Comment réagissez-vous à l’acceptation par le peuple suisse de l’initiative anti-minarets ?A Portes Ouvertes, notre réaction est mitigée. En tant qu’association chrétienne travaillant pour les chrétiens persécutés, nous n’avons pas pris position parce que nous ne souhaitons pas jouer de rôle politique. Mais dès le début du débat, nous avons écrit qu’au travers de cette initiative les Suisses incitaient à un choc des symboles. Ce qui est réjouissant, c’est que les Suisses ont osé exprimer leurs craintes, et, à mon sens, une partie de ces craintes est fondée. Ce qui est gênant, c’est qu’on inscrive dans la constitution un article interdisant la construction de minarets.
Cette acceptation va-t-elle rendre plus difficiles vos activités dans les pays musulmans ?Nous avions décidé bien avant cette votation de commencer en 2010, ici en Suisse, un travail de lobbying en faveur des minorités chrétiennes. Des délégations de pays difficiles pour les chrétiens viennent en visite officielle en Suisse. Nous aimerions que tout soit entrepris pour que la situation des chrétiens puisse être évoquée lors de ces entrevues officielles. A l’avenir, on nous dira sûrement : « Vous nous demandez la réciprocité, mais cette réciprocité vous ne l’offrez pas, vous avez interdit la construction de minarets. Faites donc déjà le ménage chez vous ! »
Par ailleurs, sur le terrain, on vient d’apprendre qu’en Turquie un groupe est allé voir un prêtre et lui a donné 10 jours pour descendre la cloche de son clocher sous peine de mort, parce que la Suisse a dit oui à l’initiative anti-minarets. Heureusement, c’est un cas isolé jusqu’ici, et ce qui nous rassure, c’est que ce n’est pas un gouvernement, mais des individus qui sont à l’origine de ces menaces !
L’adoption de cette initiative blesse-t-elle votre idéal en matière de liberté de conscience et de religion ?Oui, parce qu’en matière de défense de la liberté religieuse on ne peut pas passer à côté de l’égalité de traitement ! Il y a trois ans j’étais en Egypte. Pour les chrétiens égyptiens, avoir un clocher, c’est quelque chose d’important. Personnellement, je pense qu’une communauté chrétienne peut se rencontrer dans un bâtiment sans clocher, mais pour eux c’est important. Ils aimeraient que leurs églises puissent être réparées, mais ils n’obtiennent pas de permis de réparation. Avec l’acceptation par la Suisse de cette initiative, les autorités égyptiennes seront légitimées dans leur refus de la réfection de clochers !
Portes Ouvertes, comme beaucoup d’autres ONG du même type, attire l’attention sur les violations de la liberté religieuse notamment dans les pays musulmans. A systématiquement attirer l’attention sur ce qui va mal n’en vient-on pas à peindre une image caricaturale de la réalité de ces pays ? Ce qui a pu inciter nombre d’évangéliques à voter oui à l’initiative...C’est important qu’il y ait des gens qui informent sur les violations des libertés religieuses dont sont victimes les chrétiens. A mon sens, la presse ordinaire informe relativement peu à ce sujet. Alors il est clair que si quelqu’un dispose du périodique de Portes Ouvertes comme unique source d’informations, il pourrait se construire une image très négative de ces pays !
Souvent lorsque Portes ouvertes ou d’autres ONG chrétiennes informent des persécutions dont sont victimes les chrétiens, il n’est fait aucune mention des autres violations des droits de l’homme qui ont cours dans ces pays. Ne devriez-vous pas développer une présentation plus large ? Portes Ouvertes est un des spécialistes en Suisse de la liberté religieuse... avec le risque de développer une vision cloisonnée de la réalité ! Souvent lorsque nous parlons de violations des libertés religieuses, nous découvrons que dans le même pays il y a d’autres problèmes en matière de violations des droits humains. Cela vaudrait la peine parfois, c’est vrai ! d’ouvrir un peu plus nos publications à un contexte plus large !
Ne devriez-vous pas aussi évoquer les bonnes nouvelles qui témoignent d’une coexistence pacifique entre communautés religieuses différentes ?Portes Ouvertes a fait un très gros travail dans ce sens. Chaque année nous publions un index élaboré avec beaucoup de soins sur la persécution des chrétiens dans le monde. Et dans cet index, nous publions aussi la liste des pays où la situation s’est améliorée.
Notre problème, c’est que souvent lorsqu’on appelle à la prière pour un sujet particulier, nous évoquons des situations difficiles, déconnectées d’une vue d’ensemble sur le pays en question. Mais la vue d’ensemble nous l’avons. Prenez l’Egypte, par exemple. Les 7 ou 8 millions de chrétiens sur place vivent de manière correcte, même si lorsqu’on leur pose des questions sur les discriminations dont ils pourraient être victimes, on se rend compte qu’il y en a, notamment pour ceux qui souhaitent occuper un poste à responsabilité dans l’administration. Mais celui qui n’a pas d’ambition en la matière peut vivre dans une paix relative.
Envisagez-vous d’ouvrir parfois vos publications à des persécutions dont sont victimes des croyants d’autres religions ?Lorsque nous avons informé de ce qui se passait en Inde, nous nous sommes rendu compte que les lois indiennes anti-conversion ne touchaient pas que la communauté chrétienne, mais aussi les musulmans qui, en importance, constituent en Inde la troisième communauté musulmane du monde. En l’occurrence les conversions à l’islam entraînent les mêmes problèmes que celles au christianisme.
Pour donner davantage de retentissement à votre lutte pour la liberté de conscience et de religion, n’envisagez-vous pas de nouer des contacts plus étroits avec des organismes comme Amnesty International par exemple ?Jusqu’à maintenant nous ne l’avons pas fait, mais il y aurait des possibilités de collaborations. Actuellement Amnesty défend des prisonniers érythréens que nous défendons aussi. Nous partageons parfois la même information, sans avoir d’instance commune qui permettrait une coordination de nos efforts.
Sur le terrain, c’est quelque chose qu’il est plus facile de faire ensemble. Mais rappelons que pendant longtemps nous n’avions pour but que de soutenir et d’encourager les chrétiens sur le terrain. Le développement d’un plaidoyer public est un domaine nouveau pour nous et il y a une évolution possible vers une collaboration avec d’autres.
Pourquoi ce travail de plaidoyer est-il devenu important pour Portes Ouvertes ?Nous nous sommes rendu compte que les chrétiens ne connaissaient souvent pas leurs droits fondamentaux. Il leur arrivait de ne pas se défendre valablement à cause de conceptions théologiques erronées. Nous avons mis sur pied un cours intitulé « Debout dans la tempête », qui comprend un volet juridique où nous encourageons les chrétiens à informer de ce qui leur arrive. Dans cette démarche de plaidoyer, nous avons décidé d’aller encore plus loin et de nous adresser aux gouvernements.
Qu’allez-vous développer ces prochaines années pour plaider la cause de la liberté religieuse auprès des autorités helvétiques ?Plusieurs ONG de défense de la liberté religieuse ont engagé à 20 pour-cent dès le début 2010 Heiner Studer. Pendant son activité de conseiller national, cet Argovien s’est déjà signalé à Berne par ses interventions sur ce thème...
Qu’allez-vous lui demander ?De nombreuses délégations viennent à Berne en visite officielle. Ce sera pour lui l’occasion de transmettre des messages en faveur des chrétiens persécutés. Il va aussi nous aider dans les contacts à développer, dans la manière de présenter un dossier et progressivement dans la constitution d’un réseau de politiciens qui se soucient de la liberté de religion.
Qu’est-ce qui vous permet d’entretenir votre enthousiasme dans votre engagement à Portes Ouvertes ?Le contact avec les chrétiens persécutés. Je ne voyage pas énormément, mais dans chacune des visites que j’ai faites à des chrétiens persécutés, ils m’ont montré que c’était une cause pour laquelle il valait la peine de se mobiliser ! De plus ces gens ont appris au travers de leurs souffrances une qualité de vie chrétienne qui me lance des défis à moi qui suis plutôt touché par le matérialisme et la facilité.
Quand vous rentrez de Chine, vous êtes remonté pour des mois au plan de la foi. J’ai rencontré un chrétien qui m’a dit : « J’ai passé 20 ans en prison. Quand j’y suis entré 400 personnes fréquentaient mon Eglise, quand j’en suis sorti, il y en avait 700. Aujourd’hui il y en a 3'500. Donc d’un côté la persécution c’est quelque chose de mauvais parce que j’ai été emprisonné, mais d’un autre, c’est quelque chose de bon parce que l’Eglise a grandi. » Entendre cela a représenté un encouragement extraordinaire pour moi !
Propos recueillis par Serge Carrel
Le site de Portes Ouvertes.
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