Les mois de juin et de juillet voient les mots réussite, succès... mais aussi échec ! plus souvent à l’honneur que le reste de l’année. Les examens sont passés par là ! Il y a aussi la fin de nombre de compétitions sportives qui permettent de dire si l’année est un succès - on est devenu champion ou on a atteint une place de choix – ou alors un échec si nos résultats ne correspondent pas à nos attentes ou – pire ! – si l’on connaît les affres de la relégation !
Un échec ? Par rapport à quoi ?
« Il y a quelque chose de très subjectif dans l’utilisation du mot « échec », tempère le psychothérapeute bernois, Manfred Engeli. Tout dépend des buts que l’on se fixe ! » Il y a des buts qui, pour celui qui se les fixe, sont inatteignables. « Ce que je conseille à des gens qui aiment procéder ainsi, ajoute-t-il, c’est de réfléchir aux raisons qui les poussent à se fixer de tels objectifs. A un coureur de 100 mètres qui veut afficher un chrono en descendant sous les 10 secondes et qui vit le fait de ne pas y parvenir comme un échec, je lui demanderais si, derrière ce but, il n’y a pas le désir, par exemple, de se montrer plus fort que quelqu’un d’autre... » C’est alors que s’engage avec cette personne un travail au niveau de ses motivations profondes. C’est l’occasion de découvrir ce qui la pousse à agir ainsi. « Si cette personne arrive à la conclusion que de faux motifs ont présidé au choix de ses buts, elle découvrira qu’elle s’est organisée elle-même son propre échec. Elle devra réaliser qu’elle a mal agi face à elle-même et doit peut-être se pardonner de s’être fixé des objectifs hors d’atteinte. » Des expériences toutes simples permettent parfois d’aller très profond dans ce qui constitue le coeur de notre identité. Il ne s’agit pas pour autant de renoncer à se fixer des buts, mais de les fixer de manière plus réaliste. Un but doit toujours constituer un authentique défi, parce qu’il n’est pas donné d’avance, mais il doit entrer dans les possibilités de celui qui se le fixe.
Les échecs évitables et inévitables
Dans sa réflexion autour des échecs dans nos parcours de vie, Manfred Engeli aime rappeler la distinction suivante. Lorsqu’on parle d’échecs, il y en a de deux sortes : les évitables et les inévitables.
Les échecs évitables, ce sont ces échecs où avec un peu plus de travail, de persévérance ou d’amour on aurait réussi l’examen, la course ou la rencontre. On peut aussi éviter de se trouver en situation d’échec en réfléchissant à la manière dont on se fixe des buts. « Un jeune homme, explique Manfred Engeli, souhaite conquérir le coeur d’une jeune femme. S’il n’y parvient pas, il le vivra peut-être comme un échec. Mais gagner l’amour de quelqu’un, est-ce un but justifié et valable ? » En fait pour ce psychothérapeute, nous nous fixons souvent des objectifs qui dépendent de la liberté d’autrui. « On s’expose alors à connaître constamment des échecs en procédant ainsi. Nos buts doivent dépendre de nous-mêmes et pas de la volonté et de la liberté d’autres personnes. » Redéfinir ses buts permet ainsi d’éviter de se trouver en situation d’échec.
Les échecs inévitables, ce sont des événements qui interviennent dans notre vie et qui sont totalement indépendants de notre volonté. Pour évoquer de tels échecs, Manfred Engeli aime citer des expériences tirées de sa pratique thérapeutique. « Dans l’accompagnement de personnes, explique-t-il, on peut accomplir un travail de qualité et connaître l’échec, parce que votre interlocuteur ne vous autorise pas à lui venir en aide. A chaque offre que vous lui faites, vous essuyez un refus. Ces accompagnements qui se terminent, du côté de votre vis-à-vis, par un refus de faire un bout de chemin, sont les échecs professionnels les plus difficiles que j’ai vécus. Ils ont été plus difficiles à vivre que ceux où je voyais largement ma part de responsabilité dans les mauvais résultats de la thérapie. »
Par rapport aux échecs inévitables, Manfred Engeli plaide pour que nous quittions une « compréhension naïve » de l’existence. Souvent nous pensons que nous avons droit au bonheur, et tout ce qui vient entraver ce bonheur est perçu comme un échec. « La vie humaine est liée à beaucoup de difficultés et de malheurs que nous ne choisissons pas, martèle-t-il. Avoir conscience de cela, c’est déjà faire un premier pas qui permettra, face à une difficulté ou à un échec, de se dire : ça m’est arrivé ! Je suis d’accord que cela fasse partie de la vie. Il ne s’agit pas ensuite de dire que ça a été formidable, mais de se réconcilier avec les faits. Une telle attitude permet de commencer à faire le tri entre les émotions et les réactions, puis de discerner peut-être quelque chose de positif dans l’échec que nous traversons. »
Dieu et mes échecs
Pour Manfred Engeli, Dieu a une place dans la digestion d’un échec. « Tout chrétien qui a remis sa vie à Dieu peut découvrir sa présence au coeur de ce vécu difficile. Dans mes échecs, explique-t-il, je sais que Dieu est avec moi, qu’il a vécu ce qui me bouleverse. » C’est donc une source de consolation de savoir que quelqu’un partage ce parcours, non comme un juge, mais comme quelqu’un qui connaît le fond de notre coeur et de nos émotions.
Dans ces circonstances, Dieu peut devenir un authentique vis-à-vis. « Les Psaumes de la Bible nous invitent, dans toutes les circonstances de nos vies, à entrer dans un dialogue avec Dieu », ajoute Manfred Engeli. Le Psaume 62 propose par exemple de « répandre son coeur devant Dieu, parce qu’il est un abri pour nous » (Ps 62,9). Dans les situations d’échec, le chrétien peut parler à Dieu comme à un ami et comprendre la manière dont Dieu perçoit ce qui s’est passé. Pour illustrer cette expérience, Manfred Engeli aime raconter qu’à la suite d’un séminaire qu’il animait pour les couples, il était gagné par un sentiment d’échec. En entrant dans un dialogue avec Dieu autour de cette expérience difficile, il compriend que le Seigneur lui disait : « Oui, je sais que c’était une catastrophe, mais ça ne fait rien. De cette catastrophe, je veux faire naître quelque chose de positif pour chacun des couples présents ». Remettre ses échecs à Dieu permet de recevoir son pardon, de lui confier le « service après-vente » de ce qui s’est passé... et de faire en sorte que cet échec soit une source d’amélioration personnelle pour une prochaine fois !
Jésus-Christ, un échec total ?
Au coeur de cette manière d’envisager l’échec, il y a cette conviction que l’apôtre Paul exprime dans son épître aux Romains : « Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu » (Ro 8,28). Pour Manfred Engeli, « Dieu ne nous évite pas les difficultés, mais il manifeste sa grandeur pour que ce qui nous arrive puisse être transformé en bénédiction ou en bienfait ». Cela apparaît clairement dans la vie de Jésus, son Fils. Le Christ est la preuve incarnée de l’amour de Dieu pour tous les humains. Une preuve qui ne s’impose pas, mais qui témoigne du risque que Dieu prend pour nous rencontrer. « Cet homme en croix, c’est un échec total du point de vue humain, ajoute le psychothérapeute bernois. Pour les disciples, la mort de Jésus a été vécue comme la fin de tous les espoirs et de toutes les illusions. Mais Dieu a fait de cet échec le moyen de sauver l’humanité. Beaucoup d’expériences qu’au premier abord nous considérons comme des échecs, peuvent devenir, avec le regard de Dieu, des temps qui comptent parmi les plus fructueux de notre vie. Dieu a la possibilité de transformer les échecs les plus retentissants en événements vraiment positifs ! »
Serge Carrel, rédacteur responsable de lafree.ch