Pour prendre le pouls de la musique gospel à Chicago, la « mecque » du gospel, quoi de mieux que de visiter un lieu « historique » de cette forme de musique afro-américaine. La visite de l’église de Mahalia Jackson s’impose, elle qui fut la reine du gospel, comme on l’appelait de son vivant (1911-1972). L’édifice de la Greater Salem Baptist Church se situe exactement à l’angle de la « Yale Avenue » et de la 71e rue. En pleine banlieue sud de Chicago.
Une visite à l’église de Mahalia Jackson
Nous arrivons tôt ce dimanche matin-là. L’église n’est pas encore ouverte et nous découvrons que le culte a lieu à 11h. Mauvais signe. Une communauté qui n’offre qu’un culte le dimanche matin aux Etats-Unis atteint un nombre restreint de personnes et donc peu de choristes potentiels...
L’accueil est chaleureux. On nous invite à participer à l’école du dimanche pour adultes. Nous nous retrouvons au milieu d’un groupe de dames noires fort sympathiques, âgées de 50 ans et plus... Le pasteur Leon Jenkins Jr veille sur ses hôtes helvétiques. Il nous montre sur une paroi l’album photos de la Greater Salem Baptist Church. Mahalia Jackson figure en bonne place à côté des différents pasteurs et diacres qui ont animé cette communauté depuis plus de 90 ans.
A 11h, à peine une cinquantaine de personnes sont là pour le culte. Pas de choeur. Juste un organiste et un batteur... Manifestement la musique gospel n’est pas ici au mieux de sa forme!
Le gospel en effervescence
Le dimanche suivant, Bill Phemister, un professeur de musique au Wheaton College, une université protestante de la banlieue ouest de Chicago, nous accompagne. En une matinée, il propose de visiter deux Eglises noires : l’Apostolic Church of God et la Trinity United Church of Christ. Il est 9h30 quand nous arrivons à l’Apostolic Church of God. Aux abords de l’imposant édifice de briques rouges, les places de parc sont rares. Plutôt bon signe ! L’accueil est chaleureux. On nous emmène sur les balcons d’une salle déjà bondée. 1500 personnes au moins participent au culte, le deuxième de la matinée nous dit-on ! Après un mot de salutations d’un responsable de cette communauté, un choeur d’une centaine de femmes vêtues de robes noires arrive par les travées de la salle. Un orchestre installé dans une fosse ad hoc accompagne leur entrée sur des airs « dixieland ». C’est la fête !
Les choristes s’installent sur l’arrière de l’immense scène, derrière les responsables de la communauté. Le premier cantique « It’s so sweet to trust in Jesus » (C’est si doux de faire confiance à Jésus) est un classique de l’hymnologie protestante américaine, tant dans les Eglises noires que dans les Eglises blanches, explique Bill Phemister. Le deuxième a tout de la rengaine qui tourne en boucle. « The Power of the Lord is here » (La puissance du Seigneur est ici) chante une soliste. La communauté reprend la formule. Au fil des répétitions, les gens se lèvent, frappent des mains et se mettent à danser sur place. « Vous sentez l’électricité monter dans la salle ? Tout le monde entre dans une ferveur quasi extatique, mais vous verrez, à la fin du chant, chacun retrouve son calme ! » ajoute le très « british » Bill Phemister.
Fiers d’être « black »
A la Trinity United Church of Christ, l’ambiance est encore plus survoltée. Ce dimanche-là, c’est un choeur d’hommes qui occupe le fond de l’estrade. Un orchestre avec orgue Hammond, batterie, guitare électrique, basse et saxophone accompagne le choeur. Ce qui frappe dans cette communauté, c’est l’accent mis sur l’histoire de la communauté noire. « Nous n’avons ni honte de l’Evangile, ni honte de nos racines africaines », annonce un dépliant que l’on remet aux visiteurs. L’africanité militante de la communauté s’affiche aussi par le drapeau de la communauté afro-américaine qui trône sur le devant de la scène. Par le port de vêtements africains également : boubous et toques aux mille couleurs pullulent dans l’assistance. La musique gospel prend des airs beaucoup plus contemporains. « Du point de vue du style, on sent un gospel très travaillé par des musiques comme le rap ou le hip hop », explique Bill Phemister. Pour lui, le gospel est devenu ces dernières années de plus en plus personnel. Les paroles des chansons évoquent les problèmes de la vie quotidienne comme la perte d’un être cher ou d’un emploi. « Alors que dans des genres musicaux comme la country, ces difficultés de la vie donnent le blues, le gospel nourrit une espérance : il rappelle que Dieu peut changer tout cela ! »
Serge Carrel
Ce reportage a été réalisé dans le cadre d’un voyage à Chicago pour le compte des émissions religieuses de la RSR en octobre 2004.