Pour Jacques Blandenier, Calvin doit intéresser les évangéliques du XXIe siècle !

vendredi 23 janvier 2009
2009 est l’année Calvin. Cinq cents ans après sa naissance, le réformateur de Genève doit-il être rangé dans la galerie poussiéreuse des ancêtres respectables mais dépassés? Jacques Blandenier, qui vient de publier « Martin Luther & Jean Calvin. Contrastes et ressemblances ». plaide le contraire. L’ancien formateur d’adultes de la FREE nous livre ici ses réflexions.

Sommes-nous concernés par l’année Calvin 2009 ? Cinq cents ans après sa naissance, le réformateur de Genève doit-il être rangé dans la galerie poussiéreuse des ancêtres respectables mais dépassés, célèbre mais inconnu ?
On pourrait passer beaucoup de temps à tordre le cou aux nombreuses caricatures dont Calvin est victime. Ce ne serait pas inutile, car elles font de lui un personnage qui rebute bien plus qu’il n’attire et nous font douter qu’il puisse être « intéressant » pour nous aujourd’hui. Tel n’est pourtant pas le but de ces lignes.
Si nous autres évangéliques avons de fortes raisons de nous intéresser à Calvin, c’est pour le laisser faire parmi nous, comme il l’a fait en son temps, son métier de réformateur ! Ce qui ne va pas de soi, et on peut craindre que l’année Calvin 2009 soit une occasion de récupérer cet homme d’un format exceptionnel plutôt que le laisser nous bousculer comme il a bousculé – souvent sans ménagement ! – ses contemporains. Voici quelques points, parmi d’autres, à propos desquels il m’a paru que Calvin peut réformer et vivifier notre foi. Des points que nous n’ignorons sans doute pas, mais qui sont trop souvent mis en sourdine – inconsciemment sans doute – dans notre foi et notre piété.

A Dieu seul la gloire !
En premier lieu, la gloire de Dieu, raison d’être de la vie humaine (1). Toute l’architecture de l’enseignement de Calvin est structurée autour du thème de la gloire de Dieu et toute l’éthique calviniste est un appel à le glorifier. Sans doute nos cultes accordent-ils une large place à la louange, et louer Dieu, c’est célébrer sa grandeur. Mais peut-être le louons-nous surtout pour le bénéfice que nous obtenons de sa présence et de son œuvre en notre faveur. Ce qui n’est pas faux du reste ! Calvin cependant nous invite à une démarche plus radicale. Notre vie, notre pensée, nos échelles de valeur et nos décisions doivent être réorientées en fonction de la gloire de Dieu. Car Dieu n’est pas là pour nous, mais nous sommes là pour lui. Révolution copernicienne, a-t-on pu dire à propos de la théologie de Calvin : comme l’astronome a démontré que ce n’est pas le soleil qui tourne autour de la terre, mais la terre autour du soleil, de même Calvin nous invite à un décentrement : je ne suis pas le centre du monde ! Il faut que nous devenions théo-centriques, et non plus anthropo-centriques, voire égo-centriques, aussi bien dans nos raisonnements et notre piété que dans notre comportement quotidien.
Parler de la gloire de Dieu, c’est être conscient de sa majesté souveraine. Que Dieu se soit fait humble et serviteur en son Fils, nous le confessons avec Calvin ! Mais une saine compréhension de la doctrine de la Trinité nous évite d’ « aplatir » Dieu à notre dimension. L’incarnation et la proximité de Dieu en Jésus n’ôte rien au fait qu’il est le Dieu suprême, saint et tout-puissant, digne d’inspirer notre crainte (une notion fort peu à la mode aujourd’hui, mais que nous aurions besoin de retrouver…) (2).

Sauvés par la seule grâce de Dieu
Calvinisme austère et écrasant ! direz-vous. Non, au contraire, car un deuxième point est étroitement lié au premier : la grâce souveraine et pleinement suffisante de Dieu. A l’unisson avec Luther (…et Paul), Calvin enseigne la justification par la foi seule, grâce au sacrifice de Jésus-Christ crucifié. La grandeur infinie de Dieu se manifeste par son amour infini pour ceux qu’il a décidé de sauver gratuitement. Le Dieu souverain n’est pas Allah ou Zeus tonnant du haut de l’Olympe, mais le Dieu révélé en Jésus-Christ notre Sauveur. Précisément parce que le salut est l’œuvre de Dieu et de Dieu seul, et que nous n’avons pas besoin de l’aider à nous sauver, toute la gloire lui en revient. La vision de la gloire de Dieu que nous propose Calvin (et il l’a découverte dans la Bible !) n’est pas écrasante, mais libératrice. C’est lorsque Dieu est reconnu comme Dieu que l’homme peut enfin être reconnu comme humain, et retrouver sa dignité. Message libérateur, face à l’anxiété de ne jamais être certain d’avoir accompli les rites et fourni les œuvres nécessaires à l’obtention du pardon divin. Message libérateur face à toutes les inquiétudes que suscitent les drames et les bouleversements de ce monde.
A ce stade, il ne faut pas sauter à pieds joints par-dessus la doctrine calviniste de la prédestination, si impopulaire aujourd’hui. Qu’on y souscrive ou non, une évidence s’impose : pour Calvin, l’élection divine ne tue pas la liberté mais la rend enfin possible. Elle est la conséquence logique de la foi en la toute-puissance de Dieu et en la pleine suffisance de sa grâce. Celui qui se sait élu par Dieu sait dès lors que sa vie a une (pré-)destination, une raison d’être, une mission. Elle n’est pas livrée à l’arbitraire d’un clergé ou au hasard d’un destin aveugle. C’est l’inverse du fatalisme ! La grâce, parce qu’elle est donnée par le Dieu souverain, peut faire de nous des hommes et des femmes debout, responsables, entreprenants, inflexibles devant les conditionnements du monde et la pression des pouvoirs. Pensons à la résistance des Huguenots face au pouvoir persécuteur des rois de France : ils savaient leur destinée entre les mains d’un Roi infiniment plus puissant que Louis XIV ! L’histoire démontre que les régions ayant adhéré au calvinisme, loin d’être écrasées par le fatalisme, ont connu un dynamisme économique et culturel mesurable.
Nous oscillons trop souvent entre une religion légaliste et un christianisme fade, sans conséquences pratiques. La grâce, telle que la prêche Calvin, n’est pas une prime à la facilité, à la médiocrité, mais une puissance transformatrice. Elle est la réponse à nos incapacités ou à nos efforts illusoires, et rend toute la gloire à Dieu, auteur unique de notre salut.

L’autorité des Ecritures
Lorsque Calvin s’est établi à Genève, suite à l’insistance de Guillaume Farel qui avait amené la ville à la Réforme (1536), il n’a pas voulu d’autre titre que celui de « lecteur en la sainte Ecriture ». Si l’on pense à l’extraordinaire influence de Calvin dans l’histoire de la civilisation occidentale, il faut se souvenir qu’il n’a jamais eu d’autre pouvoir que celui de la Parole. Homme de la Bible, il l’a prêchée sans relâche (286 sermons par année, selon son ami Théodore de Bèze !), il l’a étudiée minutieusement, appliquant toute son intelligence et sa prière afin de la comprendre et de l’enseigner avec autorité. Une formation biblique solide des futurs pasteurs était pour lui une priorité dans la perspective de l’implantation et de la croissance d’une Eglise en France, qui a été impressionnante durant les vingt dernières années de la vie du réformateur, en dépit de la persécution.
On dira peut-être que nos Eglises sont effectivement des Eglises de la Bible – n’a-t-on pas accusé les évangéliques d’être des bibliolâtres ? C’est vrai… ou c’était vrai. Car il est permis de s’interroger sur la profondeur du travail biblique nourrissant nos prédications et sur la fréquence et la fréquentation de nos études bibliques. Mais n’allons pas croire que Calvin nous invite à une étude des textes intellectualiste et desséchante. Chez lui, la rigueur et l’effort d’objectivité dans l’écoute du texte est motivée uniquement par le souci de laisser toute autorité à la Parole de Dieu, au-dessus de nos tendances et opinions, de nos états d’âme et de nos expériences spirituelles, au-dessus de nos carcans doctrinaux. Et cela, pour que, par le Saint-Esprit, cette Parole porte du fruit dans la vie de l’Eglise et celle des croyants. J’aime particulièrement cette pensée de Calvin qui ne cesse de m’interpeller : « La Parole de Dieu n’est pas pour nous apprendre à babiller, pour nous rendre éloquents et subtils, mais pour réformer nos vies. »
Sola Gratia, sola Fide, sola Sciptura : la grâce seule, la foi seule, l’Ecriture seule : c’est la trilogie de la doctrine de Calvin. Et cela pour que Soli Deo Gloria : à Dieu seul soit la gloire !

La Providence divine
En appendice – mais c’est plus qu’un post-scriptum – un aspect de la pensée de Calvin est propre à nous interpeller aujourd’hui. Nous ne parlons guère de la Providence divine, et pourtant ! Elle est une conséquence logique de ce que nous avons rappelé jusqu’ici. La Providence, c’est Dieu dans son œuvre générale en faveur de sa création. Calvin sait que Dieu ne s’est pas retiré dans un ciel lointain après avoir créé le monde. Il continue de veiller sur lui avec miséricorde. Cette grâce générale, exprimée en particulier dans l’Alliance avec Noé après le déluge (Genèse 8 et 9), fonde l’engagement chrétien dan la société. On a parlé parfois de « théocratie » à propos du régime politique de Genève. C’est faux ! Jamais Calvin n’a confondu l’Eglise et l’Etat, le ministère ecclésiastique et le pouvoir politique – son intransigeance sur ce point lui a valu d’être expulsé de Genève durant trois ans ! Et il n’a jamais exercé de mandat politique.
Pour autant, Calvin n’a jamais imaginé que Dieu puisse abandonner la société civile à ses démons, d’où une réflexion exigeante dans les domaines culturel, économique et social qu’il serait trop long d’exposer ici. Calvin nous stimule, comme évangéliques, à ne pas nous  replier sur le bien de nos âmes et sur l’Au-Delà, mais à être des hommes et des femmes responsables et actifs dans une société où règne un matérialisme qui génère tant de pauvretés et d’injustices sociales.

Jacques Blandenier, auteur du livre: « Martin Luther & Jean Clavi. Contrastes et ressemblances »

Notes
1 Comme le disent clairement les premières lignes du Catéchisme de Calvin (1542) : « Dieu nous a créés et mis au monde pour être glorifié en nous. Il est bien raisonnable que, puisqu’il est l’auteur et le principe de notre vie, nous la rapportions toute à sa gloire. »
2 Non pas au sens de peur, mais de respect, de conscience que nous sommes des humains très petits et très indignes devant sa divinité.

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