L’économie privée qui cherche à valoriser la personne et les relations humaines a le vent en poupe. « C’est une autre vision de l’économie, explique Michaël Gonin, 38 ans, chercheur sur le sujet et membre de l’Eglise La Chapelle à Renens (FREE). Elle veut corriger les abus du capitalisme, tout en en gardant certains principes fondamentaux. C’est une économie privée dont les acteurs visent un profit limité qu’ils subordonnent à des objectifs sociaux. » Cet enseignant à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) a ainsi réfléchi avec ses étudiants à des projets comme la construction de lampes solaires à batteries prepaid pour remplacer celles à pétrole en Afrique ; ou encore au partage ici en Suisse de voitures avec application en ligne. « A chaque fois, le progrès technique est réfléchi en fonction d’un progrès social », se réjouit-il.
A quoi sert l’économie solidaire ?
Il serait plus juste de poser la question de qui elle sert. Car l’objectif, c’est l’humain, le développement de la société dans son ensemble au profit de toutes les personnes. L’économie dominante s’est en fait construite sur l’idée que « la marée montante ferait monter tous les bateaux ». Or écologiquement, on a aujourd’hui un problème. Et on n’a pas réussi à sortir les pays dits en développement de la misère. Dans le même temps, on connaît toujours plus de pauvres dans nos pays occidentaux. La marée n’a apparemment pas profité à tous. Il y a donc une nouvelle économie à développer de façon impérative !
Est-ce qu’il n’y a pas un effet de mode qui réjouit surtout les « bobos » ?
Oui, mais pas seulement. L’économie solidaire réjouit d’abord tous ceux qui sont dans le besoin et qui trouvent ainsi de nouveaux biens et services, y compris des emplois « normaux » en-dehors des associations caritatives ; et puis elle réjouit la jeune génération, qui veut savoir à quoi sert son travail : je vois toujours plus d’étudiants qui cherchent des emplois dont ils voient l’utilité pour la société ; et finalement, elle réjouit des quadragénaires en crise qui quittent un bon poste dans l’économie dominante pour ouvrir une petite boutique. Côté consommation, on réalise qu’on n’est pas plus heureux en consommant toujours plus. Je crois qu’il y a une fatigue du système actuel, que l’on a envie d’autre chose. Les gens veulent garder la logique de marché qui permet le choix, mais un marché qui respecte et contribue directement au développement de la société dans son ensemble. Y compris les questions écologiques. Cela devient une réflexion qui touche tous les aspects de la vie.
Quelles formes prend cette économie ?
Il y a par exemple en Suisse romande une résurgence des coopératives. Le commerce équitable ou bio, ainsi que l’économie de proximité ont par ailleurs le vent en poupe. On trouve des acteurs de cette économie solidaire dans tous les secteurs : il existe des banques alternatives ; on développe des projets de logements intergénérationnels qui incluent également des espaces de travail partagés ; le carsharing entre également dans cette logique ; il existe à Genève une coopérative en services informatiques : cela reste marginal si on prend l’économie suisse dans son ensemble, mais cela impacte toujours plus de gens.
En quoi cette économie rejoint-elle le chrétien que vous êtes ?
Les notions de service, d’amour de l’autre et de justice sont au cœur de la mise en pratique de ma foi chrétienne. Or elles sont également centrales dans ce genre d’économie. Je ne veux pas par exemple que le paysan n’arrive pas à vivre avec ce que je paie pour mon lait... Je ne peux pas simplement dire : « C’est la loi du marché. » Au niveau travail, je me réjouis de voir autant de non-chrétiens vivre de mandat en mandat par conviction pour des enjeux sociaux sans revenu fixe. Ils y arrivent sans Dieu. Il y a là pour moi une interpellation forte aux chrétiens et aux Eglises.
Gabrielle Desarzens