"Récit de Noël : les mages ou quand les païens se mettent en route vers la lumière" par Jacques Blandenier

Jacques Blandenier lundi 15 décembre 2014

Dans l’évangile de Matthieu, le récit de la naissance de Jésus parle de scrutateurs d’astres venus adorer le nouveau-né. Episode surprenant d’un récit où des croyants d’autres religions viennent adorer l’enfant. Chemins divers vers le Fils de Dieu !

Ils font partie intégrante de tous les récits de la Nativité, cantiques, poésies, peintures…

Mais contrairement à l’âne et au bœuf(1), les mages sont réellement présents dans le texte biblique. On risque cependant de se contenter de les intégrer au décor un peu féérique de la nuit de Noël, sans se poser les bonnes questions à leur sujet.

Jésus naquit à Bethléem, en Judée, à l'époque où Hérode était roi. Après sa naissance, des savants, spécialistes des étoiles, vinrent d'Orient. Ils arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est l'enfant qui vient de naître, le roi des Juifs ? Nous avons vu son étoile apparaître en Orient et nous sommes venus l'adorer. » Quand le roi Hérode apprit cette nouvelle, il fut troublé, ainsi que toute la population de Jérusalem. Il convoqua tous les chefs des prêtres et les maîtres de la loi, et leur demanda où le Messie devait naître. Ils lui répondirent : « A Bethléem, en Judée. Car voici ce que le prophète a écrit : “Et toi, Bethléem, au pays de Juda, tu n'es certainement pas la moins importante des localités de Juda ; car c'est de toi que viendra un chef qui conduira mon peuple, Israël.” »

Alors Hérode convoqua secrètement les savants et s'informa auprès d'eux du moment précis où l'étoile était apparue. Puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez chercher des renseignements précis sur l'enfant ; et quand vous l'aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j'aille, moi aussi, l'adorer. »

Après avoir reçu ces instructions du roi, ils partirent. Ils virent alors l'étoile qu'ils avaient déjà remarquée en Orient : elle allait devant eux, et quand elle arriva au-dessus de l'endroit où se trouvait l'enfant, elle s'arrêta. Ils furent remplis d'une très grande joie en la voyant là. Ils entrèrent dans la maison et virent l'enfant avec sa mère, Marie. Ils se mirent à genoux pour adorer l'enfant ; puis ils ouvrirent leurs bagages et lui offrirent des cadeaux : de l'or, de l'encens et de la myrrhe. Ensuite, Dieu les avertit dans un rêve de ne pas retourner auprès d'Hérode ; ils prirent alors un autre chemin pour rentrer dans leur pays.

Matthieu 2.1-12

En premier lieu, on remarque une intéressante complémentarité dans les textes qui racontent la naissance de Jésus : l’évangile de Luc parle des bergers, représentants de la classe la plus modeste de la population – or, parmi les quatre évangiles, Luc est celui qui est le plus sensible à l’humilité de Jésus et à sa compassion pour les pauvres –, l’évangile de Matthieu, qui insiste plus que les autres sur la royauté du Christ, nous présente les mages. Ces prestigieux savants apportent leurs somptueux cadeaux(2) : l’or, qui évoque la richesse et la puissance royale, l’encens, qui symbolise la dimension religieuse (on l’utilise lors de sacrifices et de rites divers, tant en Israël que dans d’autres religions), alors que la myrrhe sert à calmer les douleurs et embaumer les morts(3). N’est-ce pas déjà à mots couverts, une évocation des divers aspects de la vie de l’enfant nouveau-né ?

Mais surtout, l’adoration des mages donne au récit de la Nativité une dimension insolite, qui nous amène à une réflexion d’une importance inattendue. Originaires de régions lointaines, ces mages sont des païens et représentent les peuples païens venant se prosterner devant le mystère de l’incarnation. Dans l’Orient ancien, chez les Mèdes, ils formaient une caste de prêtres dans la religion de Zoroastre. Plus tard, ils furent connus comme de savants astrologues, scrutant les étoiles pour y discerner des signes divins. Or voici que c’est justement grâce à leur pratique religieuse qu’ils découvrent cette étoile qui va initier leur recherche « du roi des Juifs qui vient de naître » (Mt 2.2).

Leur recherche, leur adoration à Bethléem, sont comme une anticipation du récit de la Pentecôte (Ac 2) et de toute la mission chrétienne au cours des siècles : ce n’est pas pour le peuple élu seulement, mais pour « toutes les familles de la terre » (Gn 12.3b) que le Fils de Dieu est venu.

Pourtant, depuis plus d’un millénaire, Israël, implanté sur la terre que Dieu lui avait réservée et conscient d’être le peuple élu, devait se garder strictement de tout mélange avec les peuples païens avoisinants(4) dont l’idolâtrie scandaleuse était une insulte au Créateur et un danger pour l’intégrité de la foi des descendants d’Abraham, Isaac et Jacob. Pourtant, dans l’Ancien Testament déjà, des signes avant-coureurs nous alertent. La reine de Saba, venue du cœur de l’Afrique jusqu’à Jérusalem apporter de somptueux cadeaux au fils de David(5), n’est-elle pas une figure prophétique annonçant la venue des mages ? Bien plus, le Serviteur de l’Eternel (dont Esaïe 53 dira qu’il était transpercé à cause de nos transgressions, écrasé à cause de nos fautes) est « établi pour être la lumière des nations » (Es 49.6). Il serait trop long de citer les textes abondants de l’Ancien Testament qui ouvrent la perspective d’un salut offert au monde entier. Ainsi, l’adoration des mages, en manifestant dès la Nativité la dimension universelle de la mission du bébé de la crèche, accomplit à sa manière les Ecritures.

Les religions : un tremplin vers la foi chrétienne ?

Il faut approfondir le pourquoi et le comment de la démarche des mages. Puisque c’est grâce à leur pratique religieuse qu’ils ont découvert l’étoile, peut-on aller jusqu’à dire que leur religion païenne a été un tremplin vers la foi au Sauveur du monde ? Oui… et non ! Quelques remarques pour expliquer l’ambiguïté de cette réponse :

- Les mages venaient d’une région où la voûte céleste était scrutée pour y discerner des signes divins régissant la vie des peuples et des individus. Les religions de l’Orient divinisaient les astres (c’était le cas du soleil à Ur-en-Chaldée et de la lune à Harân au temps d’Abraham). D’où l’aspect polémique du récit biblique de la création confronté aux récits mésopotamiens : Dieu place les astres dans le ciel comme des réverbères, leur attribuant un rôle purement utilitaire, et cela au quatrième jour seulement (Gn 1.14-19) !

- Les mages ont vu dans le signe de l’étoile(6) l’annonce de la naissance du roi des Juifs. On ne sait d’où leur est venu ce discernement. Le fait est que Dieu s’en est servi pour conduire des non-Juifs vers le berceau du Sauveur du monde (peut-être avaient-ils entendu parler de la promesse d’un roi divin pour Israël, grâce au témoignage des Juifs de la diaspora établis en Mésopotamie ?).

- Ils se sont dirigés vers Jérusalem. Démarche logique : ce n’est que dans une capitale et la majesté d’un palais royal que peut naître un tel prince !

- Mais leur logique ne suffit pas. Il faut une parole des Ecritures, citée par des spécialistes juifs, pour réorienter leur recherche. Le plus étonnant pourtant – et très révélateur ! – c’est que ces théologiens se trompent ou modifient sciemment la citation du prophète Michée. Ils lisent en effet : « Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es pas la moindre parmi les principales villes de Juda. Car de toi sortira un prince qui fera paître Israël, mon peuple. » C’est la même logique que celle qui a conduit les mages vers le palais d’Hérode : un roi ne peut naître que dans un lieu digne de lui. Mais il y a un problème : ce n’est pas ce que dit le texte hébreu, c’est plutôt le contraire : Michée fait porter l’accent sur l’insignifiance de Bethléem : « Et toi Bethléem Ephrata, tu es petite(7) parmi les milliers de Juda… »

Contrairement aux pronostics des soi-disant docteurs des Ecritures, c’est bien vers une humble bourgade, pire, vers un abri pour le bétail (et non vers un… quatre étoiles), que l’étoile va les guider ! Comment ces hauts personnages habitués aux fastes des palais de l’Orient, auraient-ils pu imaginer qu’ils allaient se trouver face à une famille dans le plus complet dénuement ? Folie de l’Evangile, de Bethléem à Golgotha, qui brise la notion humaine du pouvoir !

La parole des anges aux bergers, si souvent lue à Noël sans qu’on y prête vraiment attention, présente le même paradoxe : « Il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur »(8). Quelle accumulation de titres divins pour exprimer la dignité de cette naissance ! Mais qu’en est-il du signe qui permettra de le reconnaître ? « Vous trouverez un bébé enveloppé de langes et couché dans une crèche. » Il faut y voir la réalisation – ou du moins un acompte de la réalisation – de la double prophétie des cantiques du Serviteur de l’Eternel auxquels nous avons déjà fait allusion : « Tu seras la lumière des nations afin que le salut soit manifesté jusqu’aux extrémités de la terre »(9), et en même temps : « Il n’avait ni apparence ni éclat pour attirer les regards. Il était trop effacé pour se faire remarquer, il était celui qu’on dédaigne et qu’on ignore. »

Quel que soit le rôle qu’on peut attribuer à la religion des mages pour les avoir mis en route vers Bethléem, jamais ils n’auraient pu découvrir par eux-mêmes le mystère de l’incarnation du Fils de Dieu.

Une piste pour la mission ?

Dans la perspective de l’annonce de l’Evangile aux croyants d’autres religions, tout comme dans le dialogue interreligieux, le récit du voyage et de l’adoration des mages donne matière à réflexion(10). Certaines croyances, certaines valeurs portées par des traditions religieuses peuvent-elles guider celui qui cherche la lumière et l’accompagner pour un bout de chemin ? On est en droit de le penser. Selon Actes 17.22-28, il semble que Paul ait adopté ce genre de stratégie en s’adressant aux Athéniens.

Mais sans la révélation biblique, ces croyances ne sauraient en aucun cas, à elles seules, conduire jusqu’au Fils de Dieu qui, selon les Ecritures, a endossé la condition humaine avec toute sa fragilité, a été livré à une mort infâmante, est ressuscité et règne auprès de son Père.

Jacques Blandenier

 

Notes

1 Pour ces charmants animaux, on trouve une référence assez artificielle en Esaïe 1.3.
2
Mais là encore, n’ajoutons rien au texte : il n’est pas dit qu’ils étaient des rois, ni d’ailleurs qu’ils étaient trois !
3
Voir Mc 15.23 et Jn 19.39.
4 Une lecture attentive des textes tend à montrer qu’ils ne se sont guère conformés à ce commandement !
5
1 Rois 10.1ss, ainsi que 1 Rois 5.9-14.
6
La conjonction de Saturne et Jupiter en l’an 7 av. J.-C., la Nova, repérée en 4 avant J.-C. ? La question reste périphérique…
7
On peut même traduire : « Tu es trop petite pour être comptée parmi les familles de Juda » (Michée 5.1).
8 Luc 2.11, puis v. 12.
9 Esaïe 49.6, puis 53.2b-3a.
10
Le missiologue Don Richardson a mené une réflexion intéressante sur cette question dans son livre L’Eternité dans leur cœur (Jeunesse en Mission, 1982).

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