"Marie Durand… un nom commun pour une femme hors du commun !" par Jacques Blandenier

jeudi 22 septembre 2011

Elle est née voilà 300 ans. A elle seule, elle incarne au sein du protestantisme français la résistance à l’oppression et un plaidoyer extraordinaire pour la liberté de conscience. Marie Durand a passé 38 ans en prison à cause de sa foi dans la Tour de Constance, à Aigues-Mortes au sud de Nîmes. Découverte d’une chrétienne hors du commun.

Elle est née le 15 juillet 1711, 25 ans après la Révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV, dans une famille huguenote d’un hameau ardéchois, le Bouchet de Pranles. Elle avait huit ans lorsque sa mère fut arrêtée pour avoir reçu chez elle un groupe de croyants après un rassemblement « au désert ». Elle ne la revit jamais.
La même année, le frère aîné de Marie, Pierre (1700-1732) fut consacré pasteur et exerça un ministère clandestin itinérant. Marie vécut dès lors seule avec son père Etienne Durand, qui fut arrêté à son tour en 1729. Il resta incarcéré 14 ans, alors que la justice n’avait rien à lui reprocher : en arrêtant le père, l’Etat cherchait à faire pression sur le fils qui, malgré sa jeunesse, jouait un rôle considérable au sein des Eglises persécutées. On imagine sa douleur et le cas de conscience de Pierre. Au commandant militaire de la région, il écrivit : « Mon père est innocent de ce que je fais. C’est moi qui ai choisi cette voie, j'en connais les dangers et les assume. Si mon Sauveur veut m'appeler à signer de mon sang son saint Evangile, que sa volonté soit faite. » Il avertit le commandant militaire que c'est devant le Juge souverain qu'il aura à répondre de ce crime contre la justice. Quand Etienne fut relâché il avait quatre-vingt-six ans, c’était onze ans après le martyre du fils à cause duquel il était emprisonné!
Quant à Marie, elle ne devait plus jamais revoir son père non plus. Arrêtée un an après lui et pour la même raison, cette jeune fille de 19 ans fut enfermée pendant trente-huit ans à la Tour de Constance, dans les remparts de la ville d'Aigues-Mortes, au sud de Nîmes. Elle trouva là vingt-cinq prisonnières, presque toutes des protestantes, dont plusieurs de sa région, le Vivarais. Leur nombre s'accrut par la suite.
Les conditions de détention étaient cruelles : cohabitation dans une seule salle sans aucune possibilité de s'isoler, air malsain des marais en été, moustiques et paludisme, froid humide et courants d'air glacés en hiver. L'administration ne fournissait que le pain et les paillasses. Alimentation et vêtements devaient être apportés par les Eglises. Quelques-unes (peu nombreuses) « craquèrent » moralement et abjurèrent, certaines accouchèrent en détention et élevèrent des enfants dont Marie fut la marraine. Parmi ces femmes, il y avait des épouses de pasteur dont le mari était aux galères. Nombreuses furent celles qui passèrent plus de vingt ans de leur vie dans la Tour de Constance. Pour la plupart d'entre elles (il en défila un peu plus de deux cents), la mort fut « la grande libératrice » !

L'âme de la résistance
Marie Durand, bien que très jeune, prit rapidement de l'ascendant sur ses compagnes. Ses nombreuses années de captivité et de souffrance ne firent que tremper sa personnalité et sa foi dans les promesses de Dieu.
Elle rassemblait chaque soir ses compagnes pour la lecture de la Bible, la prière et le chant des psaumes. Elle soutenait celles qui étaient tentées de fléchir. La dureté de l’administration judiciaire ne pouvait que rendre plus inflexible la détermination de ces femmes. Sur une dalle de la salle est gravé le mot : « REGISTER », « résister » en patois vivarais. Attribué à Marie Durand, ce terme illustre bien quel fut son combat. Trente-huit ans enfermée, toute sa vie d'adulte, alors qu'un seul mot d’abjuration aurait suffi pour être libre !
La véritable liberté de Marie Durand et de ses compagnes fut de ne pas céder à la pression de la persécution. Car c’est en se soumettant au roi pour sortir de prison qu’elles auraient perdu leur véritable liberté. Elles étaient portées par la volonté de témoigner que les huguenots exigeaient, quel que soit le prix, la liberté de conscience, le droit de lire la Bible et de célébrer dans leurs cultes le Dieu qui les avait sauvés par grâce.

Les lettres de Marie Durand
La correspondance de Marie Durand est abondante. Elles révèlent un style et une culture étonnants, acquis avant tout par la lecture des Ecritures. Certaines sont adressées aux autorités pour plaider au nom de la justice, d’autres aux anciens et aux Eglises pour leur rappeler leur responsabilité : « Nous sommes le corps de Christ dans la souffrance, ne nous oubliez pas ! » Enfin, les lettres les plus révélatrices du caractère et de la foi de Marie sont celles à sa nièce, Anne, seule survivante des trois enfants du pasteur martyr Pierre Durand.
Les lettres de Marie Durand, tout imprégnées de la Bible, expriment parfois sa tristesse, ou du moins une gravité certaine, mais jamais d’hésitation : soumission au Dieu souverain, quelles que soient les circonstances et les souffrances qu'il faut endurer. Mais plus encore : confiance dans ce Dieu fort et fidèle, dont les promesses sont éternelles. Enfin, exemple de Jésus-Christ, le Souffrant, tout proche de la souffrance de ses  témoins, lui qui mourut crucifié sans révolte, par amour et dans une pleine adhésion à la volonté du Père. La doctrine calviniste de la prédestination enseignée dans leurs Eglises a sans doute donné à ces croyantes une fermeté que n'aurait pas connue une foi basée sur des expériences et des émotions.

Après trente-huit ans, la libération, enfin !
Avec les années qui passaient, les idées de tolérance faisaient leur chemin en France. Des voix de plus en plus nombreuses, y compris parmi des catholiques haut-placés, dénonçaient le scandale des prisonnières de la Tour de Constance. Finalement, un nouveau commandant militaire du Languedoc, le prince de Beauvau, catholique à l'esprit éclairé, entreprit les démarches pour obtenir la libération des prisonnières, sans exiger repentance ou abjuration. S'étant rendu à la Tour en 1767, il fut si bouleversé par ce qu'il vit qu'il s'engagea à les faire libérer coûte que coûte et au plus vite. Il faut dire qu'en raison de l'évolution du climat idéologique, aucune nouvelle prisonnière n’avait été incarcérée depuis une dizaine d’années. Celles qui étaient là étaient donc toutes marquées par un très long séjour.
Marie Durand sortit de prison en 1768. Entrée à l’âge de dix-neuf ans, elle en sortit âgée de cinquante-sept. Sa maison du Bouchet-de-Pranles, inoccupée pendant si longtemps, était délabrée et le verger à l'abandon. Elle-même était vieillie et percluse. Elle n'avait plus la force de cultiver les terres familiales et n'avait que quelques chèvres à garder. Elle reçut jusqu'à sa mort une très petite rente de l'Eglise wallonne d'Amsterdam, qui lui permit de survivre.
Une compagne de captivité vint vivre avec elle. Deux fois par année, elle se traînait aux Assemblées comme elle pouvait – ce furent les dernières « au désert » avant la liberté retrouvée. Mais sa vie de prière et sa foi restèrent intactes selon le témoignage de ceux qui la connurent alors.
Elle s'est éteinte huit ans après sa libération, âgée de soixante-cinq ans, en 1776, onze ans avant l’Edit de Tolérance.

Un message pour les chrétiens
Il ne s'agit pas de s’adonner au culte des martyrs. Mais d’être attentif à un enseignement qui vaut bien des cours de dogmatique. La fidèle persévérance de ces femmes nous édifie et nous bouscule. Le prix qu'elles ont payé pour demeurer fermes dans la foi indique combien cette foi avait de valeur pour elles, et relativise l’importance de ce qui paraît parfois indispensable à notre bonheur.
Dans cette dernière partie du XVIIIe siècle, au moment où bouillonnaient les idées qui  conduisirent à la Révolution française, des faits tels que l'emprisonnement inhumain des femmes de la Tour de Constance ont contribué à frapper les esprits et à montrer à quel point l'intolérance est un crime contre l'humanité. L'humble et inflexible fidélité de Marie Durand et de ses compagnes anonymes a peut-être autant fait pour l'avènement de la liberté religieuse que les pamphlets des philosophes. Dans leur faiblesse, elles ont montré ce qu'est la force véritable (cf. 2 Corinthiens 11) ; elles ont posé aux puissants un problème insoluble, démontrant sans discours la dignité irréductible de la personne créée à l'image de Dieu, dont l'âme ne peut être domptée par les chaînes et la violence.
Jacques Blandenier

Un portrait à écouter ou à podcaster sur le site de Radio-Réveil.

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