Les institutions de formation théologiques sont en crise et on pourrait penser que ce problème ne touche que l’hémisphère nord. Détrompez-vous! Je viens de prendre connaissance d’un document de travail, non diffusé officiellement, de la communauté théologique de Mexico, qui décrit exactement les mêmes symptômes d’une sorte de maladie qui semble toucher nos écoles spécialisées. On pourrait penser que les facultés (de théologie) du Nord sont tributaires de la déchristianisation occidentale et que, dans le Sud, au contraire, là où les communautés chrétiennes progressent, comme en Amérique latine, ce serait différent. Cette situation comparable devrait nous mettre la puce à l’oreille et nous faire poser quelques questions qui font mal.
Facultés obsolètes?
Osons donc une première question! Nos instituts et autres facultés de théologie, ne sont-ils pas simplement obsolètes et ne répondent-ils plus qu’à une minorité, en faisant croire à la majorité qu’ils sont indispensables? A mon avis, le modèle de formation hérité de la Réforme et lancé sur les rails par les humanistes comme Lefèvre d’Etaples ou Erasme de Rotterdam, suivis par les Luther et les Calvin, a fait son temps. Bien sûr, au fil des siècles l’institution a travaillé dur pour apporter des améliorations et des amendements. La dernière en date est pilotée par d’éminents professeurs, très respectables – et je ne dis pas cela avec le sourire en coin ! Ce sont des personnes que j’estime. Elles développent le projet d’une Haute Ecole de théologie protestante en Suisse romande pour offrir autre chose que ce que proposent les facultés de théologie traditionnelles.
Prenons un autre exemple. On ne peut pas reprocher à l’Institut biblique et missionnaire Emmaüs à St-Légier de s’être tourné les pouces pour améliorer son niveau d’enseignement. Au contraire, c’est une école qui peut rivaliser avec la majorité des institutions de ce type, en Europe. Pourquoi a-t-il alors de la peine à recruter? Pourquoi n’y a-t-il pas plus d’intérêt pour un tel outil de formation? Il y a bien sûr des explications de type économique, avec un franc suisse très fort, ou la concurrence entre écoles, etc. Les jeunes de Suisse préfèrent peut-être également voyager et se former au Canada, aux Etats-Unis ou en Australie. Mais le fond du problème est ailleurs.
Les instituts et facultés, à côté de la plaque?
Nos facultés de théologie ou nos instituts bibliques sont-ils à côté de la plaque? Par plaque, j’entends la plaque culturelle. Un peu comme un iceberg qui se détache de la banquise à cause du réchauffement climatique. Les facultés de théologie sont larguées par le plus grand nombre et dérivent lentement, pour finalement fondre. Mon analyse est caricaturale, mais à y regarder de près, n’est-ce pas un peu ce qui se passe avec le système scolaire actuel? Il est tout le temps en train de se réformer et de chercher de nouveaux moyens de s’adapter à la culture montante. Dans le passé, l’école était le centre de la « banquise » culturelle. Elle n’avait pas besoin de se réformer. Comme l’église (du village) était la plupart du temps adossée à l’école, physiquement et culturellement parlant, elle ne se faisait pas de soucis. Aujourd’hui la radio, la télévision, internet, Youtube, Google, Facebook et autre Twitter ont « réchauffé » la « banquise » et nos facultés nous disent : « Venez sur notre iceberg. » La faculté de théologie n’est plus au cœur de la culture de notre monde. Et ses problèmes viennent de là. Une autre façon d’appréhender la réalité nous entoure. Comment envisager une formation théologique à partir des nouveaux paradigmes culturels? Que ferait actuellement un Luther ou un Calvin? Ils sauteraient, comme à l’époque, dans le nouveau contexte culturel qui laissait les monastères sur leur « iceberg ». Ces réformateurs n’ont pas créé une Haute Ecole du Monastère!
Une nécessaire prise en compte de l’émotionnel
Le point de friction se retrouve entre les tenants de la réflexion dite scientifique et ceux qui pensent qu’on peut aussi réfléchir aux choses de la vie d’une autre manière. Claude Lévi-Strauss, l’anthropologue français, déplorait, dans une interview télévisée, qu’on définisse l’humain comme homme « pensant » au lieu de le définir comme homme « vivant ». Cette autre manière de percevoir est en relation avec ce que l’on ressent. On ressent les situations avant de pouvoir les expliquer. Comment expliquer d’une manière scientifique un don spirituel comme celui de la guérison, des visions ou des images à portée prophétique? L’académie a complètement zappé ce genre d’approches, parce qu’elle était incapable de les appréhender autrement que par la description. Ce qui fait que des théologiens formés dans nos universités se retrouvent en face d’un monde spirituel qui leur est étranger et se laissent facilement embarquer par des spiritualités de type ésotérique, qui n’ont plus rien à voir avec l’Evangile. Même si, sous nos latitudes, on est encore loin, parmi les évangéliques, de ce type de déviances, il existe des exemples concrets, observés sur le terrain, en Amérique latine. Les petits prophètes de l’Ancien Testament auraient été de très mauvais étudiants dans nos facultés. Par contre, l’apôtre Paul passerait son temps à faire des conférences internationales dans nos instituts de formation. Toute culture et toute civilisation est partielle. Il n’y a que Dieu qui puisse voir l’humanité et les besoins (culturels) dans son ensemble. Nous l’avons oublié avec la culture du livre, soubassement essentiel de l’enseignement théologique actuel. Elle n’est que partielle, fragmentaire. Elle ne couvre pas tout le spectre spirituel. Le professeur d’une fac aime se faire photographier dans son immense bibliothèque. Le nouveau théologien se fera photographier en train de tapoter sur son smartphone ou sa tablette.
Et quelle serait l'alternative?
Ce serait inadéquat de vouloir éliminer le système de formation théologique universitaire. Ce qui est important, c'est de déplacer le centre de gravité de la formation. Ne plus la confier exclusivement aux facultés et autres instituts. Il faudrait que l'Eglise, en général, prenne le relais. D'une part pour sélectionner les futurs cadres de la communauté, pour les former, et, d’autre part, pour valider le savoir-faire, le savoir-être et les connaissances du futur pasteur. Ce n'est plus le diplôme qui ferait office de sésame pour entrer dans le ministère, mais l'approbation de la communauté. Et cette approbation se ferait suite à un engagement pratique de la personne au sein de la communauté et non sur la base des cours qu’elle aurait suivis. Un peu à l’image de l’apprentissage des métiers manuels ou commerciaux. L'influence des facultés ne serait plus centrale, mais elle serait reportée à la périphérie du système de formation. Il ne faudrait pas que la communauté formatrice copie le système de formation de la faculté: cours, travail intellectuel, etc. Pourrait-on imaginer que des communautés soient reconnues pour leur capacité de former de futurs pasteurs et qu'elles puissent servir d'autres communautés, moins compétentes? Les sélectionnés ne seraient pas détachés de leur communauté d’origine. Les futurs pasteurs prendraient, peut-être, des cours à la faculté de théologie. Mais ce futur pasteur ou « missionnaire » suivrait peut-être aussi des cours de menuiserie, parce qu'il veut servir son prochain dans un cadre plus social. On pourrait aussi valoriser le filtre de l'apprentissage « maître-disciple » ou celui des Ecoles de disciples de Jeunesse en Mission. Bref, aucun type de formation n’est supérieur ou inférieur à un autre, alors qu'actuellement la formation en faculté est considérée comme le « must » pour un pasteur. Qu'importe les sources de formation et leur niveau, l'essentiel, c'est que la communauté constate que la personne sélectionnée pour un futur ministère est capable d'accomplir sa tâche. Ça permettrait d'avoir aussi des profils de pasteurs différents, alors qu'aujourd'hui nos futurs cadres sont moulés d'une manière très uniforme. La société se divise de plus en plus en tribus et chacune a un fonctionnement très différent de sa voisine.
En conclusion, je citerai Michel Mafessoli, professeur de sociologie (un universitaire!), qui dit ceci: « On a du mal à gérer le glissement du rationnel vers l’émotionnel. » J’y ajouterai: aussi dans le cadre des facultés de théologie et des instituts bibliques !
Henri Bacher