Souvenir...

jeudi 13 juillet 2006

Il y a au fond de moi un lieu que je refuse aux autres, une sorte de cave profonde, sombre et triste au bout d'un escalier étroit. J'y ai jeté un morceau de mon histoire, un souvenir honteux, pour le cacher, pour l'oublier. Il y moisit depuis des mois, des années, mais il est encore là et je le sais. Le temps passé ne l'a pas recouvert, tout au plus ai-je réussi à plus ou moins le dérober au regard des autres... et encore... à quel prix !

Une douleur lancinante prête à se réveiller
La porte de la cave... plus question d'en approcher. De nombreux panneaux l'interdisent, avertissent, découragent les plus téméraires... Même moi, je ne m'y risque plus espérant oublier jusqu'au chemin qui y mène. Malgré cela, le souvenir est là. Il reste comme une douleur lancinante prête à se réveiller, prête à mordre, prête à ronger... J'ai l'impression que mon secret grossit chaque jour, comme une tumeur martelant son message de mort. Le temps lui-même est un espoir menteur. On le croit capable de guérir. Il est incapable d'accomplir ce qu'il semble promettre.
Un cortège de thérapeutes a défilé chez moi. J'ai accueilli le curieux, l'autoritaire, le vendeur d'illusion, le pessimiste, l'optimiste, celui qui veut à tout prix s'approcher de la porte, celui qui veut l'enfoncer, celui qui offre la réponse avant d'avoir écouté la question... J'ai regardé chacun. Je les ai écoutés sans en trouver un seul qui sache me rencontrer. Ils venaient visiter un problème et non
une personne.

Toi, l’amitié...
Et puis toi, l'amitié, tu es entrée. D'abord, avec une infinie douceur, tu as su te contenter de la place que je t'offrais. Tu n'as jamais usé de questions pour gagner du terrain, pour t'amuser, pour m'abuser. Tranquillement tu t'es assise à côté de moi et j'ai découvert qu'une présence pouvait ne pas être une menace. Au fil des mois, j'ai appris à aimer ta compagnie. J'ai découvert la joie de
partager avec toi des paroles et des silences en étant simplement bien. Avec patience et respect tu as tissé un à un les fils de la confiance. Et je me suis éveillé à la paix, à la possibilité d'être moi-même, heureux d'être à côté de toi.
Puis le moment est venu. J'ai compris que c'était moi qui avais envie de t'inviter à visiter ma cave. Ce que personne n'avait pu me prendre, il fallait soudain que je te l'offre comme le plus beau des cadeaux que je pouvais te faire. Comme le merci qui répondait à ton respect.
Je t'ai prise par la main... sans poser de question tu as compris l'importance du moment et tu m'as suivi. Lorsque j'ai ouvert la porte, tu as serré ma main un peu plus fort comme pour me dire que dans des instants comme celui-là, il n'y a pas besoin de prononcer une parole, seul un signe d'encouragement convenait. J'ai appris de toi le silence qui parle plus fort que les mots, celui qui réunit et qui dit ce que tu es: l'amitié. Nous sommes descendus l'étroit escalier et, dans le rai de lumière offert par la porte entrouverte, tu as vu le secret que je n'avais jamais offert à personne. Un paysage tellement laid qu'on ne peut le montrer qu'à ceux qu'on aime. Moi, je n'ai pu le regarder... la peur, tu comprends, la peur de lire ta réaction aussi sans doute. Tu t'es baissée. Tu as ramassé un morceau. Tu l'as pris sur toi acceptant même de te salir un peu et, lentement, tu m'as entraîné vers la sortie. Cette fois, c'est moi qui serrais plus fort ta main comme pour me rassurer, pour m’assurer qu’après avoir vu tout ça, tu n'avais pas simplement envie de partir me laissant devant un point final, seul face à moi-même.

La Tendresse habitait la tienne
Tu me montrais simplement le chemin de la sortie, le chemin que devait prendre ce souvenir honteux ramené soudain à la lumière. Tu as posé le morceau derrière moi pour ne pas m'agresser. Ce n'est que là, au haut de l'escalier, que tu as laissé parler ton coeur. Tu as dit... ce que tu devais dire, pas plus, pas moins, mais tu as su le dire sans cesser d'aimer, anticipant mes réactions, apaisant une éventuelle douleur de paroles d'amitié. Tu savais que quoi qu'on dise dans ces moments-là, on prend un risque, qu'aucun arrachement ne se vit sans douleur. Tu ne l'as pas esquivé, parce que c'est comme ça que tu aimes. Et j'ai compris dans ce voyage que la tendresse de Dieu habitait la tienne, que c'était la main du Seigneur qui avait tenu la mienne, que la lumière qui accueillait ce souvenir honteux avait l'éclat d'un pardon possible.
Tu es devenue parole d'un autre. J'ai su que si toi tu pouvais continuer d'aimer en sachant, celui qui t'habitait et qui t'avait envoyée le pouvait aussi.
J'ai su que tu avais été celle dont les gestes et les mots m'avaient dit la tendresse d'un Père, en son nom. Soudain, dans la vive clarté du jour, je me suis retourné et j'ai osé regarder mon souvenir honteux... Je l'ai vu comme un peu de moi qui sortait enfin. Je t'ai regardé et là, dans un sourire, tu m'as fait un clin d'oeil... Sans un mot, encore une fois, tu avais compris ce que je venais de vivre.
Jean-François Gertsch

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