusaient d’écouter les critiques, qu'ils étaient incapables de diriger les gens et de les aider à travailler ensemble, qu'ils étaient spirituellement immatures, qu'ils ne manifestaient pas de signes de sainteté ou de vie de prière ».
L’enquête révèle que les participants à l’enquête attendent de leurs leaders qu’ils soient intègres, authentiques, humbles, saints et spirituellement matures. Ils doivent avoir un excellent caractère, un cœur de serviteur, entendre la voix de Dieu et mener une vie de prière ».
La plupart des orateurs ont souligné la problématique du succès dans les Eglises évangéliques. Le Dr Greg Pritchard, de l’European leadeship forum, dit : « Tant les leaders évangéliques que les donateurs sont centrés sur la comptabilité des conversions qui, selon eux, permet d’évaluer si les dons sont bien utilisés. La pensée évangélique est dominée par le nombre de conversions ». Il continue : « L’appel de Jésus est de faire des disciples, pas des conversions. Bien que Jésus ait parlé à des foules, il a passé la plupart de son temps – durant les trois ans de son ministère public – à former douze disciples. Lorsque Jésus les a appelés à faire des disciples, il leur a enseigné à faire ce qu’il a lui-même fait avec eux: passer une grande part de leur temps dans des petits groupes qui permettent d’intensifier les relations ».
Christ Wright rappelle l’enseignement de John Stott au sujet de l’article 12 de la Déclaration de Lausanne : « La croissance numérique de l’Eglise est presque devenue une obsession pour nous. Ainsi, désireux – voire même déterminés – de garantir une réponse à l’Evangile, nous nous sommes résolus à employer des méthodes douteuses, que Paul aurait presque certainement inclues aux « actions honteuses qui se font en secret », auxquelles il disait avoir renoncé (2 Co 4.2). Nous avons compromis notre message (« falsifié la Parole de Dieu », 2 Co 4.2), en éliminant les éléments indésirables comme le renoncement à soi et le jugement, afin de le rendre plus acceptable pour l’homme moderne ; ou alors nous avons manipulé nos auditeurs par le biais de techniques de pression, ce qui revient à traiter les êtres humains moins bien que des humains ; ou encore, nous sommes devenus excessivement préoccupés par les statistiques – comme si l’œuvre de l’Esprit Saint de Dieu pouvait se réduire à de simples statistiques ! –, ou avons même été malhonnêtes au niveau de leur utilisation, en publiant des rapports pas entièrement justes. Voilà une liste bien déplaisante d’actions honteuses » (Lausanne Occasional Paper 3, p. 45).
Pour Chris Wright, les trois défis principaux de l’Eglise sont actuellement le combat contre les idoles du pouvoir, du succès et de la cupidité. Il rappelle que Dieu nous appelle à nous détourner des idoles en nous consacrant à Dieu et en recherchant à servir dans l’humilité, l’intégrité et la simplicité.
Lors de la cérémonie de clôture du Congrès, les participants ont pu prendre un nouvel engagement dans ces différents domaines durant une liturgie modèle, totalement en cohérence avec les sujets traités au long de la semaine. Les congressistes se sont engagés à être un peuple de la bonne nouvelle, à vivre dans la vérité et l’intégrité qui renonce au succès personnel, à être des ambassadeurs de la réconciliation selon le slogan du congrès: « Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même ». Enfin, ils se sont engagés à terminer la mission d’annoncer l’Evangile à toutes les nations.
Norbert Valley

(1) Os Guinness, critique social et auteur, a cofondé le Forum Trinity. Il est né en Chine de parents missionnaires expulsés en 1951 lors de la révolution culturelle. Il a terminé ses études à Londres et Oxford. http://www.ttf.org/index/about/guinness/
(2) Femi Adeleye est Secrétaire général associé pour le partenariat et la collaboration avec l'Union internationale des étudiants évangéliques (GBU). Il a étudié au Wheaton College et à l'Université d'Edimbourg. Il est l'auteur de "Preacher of a different Gospel" (prédicateur d'un évangile différent) sur le thème de la théologie de la prospérité.
(3) Chris Wright, est un Irlandais qui vit à Londres. Il est le Directeur international de Langham Partnership International. Il est président sortant du groupe de travail théologique du mouvement de Lausanne.

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