Pardonner à la manière amish

mardi 06 février 2007
L'automne dernier, cinq fillettes amish ont été exécutées et cinq autres blessées par un homme qui s'était introduit dans leur école à Nickel Mines en Pennsylvanie. La réaction exemplaire de la communauté amish face à cette tragédie a suscité admiration et respect bien au-delà du continent américain. Témoignage.

Le lundi matin 2 octobre, Charles Roberts, laitier, père de famille sans histoires, dépose ses enfants à l'arrêt du bus scolaire avant de se diriger vers une école amish de son voisinage. Là, il fait irruption dans l'unique salle de classe où se trouvent plus de 25 élèves. Après avoir fait sortir les garçons et quelques femmes présents dans la classe, il se barricade à l'intérieur en condamnant les issues ; le matériel retrouvé ultérieurement sur place ne laissait pas de doute sur ses intentions et sa volonté de tenir un siège minutieusement préparé.
Après avoir ligoté les fillettes en ligne le long du tableau, Roberts appelle son épouse qui participait à ce moment à un groupe de prière pour les écoliers de la région. Au téléphone, il l'informe de son action, expliquant que son geste est en relation avec un abus sexuel commis par lui dans sa jeunesse, mais aussi avec la mort non acceptée de sa première fille.
La police n'aura pas le temps de le stopper. L'homme ouvre le feu sur les fillettes avant de retourner son arme contre lui-même. Naomi Rose Ebersole (7 ans), Anna Mae Stoltzfus (12 ans), Marian Fisher (13 ans), Mary Lyz Miller (8 ans) et sa sœur Lina (7 ans) succombent à l'attaque.

Pourquoi ?
A l'annonce de pareille tragédie, on se laisse aisément envahir par un terrible sentiment d'impuissance, d'incompréhension, de révolte même. Naturellement, on s'efforce de comprendre, de donner un sens, de trouver une réponse au pourquoi. Un évêque amish disait de ce drame : "C'est notre 11 septembre à nous", une tentative pour en toiser l'étendue. Pourtant, cette comparaison ne suffit pas à expliquer la cause ultime de la tragédie, pas plus que les explications du meurtrier. Face à une manifestation si brutale et impitoyable du mal à l'égard de figures quasi emblématiques de l'innocence, on ne peut s'empêcher de penser à une manifestation de ce que Paul désigne par « les dominations, les autorités, les princes de ce monde de ténèbres et les esprits méchants dans les lieux célestes » (Ep 6,12). Lorsque ces forces se déchaînent, elles semblent être douées d'une intelligence et d'un discernement propre. Sinon comment comprendre le choix de la cible : parmi tous les hommes, le meurtrier choisit des chrétiens ; parmi les chrétiens, les plus paisibles ; parmi les plus paisibles, les plus petits et les plus innocents ; parmi les plus petits, les plus faibles, des fillettes de 7 à 13 ans.
Face au mal et à la mort, l'homme doit pourtant se débrouiller avec ses questions : pourquoi moi, pourquoi ici, pourquoi maintenant ? Nos frères et sœurs amish auraient volontiers fait l'économie d'une telle expérience et du feu des projecteurs qui l'accompagne inévitablement. Dans ce contexte, un journaliste américain évoquait la remarque de Frodon, dans le roman du Seigneur des Anneaux : « J'aurais bien voulu que cela n'eût pas à se passer de mon temps ». Sur quoi, Gandalf lui répond : « Moi aussi, comme tous ceux qui vivent pour voir de tels temps. Mais la décision ne leur appartient pas. Tout ce que nous avons à décider, c'est ce que nous faisons du temps qui nous est donné ».
Et Gandalf de rappeler à son jeune compagnon qu'en dehors du pouvoir du Mal, "il y a encore autre chose à l'œuvre". Dans l'esprit de Tolkien, auteur du roman, cette autre chose évoquée de manière allégorique par le roman, c'est l'œuvre de Dieu accomplie en Jésus-Christ.

Un style de vie inspiré par l'Evangile
Assurément, les Amish n'ont pas choisi ce temps. Mais la question demeure : qu'ont-ils fait du temps qui leur a été donné ?
Les communautés amish semblent être mieux préparées pour gérer des circonstances dramatiques que le reste de la société. Comme l'a relevé Donald B. Kraybill dans un récent article, à leurs yeux, un événement aussi tragique que cette tuerie, ne saurait échapper totalement à la sphère de contrôle de la providence divine, même si momentanément, sa signification reste voilée pour le raisonnement humain. Ensuite, les Amish n'argumentent pas avec Dieu : au cœur de l'adversité la plus tenace, ils font preuve d'une étonnante capacité de s'en remettre simplement à la providence divine. Une telle attitude leur permet d'aller de l'avant rapidement sans rester indéfiniment paralysés à chercher une réponse à tous leurs « pourquoi ? ». Finalement, leur tradition d'entraide et de soutien mutuel – comme lors de l'érection commune d'une nouvelle grange – découlant de leur compréhension de l'Evangile, les incite à prendre rapidement soin les uns des autres en situation de détresse. C'est précisément ce qui s'est passé à Nickel Mines.
Dans ce sens, les Amish possèdent par leur foi et leurs habitudes sociales des ressources précieuses pour faire face à la mort. La mort reste bien sûr tragique pour eux aussi. La douleur ressentie par ces mamans et ces papas n'en est pas moins intense qu'elle ne le serait pour n'importe quels autres parents. Pourtant leur réaction a surpris la société.
Les parents de Marian Fisher ont invité la famille du tueur à se joindre aux funérailles de leur fille. Des Amish étaient présents à l'enterrement de Charles Roberts. La communauté amish a aussi rapidement fait savoir qu'elle pardonnait au meurtrier et qu'elle soutiendrait sa famille par le fonds d'entraide mis en place pour les familles des victimes. Qu'est-ce qui peut motiver un tel comportement ? Des paroles de l'Evangile, comme le Sermon sur la montagne : « Heureux ceux qui pleurent, car Dieu les consolera » ou encore Rom 12.21 : « Ne te laisse jamais dominer par le mal ; au contraire sois vainqueur du mal par le bien ».
Ce style de vie inspiré par l'Evangile est communiqué très tôt déjà aux enfants de la communauté. Quelques secondes avant le déclenchement de la tuerie, voyant que le pire était inévitable, Marian Fisher, 13 ans, cherchant à sauver ses plus petites camarades, interpelle Roberts en exigeant d'être abattue la première. Un pasteur présent à l'enterrement de Marian rapporte comment le grand-père de la famille faisait remarquer aux enfants présents : « Nous ne devons pas penser du mal de cet homme ».

Le contraste
L'Amérique et les Amish ont tous deux vécu leur 11 septembre. Le contraste entre la réaction d'un gouvernement qui se déclare chrétien et celle d'une communauté chrétienne qui ne veut rien avoir à faire avec le gouvernement est ici saisissant.
Un peu moins de 3000 personnes avaient perdu la vie en 2001 à Manhattan. Dans la foulée, le président Bush envahit l'Afghanistan et fait le « forcing » pour attaquer l’Irak sous des prétextes fallacieux. En vies propres, les Américains ont bientôt égalé le score atteint par les terroristes. Cet automne, un institut indépendant estimait les victimes irakiennes directes et indirectes de l'invasion à plus de 600'000. Ce sont là les conséquences d'une réaction humaine naturelle, aveuglée et déterminée par les puissances du mal, celle de Mammon, du militarisme, du matérialisme étroitement lié à la disponibilité du pétrole.
Beaucoup de chrétiens considèrent les Amish comme une curiosité, une anomalie, une attraction touristique, même si socialement et écologiquement, leur style de vie interpelle. Il arrive aux mennonites américains d'avoir un regard condescendant sur la foi et le style de vie de leurs cousins rustiques. Ils considèrent parfois leur foi comme morte ; la modestie amish ne cacherait-elle pas simplement un salut par les œuvres ?

Une démonstration de la grâce chrétienne
Au début de ce mois d'octobre, pratiquement sans mot dire, les Amish ont fait taire toute critique et forcé un profond respect bien au-delà de la société américaine. Ils ont fait une démonstration étonnante de la grâce chrétienne. Ils ont pardonné à leur oppresseur, enterré leurs morts, avant de retourner à leurs affaires. En moins de deux semaines, ils ont donné au monde une leçon d'humilité et de compassion exemplaire en rappelant à tous, et en premier lieu à une nation chrétienne, comment gérer de manière authentiquement évangélique une tragédie. En pareilles circonstances, la société court auprès des experts et des conseillers. Les Amish se rassemblent simplement pour un partage fraternel de leur chagrin et de leur douleur.
La société se barricade, installe des systèmes d'alarme et des détecteurs de métaux; les Amish continuent de vivre, simplement. La société édifie des monuments, un mémorial. A peine une dizaine de jours après l'événement, encore avant le lever du jour, les Amish ont rasé leur école, nivelé le terrain, semé de l'herbe. Circulez, il n'y a plus rien à voir !
Oui, les Amish ont fait la démonstration du pouvoir du pardon ; ce pouvoir est en principe mis à disposition de chacun par Dieu. Sa force est bien plus grande que la haine et la violence par laquelle les hommes essayent de corriger les dysfonctionnements du monde.

Thomas Gyger

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