En Suisse, comme dans presque tout l’Occident, les chrétiens sont minoritaires au sein d’une société qui connaît de moins en moins ce qu’ils croient et comprend de moins en moins ce qu’ils font. Ce n’est pas un mal en soi, mais il est important que nous prenions conscience de ce phénomène relativement récent. Cependant, à l’échelle de l’histoire, nous constatons que celles et ceux qui suivent Dieu ont très souvent été minoritaires.
Les chrétiens sont donc culturellement en exil. Les pays d'Europe occidentale peuvent être considérés comme quasiment non-atteints par l’Évangile. Les gens ont facilement accès à la Bible et à une Eglise. Mais les valeurs de nos sociétés ne sont plus du tout inspirées par la Bible ; elles vont même souvent à son encontre. De plus, le nombre de personnes qui se revendiquent activement chrétiennes est en diminution.
Trois défis
Face à cette réalité, je vois trois dangers.
∙ Le premier est de finir par nous isoler dans une sous-culture. Nous pourrions être tentés de vivre entre nous, laissant à l’extérieur le « grand méchant monde » qui ne pense pas comme nous. Nous choisirions d’aller chez un couturier chrétien, un mécano, un maçon, une école, une épicerie, des artistes chrétiens... Nous resterions entre nous parce que les autres sont trop différents.
Le problème, c'est que cette attitude-là ne permet pas d'annoncer la Bonne Nouvelle. De plus, elle cultive un état d'esprit de victime en survie, ou alors de héros incompris.
∙ Le deuxième danger est de s’engager dans une forme de conquête coloniale : nous voulons imposer nos convictions. Et nous allons montrer à ceux qui résistent et ne pensent pas comme nous qu'ils ont tort. Le problème, avec cette attitude, c’est que nous agissons comme si nous étions en guerre de conquête.
∙ Le troisième danger est moins visible, mais extrêmement important à identifier. Veillons à ne pas nous laisser « manger » par la culture ambiante, à devenir « comme le monde », à nous « conformer au siècle présent », comme l’écrit l’apôtre Paul. Il s’agit de refuser que les valeurs du monde remplacent celles de la Bible dans nos vies et dans nos Églises. Mais, à bien des égards, comme l’explique le pasteur et enseignant californien John Mark Comer : « Le monde a colonisé l’Église ».
Daniel ouvre des pistes
Comment tenir bon dans notre marche de chrétien et de disciple ? Le livre de Daniel nous donne des pistes intéressantes. Son premier chapitre raconte comment l’armée de l'empire babylonien a défait le royaume de Juda – avec la tragique chute de Jérusalem. Beaucoup d’habitants, dont Daniel, ont été déportés à Babylone. Ils ont connu la tristesse et l’humiliation de la défaite.
A son arrivée à Babylone, Daniel était un adolescent. Il a découvert une ville majestueuse et puissante. Mais la Bible fait également de cette ville un archétype : celle-ci symbolise un état d'esprit, une mentalité, la rébellion de l’humanité contre Dieu. Ses habitants pensent qu’ils n’ont pas besoin de Dieu, qu’ils sont leurs propres dieux. Et cette mentalité ressemble beaucoup à celle de notre culture actuelle.
Avec les autres israélites déportés, Daniel faisait donc partie d’une minorité au milieu d’une société opposée à ses convictions et à ses valeurs. Durant sa longue captivité à Babylone, il s’est donné les moyens de tenir ferme dans son identité et dans sa foi. Observons de quelle manière.
Une façon alternative d'être en lien
D’abord, Daniel a développé une façon alternative d'être en lien. Avec ses amis, il a subi quelque chose qui ressemble à un lavage de cerveau. Il a été isolé des autres et de sa famille. Il a reçu un autre nom. Son identité a été combattue.
Mais, chaque fois que nous voyons Daniel quelque part, nous voyons aussi ses amis. Ils n’ont ni téléphone portable, ni adresse de courriel pour garder le contact. Mais, ils parviennent à rester en lien. Et, grâce à cela, ils sont capables de tenir ferme.
Dans notre société, l’isolement domine. L'individualisme a le vent en poupe et nous pousse à croire que nous pouvons être des « self-made men », des personnes qui se font, et réussissent, par elles-mêmes. Mais Daniel nous donne un exemple opposé : chaque fois qu’il se trouve quelque part, ses amis y sont aussi.
Du coup, demandez-vous qui sont les trois amis qui vous fortifient, auprès desquels vous avez la liberté de vous confier et de vous montrer vulnérable. Ou alors, menez-vous la course de manière solitaire ? Des liens forts et authentiques devraient constituer le socle de la vie de nos Eglises. Si nous n’en avons pas conscience, il y a peu de chances que nos Eglise croissent et se multiplient. Dans un contexte profondément hostile, Daniel et ses amis ont tenu bon, ils ont même gagné en influence parce qu'ils ont développé une façon alternative d'être en lien.
En 1772, dans le sud de Londres, quelques individus ont décidé de se réunir et de prier ensemble. Il y avait John Wesley, William Wilberforce... Le petit groupe ne payaient pas de mine. Mais c’est de là que sont sortis le merveilleux chant « Amazing Grace » et un mouvement de lutte lutte pour l'abolition de l'esclavage.
L’anthropologue étasunienne Margaret Mead souligne : « Un petit groupe de personnes engagées peut changer le monde. En fait, c'est la seule chose qui ait jamais changé quoi que ce soit ».
Une éthique alternative
Ensuite, Daniel développe une éthique alternative. Son fameux jeûne ne concerne pas que la nourriture, mais la culture dans laquelle il a été plongé. Il connaît très bien cette culture : il parle la langue, répond mieux que tous les autres quand il est interrogé par le roi. Mais il sait aussi se distancer d’une certaines façon de vivre. Lors de sa formation au service du roi, il s’est probablement vu proposer des femmes, de l'alcool, des biens de toutes sortes. Mais il s’est distancé de cette manière de vivre et de consommer. Avec ses amis, il a décidé de ne pas suivre l'éthique babylonienne.
Aujourd’hui, par la publicité et les médias, nous sommes abreuvés de slogans éloignés des valeurs chrétiennes, du genre : « Si ça te fait plaisir, tu peux le faire... Tu es ton seul maître... Le monde t'appartient... Plus tu as de l'argent, plus tu es heureux·se... Évite quiconque s'oppose à toi... »
Mais, je crois que les groupes qui ont bouleversé les sociétés ont toujours eu une éthique alternative. Le pasteur Timothy Keller, dans son livre intitulé « Les idoles du cœur », montre notre besoin d'adorer, ainsi que les principales idoles de notre société : le sexe, l'argent et le pouvoir. Il explique : « L’Église primitive était profondément différente de la culture environnante de son époque. Pour faire simple, la culture disait : ‘Donne ton corps à quasiment tout le monde et ton argent à personne’. Mais les chrétiens d'alors disaient : ‘Nous donnons notre corps à quasiment personne, mais notre argent est pour tout le monde’. » Quelle est ton éthique au sein de la société dans laquelle tu vis ?
Des pratiques alternatives
Dans notre effort pour éviter la religiosité, nous avons perdu de vue l'importance, la beauté et la force de bonnes pratiques. Daniel et ses amis avaient des pratiques spirituelles extrêmement fortes. Ainsi, Daniel jeûnait, priait trois fois par jour et lisait la Torah, la première partie de l’Ancien Testament.
Pour tenir ferme, il nous faut rester connectés à notre source. J'ai de plus en plus peur quand j'entends combien de croyants ne connaissent pas la Bible. Les chrétiens qui ne restes pas connecté à Dieu finissent par marcher comme les personnes qui ne le connaissent pas.
J'ai l'impression que les chrétiens – et particulièrement dans le contexte évangélique – sont allergiques aux pratiques. Si nous demandons à un chrétien : « Comment va ta lecture de la Bible ? » ou « Comment pries-tu ? Quelles sont tes habitudes de prière ? », il y a de fortes chances qu'il réponde : « De quoi je me mêle ? Je suis pas légaliste. Je fais les choses quand je le sens ! » Par contre, lorsque j’accompagne un jeune marié et que je lui rappelle de ne pas oublier d’apporter des fleurs à sa femme, il ne me dit jamais : « De quoi je me mêle ? Je suis pas légaliste ! »
L'enjeu n'est pas de nous connaître, mais, bien plus, de ne pas oublier qui nous sommes. Avant tout, nous sommes des disciple. Vivons-nous et marchons-nous encore comme des disciples ? Parmi les éléments qui rendre la marche chrétienne difficile, il y a la culture dans laquelle nous sommes : l'esprit de Babylone qui est très puissant. Si nous ne sommes pas vigilants, nous sommes colonisés par cet esprit-là.
La grande histoire
Lorsque nous lisons la suite du livre de Daniel, nous découvrons l’oppression dont il est victime. Par exemple, après avoir fait un rêve, le roi demande aux sages et aux mages de la cour de lui raconter son rêve, puis de lui en donner la signification. Ceux qui n’en sont pas capables risquent la mort. Daniel est aussi concerné par ce défi, et il a de quoi être effrayé. Mais il réagit autrement que les autres et relève le défi.
Je crois que Daniel a réagi ainsi parce qu'il connaissait la « grande histoire ». Les autres connaissaient l'Enūma eliš, l'épopée babylonienne de la création du monde. Il s’agit d’un récit où les divinités s’entre-tuent. Puis l’une des divinités déchire une autre, et cela crée la Terre. Et les humains sont là, au milieu, à servir ces divinités. Voilà la grande histoire, la raison d'être des Babyloniens !
Mais Daniel connaissait une autre grande histoire : celle d'un Dieu qui a créé avec amour les porteurs de son image. Il était conscient des promesses de l’Éternel : « Si je monte au ciel, tu es là. Et si je descends au séjour des morts, t’y voilà ! Si j’emprunte les ailes de l’aube et que j’aille demeurer aux confins des mers, là aussi ta main me dirigera, ton bras droit me tiendra » (Ps 139.8-10).
Aujourd'hui, nous entendons beaucoup de nouvelles apeurantes. Alors, quelle est la grande histoire à laquelle nous croyons et nous nous accrochons ? Pour la connaître, il est indispensable de lire la Bible.