Face à la crise écologique, de nombreuses personnes perdent espoir au vu de l’impact négatif de plus en plus important de l’être humain sur la nature. Comment percevez-vous cela ?
Nous voyons une augmentation du désespoir, de la crainte et même de la colère parmi les personnes impliquées dans la lutte pour l’environnement. Nombre de chrétiens ont tendance à critiquer cela et considèrent que nous devrions répondre à la crise climatique par l’amour et l’espérance. A mon avis, il faut écouter attentivement ceux qui désespèrent de la situation. Il y a dans cette attitude quelque chose de profondément biblique, notamment par rapport à la manière de répondre à une crise. Si nous considérons comment, dans l’Ancien Testament, le peuple de Dieu réagissait à un temps de crise que ce soit face à une famine, face à l’exil ou face à une autre catastrophe, nous découvrons cette grande tradition biblique qui commence avec le désespoir et la colère, qui se transforme ensuite en lamentation et dans le fait de reconnaître que nous avons à nous jeter aux pieds de Dieu et à demander sa miséricorde… Lorsque j’écoute les propos de Greta Thunberg ou d’autres personnes engagées dans la cause écologique, je perçois aussi beaucoup de désespoir et de colère. A mon sens, nous ne devons donc pas critiquer, mais écouter ces voix, et peut-être même nous identifier à elles. Pour moi, ces voix sont celles des gémissements de la création (Romains 8.22). Nous tenir aux côtés de ces personnes en nous lamentant et en nous repentant, me paraît être une bonne attitude.
Des membres de l’organisation A Rocha sont impliqués dans le mouvement « Extinction Rebellion ». Comment voyez-vous cela ?
Le mouvement « Extinction Rebellion » fait polémique, parce qu’il encourage à la désobéissance civile non violente en enfreignant les lois, en rendant difficile le développement des affaires et en bloquant le trafic au point même que certains manifestants sont arrêtés. Pour les chrétiens, c’est toujours une question difficile. Au cours de l’histoire, il y a eu passablement de discussions sur la manière dont nous devrions nous comporter par rapport aux autorités. Souvent certains se précipitent sur l’épître de Paul aux Romains (chapitre 13) qui dit que nous devons nous soumettre aux autorités instituées par Dieu et leur obéir. Certes une telle exhortation a été écrite dans une période d’oppression et d’esclavage, mais il y a d’autres passages bibliques, notamment dans l’Ancien Testament, où nous entendons la voix de prophètes qui s’expriment contre les autorités, qu’elles soient royales ou religieuses… A mon sens, nous avons besoin de chrétiens qui plaident la cause écologique en dialoguant de manière bienveillante avec les autorités et en la défendant par les moyens démocratiques à disposition. Nous avons aussi besoin de chrétiens prêts à mettre leur vie en difficulté et disposés à être arrêtés. En fonction de votre situation dans la vie, de votre âge et des conséquences qu’une arrestation pourrait avoir pour vous, les deux attitudes me paraissent possibles. Ce qui est important, c’est que nous plaidions pour que nos autorités avancent bien plus vite sur ce sujet que ce qu’elles ont fait jusqu’à maintenant.
Quand vous parlez de la crise écologique actuelle, vous soulignez que le mouvement écologiste est lui aussi en crise et qu’il connaît défaite sur défaite. Pourquoi affirmez-vous cela ?
Lorsque je dis cela, je m’exprime à partir de l’engagement d’une ONG comme A Rocha qui lutte depuis de nombreuses années pour la préservation de l’environnement. Le mouvement écologiste existe en Europe et en Amérique du Nord depuis plus d’une centaine d’années. Nous avons mené de bonnes études scientifiques sur la vie sauvage et sur le comportement des animaux. Nous avons mis en place des parcs nationaux et réalisé des campagnes. De nombreuses associations ont été créées pour protéger la nature… Et si nous regardons la situation globale actuelle, nous nous rendons compte que, depuis les années 1970, plus de 60 pour cent de la biodiversité a disparu. Beaucoup de personnes impliquées dans la préservation de l’environnement admettent qu’elles ont échoué. En dépit des recherches scientifiques de qualité, en dépit de l’engagement public important, en tant que mouvement nous avons échoué à mettre en place d’autres comportements.
On entend la même chose parmi les personnes qui se mobilisent contre le réchauffement climatique. Depuis de nombreuses décennies, nous voyons les signes annonciateurs du désastre et aujourd’hui cela se passe sous nos yeux, semaine après semaine. Dans certaines parties du monde, ces signes sont renversants. Et nous voyons toujours nos gouvernements traîner les pieds, et certaines activités humaines et commerciales résister au changement. Par ailleurs, de nombreux consommateurs comme vous et moi sont tellement habitués à leur confort qu’ils ne changent pas, même quand leur comportement détruit l’environnement. Parmi les personnes engagées dans la préservation de l’environnement, nous admettons tous que nous avons échoué à rendre la situation meilleure.
Alors dans ce contexte de crise désespérée, qu’apporte la foi chrétienne ?
Pendant les trente dernières années, au travers de mon engagement et de mes écrits, j’ai essayé d’examiner l’enseignement de l’entier de la Bible à propos de la création. Ce que nous voyons fondamentalement, c’est que Dieu a créé un monde bon. Ce qui est matériel a été béni par Dieu. Le Seigneur considère le tout comme étant « très bon » (Genèse 1.31). Il importe de redécouvrir la beauté de la nature et l’émerveillement à son endroit. Deuxièmement, la Bible est très réaliste. Nous vivons dans un monde en rupture et nous sommes marqués par la Chute. Nous avons brouillé notre relation à Dieu, les uns avec les autres, et avec la nature. Nous avons donc besoin d’aide. Nous, les humains, nous n’allons jamais sauver la planète par nous-mêmes. C’est une perspective importante que nous pouvons amener dans cette discussion, parce que de nombreux écologistes pensent que nous pouvons sauver la planète. Ils sont désespérés, quand ils voient que nous échouons. En tant que chrétiens, nous savons que nous ne pouvons pas le faire par nous-mêmes, mais nous croyons en un Dieu qui est engagé à l’endroit de la création. La Bonne Nouvelle de Jésus-Christ n’est pas seulement une Bonne Nouvelle pour les êtres humains, mais aussi pour toute la création. L’évangile de Jean le dit bien : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a envoyé son Fils unique, Jésus-Christ, pour le sauver » (Jean 3.16). En grec le mot « monde », c’est « cosmos »… Donc, Dieu a tellement aimé le « cosmos » qu’il a envoyé son Fils unique. La venue de Jésus intervient pour restaurer les relations rompues à cause du péché. Cela signifie que notre relation avec Dieu est restaurée pleinement, mais aussi que nos relations sociales au sein de la société humaine le sont, tout comme nos relations avec la terre et les autres créatures. Toutes ces relations bénéficient d’une espérance nouvelle au travers de la venue de Jésus-Christ et par le fait qu’à la fin, Dieu va restaurer et renouveler l’entier de la création.
Pratiquement, n’y a-t-il rien à faire ?
Non ! Notre espérance chrétienne doit nous motiver à nous impliquer dans la lutte contre la crise climatique. Premièrement, nous devrions prendre certaines mesures au plan individuel, dans nos familles et nos maisons. Chacun devrait demander au Seigneur ce qu’il a à entreprendre au premier chef et ensuite opérer progressivement des changements. Certains sont très pratiques. Ici en Occident, à mon sens, nous devrions manger moins de viande. Non pas pour des raisons théologiques, mais éthiques, parce que la viande est l’une des sources majeures d’émissions de CO2 et une des causes de la déforestation dans le monde aujourd’hui.
Nous devrions utiliser moins d’énergie, donc nous assurer que nos maisons sont plus efficaces dans le domaine énergétique. Utiliser moins d’énergie fossile et nous tourner vers le renouvelable est aussi une priorité. Nous devrions limiter les émissions de CO2 dues à nos voyages. Certains d’entre nous devraient moins voyager en avion ou, tout simplement, arrêter de le faire. Notre prise de conscience de la crise écologique devrait nous pousser à utiliser moins notre voiture, à la partager avec d’autres et à utiliser les transports publics. Au moment de changer de voiture, nous devrions opter pour un véhicule électrique. Du point de vue alimentaire, il me semble aussi important de consommer des produits locaux qui affichent une empreinte carbone limitée.
Il importe aussi de réduire de manière drastique notre consommation de plastique. Plus je réfléchis à la question du plastique, plus je réalise que la manière dont nous l’avons utilisé était insensée. Il est devenu le symptôme du gaspillage sans scrupule auquel nous nous adonnons dans la création bonne de Dieu. Il pose des problèmes immenses dans les écosystèmes que ce soit sur terre ou sur mer.
Il importe aussi de réfléchir à ce que nous mettons en place en tant qu’Eglise et dans nos activités professionnelles. Il est important de travailler avec d’autres dans nos villes et nos villages, de quitter notre quant-à-soi chrétien et de chercher les personnes de bonne volonté et de paix qui travaillent déjà localement ces questions. J’encourage donc les Eglises à s’engager avec les groupes écologistes qui plaident la cause de la préservation de la nature au plan local, régional, national et international.
Propos recueillis par Serge Carrel