Parler de théologie de la prospérité dans un contexte de crise économique, il y a de quoi faire sourire. Et pourtant, c'est toujours en contexte de pauvreté que cette théologie se développe. Alors avec une paupérisation grandissante, y compris dans nos contrées, cette théologie n'est-elle pas sur le point de poindre ? D'ailleurs, n'est-elle pas déjà à l'œuvre dans nos milieux dits traditionnels et conservateurs ? Quels dangers et quelles chances cette théologie véhicule-t-elle ? Ne nous force-t-elle pas à une relecture de nos théologies conservatrices, parfois crispées, souvent figées ?
Tout d'abord, il faut préciser que la théologie de la prospérité est très développée sur les continents asiatique, comme en Corée du Sud, latino-américain ou encore africain (1). Son credo est très simple, pour ne pas dire simpliste, fondé sur très peu de textes bibliques. Il s'appuie sur « le pouvoir que la grâce de Dieu donne sur la mort et la malédiction… dans l'ici et le maintenant » (2). Son mot d'ordre ? « Donne tout ce que tu as, tu recevras bien plus en retour, ici et maintenant. »
Les promoteurs : Essek William Kenyon et Kenneth Hagin
Quel est le fondement de cette « promesse » de prospérité ? Le mouvement ne date pas d'hier et il nous faut remonter quelque peu dans l'histoire. C'est en effet dans l'idéalisme philosophique et l'optimisme qui caractérisent le XIXe siècle américain, qu’elle trouve racine. Mais son émergence date des années 1950. L'enseignement de Essek William Kenyon étant alors « popularisé par Kenneth Hagin » (3). D'autres idées psychologiques viendront au fil du temps renforcer ces éléments de base, comme « le pouvoir de la pensée positive », dans les années 1960. Nous sommes, comme le souligne Arturo Piedra, très proches des théories du New Age.
Et qu'en est-il bibliquement ? En prenant quelques raccourcis, l'objectif est « l'établissement du Royaume de Dieu sur la terre » (4). Quant à des textes bibliques parlant d'abondance, ils sont légion dans les Ecritures. Leur interprétation par les promoteurs de cette théologie est que « Dieu ne nous a pas destinés à vivre dans la disette, le besoin, ou la pauvreté ». L'appui théologique étant trouvé en Jean 10,10 : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu'ils l'aient en abondance. » Et donc si vous avez la foi, vous serez riche ! Et pas seulement au ciel, mais déjà maintenant.
Il y a une sorte de mécanique ou d'automatisme de la prospérité. Une foi qui produit, une foi qui force Dieu à bénir. Une théologie de la rétribution poussée à l'extrême.
Une arnaque ?
S'il est vrai que maints textes bibliques nous parlent de droit et de justice envers les démunis, que l'exemple que nous laisse Jésus de sa vie terrestre atteste une telle démarche dans son annonce du Royaume de Dieu, une question subsiste. Le Royaume de Dieu est-il pour aujourd'hui et pour cette terre ? Est-il pour demain au paradis ?
Si le Royaume dans toute son étendue est pour « demain », il reste cependant vrai que les valeurs du Royaume de Dieu sont appelées à produire quelque chose déjà ici et maintenant, tant dans nos vies respectives que dans notre société. Comme nous le rappelle des textes bibliques bien connus, nous sommes « sel » de la terre, « lumière » du monde, « levain » dans la pâte.
En bref, le point fort critiquable dans la théologie de la prospérité est de forcer la main de Dieu, pire encore et plus « dangereux », de laisser croire aux gens qu'ils sont divinisés en acceptant le salut obtenu par Christ sur la croix. L'Esprit que nous recevons alors est la nature même de Dieu en nous (5). L'homme devenant ainsi une sorte de Dieu tout-puissant sur la terre. Dès lors qui est prié ? Dieu du ciel ou dieu humain qui répond à des désirs de puissance toute humaine et de richesses matérielles en dollars sonnants et trébuchants ?
Une forme de populisme
Si la question de « l'arnaque » est bien réelle, celle du populisme l'est aussi. En reprenant les Evangiles pour relever comment Jésus a répondu aux besoins des gens, nous découvrons une autre dérive de la théologie de la prospérité. En effet, cette dernière se dit « réponse à un besoin ». Par exemple en donnant le peu d'argent que l'on a pour en recevoir bien plus en retour. Or, le Christ, dans les exemples qu'il nous laisse, décentre la personne de son besoin, pour le centrer sur celui qui pardonne, celui qui guérit : Dieu lui-même. En effet, le Royaume de Dieu, dans les réponses de Jésus, est toujours supérieur au besoin exprimé, voire souvent autre. Christ décentre de la question, répondant ainsi sur le fond de la problématique, dans son aspect existentiel et non pas en proposant une solution qui soit une simple réponse à la demande de l'égo de l'individu.
Nous savons à qui profite la majeure partie des offrandes récoltées chez ceux qui n'ont déjà pas de quoi vivre. Chez ceux qui croient en cette « manne divine ». Devenir pasteur dans ce contexte revient à s'assurer une « belle vie » dorée. Il serait très facile de remplir des pages de critiques sur cette théologie et sur les dangers qu'elle véhicule. Ils sont réels et il ne faut pas les minimiser. Cependant, je préfère vous inviter à une autre réflexion.
Une remise en question à acueillir tout de même
En parcourant livres et articles sur le sujet, ce qui m'a frappé, c'est que premièrement cette théologie se veut une critique d’une autre théologie, d’une autre « pratique religieuse » : la mienne, la nôtre. Celle dite conservatrice, voire figée. Une théologie qui considère que tout est dit, que « c'est comme ça ». D'ailleurs, n'a-t-on pas toujours fait comme ça ?
La théologie de la prospérité ose une relecture des textes bibliques, une réinterprétation, parfois erronée, souvent malheureuse, voire dangereuse, mais relecture malgré tout. Relecture et réponse à un besoin de plus en plus grand de nos jours face à la pauvreté et au malheur.
Le texte biblique, est-il nécessaire de le rappeler, nous est donné pour être lu, relu, interprété et ré-interprété, encore et encore, de générations en générations. C'est le mouvement même de la Réforme du XVIe siècle. Un mouvement qui s'est comme cristallisé. Le ou les Réveils qui ont suivi et dont maintes de nos communautés se réclament, va dans le sens d'une réinterprétation, d'une relecture, d'une critique de la Réforme. Il induit un piétisme, une vie, une relation, une proximité avec notre Seigneur. Mais encore une fois, nous avons « bétonné » ce mouvement de vie dans une manière de faire et des théologies qui étouffent cette vie. D'ailleurs force est de constater que, de tout côté, nous luttons pour une vie de l'Esprit, un renouveau, un réveil.
Alors, malgré tous ses défauts, ses dérives, et les dangers qui la caractérisent, cette théologie de la prospérité a le mérite de nous interroger, de nous remettre en question et de nous dépoussiérer.
Pas des barrages, mais des canaux !
Ne serions-nous pas, et je m'inclus dans ce nous, comme cette Eglise de Laodicée d'Apocalypse 3, ni froide ni bouillante, mais tiède ? N'aurions-nous pas sur nous-mêmes un point de vue humain : « Tu te dis riche… » alors que le regard divin diverge passablement : « Mais tu es pauvre, aveugle et nu… »
N'aurions-nous pas à laisser l'Esprit de Dieu venir nous rendre bouillants pour Dieu, au risque de perdre le contrôle, au risque de ne plus être des dieux dans notre environnement, mais de laisser Dieu agir en nous et par nous ? Au risque de la… prospérité selon les plans de Dieu ?
Nous avons tellement tout voulu maîtriser que nous tombons dans le piège que nous dénonçons ici : nous avons fait Dieu à notre image.
Nos théologies ont un besoin urgent d'être réformées. Lorsque l'Eglise n'accomplit plus sa mission, l'histoire nous le montre, l'Esprit de Dieu trouve, à l'instar de l'eau, un nouveau chemin, de nouveaux canaux. Alors, je nous exhorte à ne pas être des barrages à la vie dans l'Esprit, mais des canaux, afin que des fleuves d'eau vive jaillissent par nous ! « Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu; et toutes ces choses vous seront données par-dessus » (Mt 6,33).
Claude Bordigoni, pasteur dans l’Eglise évangélique libre de Reconvilier (FREE)
Notes
1 Voir sur ce sujet : Daniel Bourdanné, L'Evangile de la prospérité : une menace pour l'Eglise africaine, Presses Bibliques Africaines, 1999.
2 Arturo Piedra, « Théologie de la grâce / théologie de la prospérité ou le défi permanent des théologies populaires », Perspectives missionnaires 53, 1, 2007, p. 6-21.
3 Voir au même endroit, p. 10.
4 Voir au même endroit, p. 14.
5 Daniel Bourdanné, L'Evangile de la prospérité : une menace pour l'Eglise africaine, p. 56.