Marc-Antoine Bigler est agriculteur à Martherenges, près de Moudon. Marié, père de trois enfants adultes, membre de l’Eglise évangélique d’Echallens (FREE), il constate que le réchauffement climatique modifie ses conditions de travail : « Les extrêmes sont plus marqués que par le passé. Ainsi, l’année 2022 a connu une forte sécheresse, alors que l’année 2021 était vraiment trop humide. Quant aux averses de grêle, elle sont plus fréquentes, et les grêlons sont plus gros et destructeurs ». Marc-Antoine Bigler mentionne aussi les moissons qui, cette année, ont eu lieu beaucoup plus tôt que d’habitude, et certaines plantes fleurissaient déjà comme au printemps, en cet automne 2022 trop chaud.
Du coup, l’agriculteur de Martherenges doit s’adapter. Cette année, il a acheté pour cinq mille francs de fourrage. Il a mis à jour ses assurances en y ajoutant des risques liés à la sécheresse. Il prévoit aussi de stocker plus de semences et d’augmenter sa surface fourragère. Le sorgo, une plante d’origine africaine, commence à être utilisé dans nos régions. A l’avenir, il pourrait faire partie de l’alimentation de son bétail.
Les signes d’un problème spirituel
Mais, pour l’agriculteur de Martherenges, le réchauffement climatique et ses conséquences ne sont pas les problèmes les plus inquiétants. Il explique : « Nous allons nous adapter au réchauffement. Du reste, les humains ont déjà connu des périodes chaudes par le passé. Par exemple, en 218 avant Jésus-Christ, durant l’Optimum climatique romain, Hannibal a pu traverser les Alpes avec ses éléphants. Ce qui m’inquiète plus, c’est l’abandon des valeurs chrétiennes de notre pays. La crise climatique qui arrive doit nous conduire à réfléchir à notre relation avec Dieu. »
Christian Rüfenacht, agriculteur à Longirod (district de Nyon), marié et père de quatre enfants adultes, constate également que les changements liés au réchauffement sont déjà perceptibles : « Depuis plusieurs décennies, je constate que notre région est plus sèche. Cette année, nous avons subi deux sécheresses, d’abord au printemps, puis en été ». Prévoyant, Christian Rüfenacht se maintient au dessous de son quota d’élevage de vaches. Il ne veut pas prendre le risque de manquer de fourrage pour les nourrir.
Il constate aussi que, depuis les années 2000, de nouvelles maladies font leur apparition. Par exemple, les grandes chaleurs favorisent le développement de la Kératoconjonctivite infectieuse bovine, une infection des yeux qui provoque la cécité.
Comme son collègue de Martherenges, Christian Rüfenacht pense que les conséquences du réchauffement climatique doivent nous interpeller sur le plan spirituel : « Il faudrait commencer à comprendre qui a créé la terre, comment cela fonctionne avec le Créateur. Actuellement, les choses vont bien. L’état dédommage les agriculteurs pour certains manque à gagner. Les clients payent des prix inférieurs aux prix justes. Mais il pourrait bien advenir une époque durant laquelle la multiplication des catastrophes engendrera des difficultés importantes... mais probablement aussi une soif de Dieu dans la population ».
La Suisse ne produit que la moitié de ce qu’elle mange
Pour Marc-Antoine Bigler, la politique agricole de la Suisse n’est pas assez attentive à la constante diminution de l’auto-approvisionnement de notre pays : « Cette année, au début juillet, les habitants de la Suisse avaient mangé tout ce que le pays est capables de produire. Cela signifie que, durant six mois, nous dépendons complètement de l’étranger pour nous nourrir. Durant ces quarante dernières années, la population de la Suisse a doublé, tandis que les surfaces agricoles ont diminué. Nous allons donc forcément vers des problèmes ». Et il ajoute que, dans notre monde qui change, deux choses n’ont pas changé : les gens continuent de se taper dessus et ils continuent de manger des produits de la terre.
Marc-Antoine Bigler constate aussi que la population suisse est assez déconnectée des réalités de l’agriculture. Elle veut des prix bas, mais aussi une agriculture extrêmement respectueuse de la nature, ce qui fait nécessairement baisser les rendements et monter les prix. « Et la ‘vague verte’ ne nous a pas apporté beaucoup de solutions concrètes. Beaucoup, sans le savoir, rêvent d’une agriculture qui ressemble à celle que pratiquaient nos grands-parents – et les faibles rendements qui vont avec –, mais pour nourrir une populations bien plus grande. »
Pour l’agriculteur de Martherenges, les Eglises ont un rôle à jouer dans les débats de sociétés qui concernent l’agriculture : « Je suis persuadé que les chrétiens et les Eglises ont une place à prendre, un rôle à jouer dans les temps difficiles qui sont devant nous ».