Nous sommes tous en quête de vérité et, pour un grand nombre d’entre nous, nous croyons que la Vérité nous est révélée à travers les mots de la Parole de Dieu, la Bible. Pourtant, un mirage illusionne beaucoup de chrétiens et il est important de rapidement l’écarter : nous ne possédons aucun manuscrit original des textes bibliques contrairement à ce que pourraient laisser parfois entendre les éditeurs de nos Bibles par la mention « textes traduits d’après les textes originaux ». Alors quel texte se cache derrière les différentes versions de nos Bibles ? De combien de manuscrits disposons-nous aujourd’hui ? Le texte a-t-il été correctement transmis ?
Les manuscrits de l’Ancien Testament
A l’exception de deux sections en araméen au sein des livres d’Esdras et de Daniel, l’Ancien Testament (AT) a été rédigé en hébreu. Jusqu’en 1947, les plus anciens manuscrits hébreux à notre disposition remontaient… au Moyen Age (Xe-XIe siècles) (1). Bien que ces derniers soient tous quasiment identiques, plusieurs siècles séparent la rédaction de ces manuscrits des faits relatés dans l’AT. On désigne communément le texte qu’ils contiennent par l’appellation « texte massorétique » à cause des « Massorètes », des savants juifs qui ont notamment ajouté les voyelles au texte hébreu jusqu’alors uniquement composé de consonnes. Ces savants ont également doté leurs éditions de divers commentaires en marges, afin de guider le lecteur vers une meilleure compréhension du texte.
Un manuscrit du « texte massorétique » du livre des Psaumes (2).
En 1947, une trouvaille archéologique spectaculaire a complètement renouvelé l’histoire de la recherche sur l’AT : c’est la découverte desmanuscrits de la mer Morte. La plupart de ces manuscrits ont été découverts dans des grottes près du site de Qumrân, en Israël. Ces documents, pour la majorité écrits en hébreu, datent du tournant de notre ère (entre 250 av. J.-C. et 68 ap. J.-C.). Tous les livres bibliques, à l’exception du livre d’Esther, y sont représentés, du moins en partie. Cette découverte a permis un bond de mille ans dans l’histoire de la recherche sur la Bible et a donc surgi presque « miraculeusement », alors que certains théologiens doutaient depuis longtemps de la fiabilité du texte biblique. Les manuscrits les mieux conservés sont de magnifiques rouleaux, à l’exemple de celui d’Esaïe ou des Psaumes. D’autres sont très fragmentaires et ne mesurent que quelques centimètres. Ces manuscrits sont aujourd’hui numérisés en très haute définition et mis à la portée de tous par Google (3).
Un manuscrit des Psaumes retrouvé sur le site de Qumrân (4).
En dehors des manuscrits du « texte massorétique », on dispose de traductions de l’AT en d’autres langues telles que le grec, l’araméen, le latin et le syriaque. Ces traductions sont appelées « versions anciennes ». De plus, on trouve des citations du texte hébreu dans les commentaires des « rabbins » du Ier siècle de notre ère.
Une traduction grecque du texte hébreu a été réalisée en partie en Egypte entre le IIIe siècle avant et le Ier siècle après notre ère. Cette traduction dite des « Septante »(LXX) reflète, dans certains cas, une forme du texte antérieure à celle des manuscrits hébreux. Face à cette pluralité textuelle, il est essentiel de comparer les différents témoins à disposition afin d’établir le texte « archétype », c’est-à-dire le plus proche de l’original possible, là où « l’original » lui-même est perdu. Mais que le lecteur soit rassuré, « l’écart entre l’original d’un livre et l’archétype est, en pratique, généralement présumé faible par les commentateurs, dont aucun ne suppose que le texte a été réellement défiguré avec le temps » (5). La comparaison des manuscrits peut ainsi être appréhendée sans crispation par un chrétien évangélique.
Nos bibles françaises s’appuient traditionnellement sur le témoignage du texte massorétique qui, rappelons-le, est une version fiable du texte. Plusieurs éditions d’étude de la Bible comme la Nouvelle Bible Segond fournissent en note de bas de page les endroits où le témoignage des autres manuscrits varie par rapport au texte massorétique.
Les manuscrits du Nouveau Testament
La situation du Nouveau Testament (NT) n’est pas comparable à celle de l’AT. Le NT a été rédigé en grec et celui-ci nous est parvenu sur des papyri et des parchemins, même si les originaux « ont très certainement tous été écrits sur papyrus » (6). Le NT a pour lui environ 5600 manuscrits complets ou fragmentaires du texte et celui-ci est cité chez les Pères de l’Eglise, tant et si bien que ces citations permettraient à elles seules de reconstituer l’intégralité du texte du NT ! Prenons un texte de la même époque comme point de comparaison : nous ne disposons que de cinquante manuscrits de la Guerre Juive de l’historien Flavius Josèphe et « seule une dizaine permettent d’établir le texte » (7). Le NT est démesurément bien attesté par rapport à n’importe quel autre écrit de l’Antiquité.
Un papyrus de l’évangile selon Matthieu (8).
Le premier fragment retrouvé du NT remonte au début du IIe siècle. Celui-ci contient plusieurs versets du chapitre 18 de l’évangile selon Jean, ce qui suggère que l’écart entre l’original et ce manuscrit est de moins d’un demi-siècle. Les premiers manuscrits complets datent du IVe siècle et sont espacés d’à peu près 250 ans de l’original. Le NT a lui aussi par la suite été traduit dans d’autres langues telles que le latin, le syriaque, le copte et l’arménien, facilitant ainsi sa propagation.
Tout comme les manuscrits de l’AT, ceux du NT ne sont évidemment pas exempts de variantes. Mais « pour la très grande majorité, [celles-ci] sont mineures et n’influent guère sur le sens du passage » (9). Dans le cas du NT, nos Bibles reflètent le choix d’une édition « éclectique », ce qui signifie que pour chaque variante, des spécialistes de la critique textuelle ont sélectionné le texte à retenir selon eux. Quelques rares passages (Mt 17.21, 18.11 ; Mc 16.9-20 ; Jn 5.3b-4, 7.53-8.11) ont été retirés de certaines versions de la Bible, car il y a de bonnes raisons de penser qu’ils ne faisaient pas partie du texte original.
La réalité est toujours plus complexe que l’illusion du mirage le laisserait croire. Il n’y a pourtant aucune raison de se laisser troubler. Les éditions de nos Bibles sont réalisées par d’excellents scientifiques qui jouent le jeu de la transparence en nous proposant des notes explicatives dans les Bibles dites « d’étude ». La multiplicité et la fiabilité des manuscrits de la Bible relèvent de l’ordre du miracle, au point qu’aucun livre de l’Antiquité ne pourrait prétendre l’égaler.
Antony Perrot
Notes
1 A l’exception d’un papyrus, le papyrus Nash, daté du début du IIe siècle avant notre ère, qui contient notamment le texte des dix commandements.
2 Image reproduite avec l’aimable autorisation de l’Institut Ben Zvi.
3 Voir le site de Google.
4 Image reproduite avec l’aimable autorisation du musée « Bible et Terre Sainte » de l’Institut catholique de Paris.
5 Matthieu Richelle, « Manuscrits et transmission de l’Ancien Testament » dans C. Paya et N. Farelly (éd.), La foi chrétienne et les défis du monde contemporain, Charols, Excelsis, 2013, p. 213.
6 Jacques Buchhold, « Manuscrits et texte du Nouveau Testament » dans La foi chrétienne et les défis du monde contemporain, p. 214.
7 Jacques Buchhold, ibid., p. 214.
8 Voir le site.
Pour visionner un grand nombre de manuscrits du NT, voir aussi le site de l'Université de Münster (DE).
ou encore visiter la Fondation Bodmer à Cologny, qui abrite quelques-uns des plus anciens manuscrits du NT.
9 Jacques Buchhold, ibid., p. 217.