EEM 08: « Quartier libre », un thermomètre social pour une Eglise locale

mardi 26 août 2008
30 groupes « Quartier libre » en Suisse romande et autant en France permettent à des Eglises locales de prendre le pouls de quartiers difficiles. Grâce à des animations musicales, chorégraphiques et théâtrales pilotées par des bénévoles, ces activités développent de la prévention auprès d’enfants, souvent précarisés par une situation économique, sociale et familiale difficile. Le point sur un outil développé par les Fabricants de joie de Jeunesse en mission et lancé par Didier Crelier et Eve, son épouse, voilà 10 ans à Yverdon-les-Bains. Interview.
Que peut apporter « Quartier libre » à une Eglise locale ?
Didier Crelier - « Quartier libre » apporte du vent frais à une communauté locale. Rencontrer des gens dans les quartiers nous oblige à nous poser des questions sur des problèmes de société. Ces problèmes ne filtrent pas forcément entre les murs de nos Eglises, mais ils nous interpellent quand nous rencontrons les habitants d’un quartier dans leur contexte.

Avez-vous vu le visage d’Eglises locales changer au travers de « Quartier libre » ?
A Valence en France, une Eglise a connu dans son quartier un conflit violent entre deux familles, suite au meurtre de l’un des jeunes par un jeune de l’autre famille. Bêtement l’un a frappé l’autre d’un coup mortel. Cette Eglise qui connaissait les deux familles, les a contactées de façon indépendante. Lentement ces deux familles ont fait un chemin de réconciliation. Voir ces deux familles faire un tel chemin a remis en question les membres de l’Eglise. Ce travail de réconciliation a donc non seulement créé des changements entre ces deux familles, mais aussi dans l’Eglise locale.
L’implication des ados et des jeunes adultes de l’Eglise dans le quartier a amené de plus des changements dans les attentes de ces jeunes. Pour l’Eglise, voir ces jeunes adultes changer, bouger et s’enthousiasmer a été une véritable surprise. L’Eglise s’est mise à réfléchir à la manière adéquate de les soutenir valablement.

Quelles sont les différences entre les « Flambeaux de l’Evangile » et « Quartier libre » ?
Ce qui les différencie le plus l’un de l’autre, c’est que les « Flambeaux » font sortir les enfants chrétiens et non chrétiens de leur cadre habituel. « Quartier libre » cherche davantage à rejoindre les enfants là où ils sont. Ces deux activités sont complémentaires. « Quartier libre » rencontre les enfants dans les quartiers. Ensuite, on peut confier ces enfants à des activités « Flambeaux » pour leur faire découvrir autre chose que leur quartier : la nature, l’amitié, des relations de qualité...
Du point de vue de la foi, il est clair que le contenu de ce qui est présenté aux enfants dans la rue est nettement plus léger, parce que le public que l’on va rencontrer n’a pas d’arrière-plan chrétien. Dans les activités « Flambeaux », le contenu biblique est plus dense. Il faut certes adapter son message aux enfants, mais surtout leur permettre de découvrir l’Evangile.

Pour vous l’un des axes forts de l’activité « Quartier libre », c’est la prévention. Qu’entendez-vous par là ?
En fait il s’agit d’intervenir auprès des enfants avant qu’ils ne soient saisis par les bouleversements de l’adolescence, un temps où l’ado va davantage se tourner vers son groupe de pairs que vers l’adulte. Il faut donc créer le contact entre lui et l’adulte pour que, pendant l’adolescence, ce contact puisse se maintenir.

Quels sont les axes autour desquels vous travaillez en matière de prévention ?
Nous travaillons au niveau de la relation. On passe beaucoup de temps à apprendre à connaître les enfants, à les encourager, à travailler sur leur estime d’eux-mêmes. Puis on aborde des thèmes qui vont les faire réfléchir sur leur quotidien : comment se fait-on des amis ? le respect des parents ou des personnes plus âgées, à quoi ça sert ? le pardon, le vol... Nous abordons aussi la question du choix des relations : celles qui vont tirer l’enfant vers ce que il aime faire et celles qui vont le plonger dans des dimensions qu’il n’aimerait pas développer dans sa vie. En fait beaucoup de ces thèmes de prévention tournent autour de ce que l’on appelle l’intelligence émotionnelle.

Finalement « Quartier libre », ce n’est pas une rencontre un samedi une fois, c’est vraiment un engagement qui s’inscrit dans la durée...
Parce qu’une vie d’enfant ne se transforme pas en un samedi ou en une année, c’est un travail dans la durée. Certains jeunes, nous les connaissons depuis 9 ans. Même si aujourd’hui ce sont pour certains de jeunes adultes avec d’autres préoccupations, nous avons essayé de garder un contact dans la durée. S’ils le veulent bien, nous pouvons être de véritables interlocuteurs dans la passe difficile qu’est l’adolescence, où les bouleversements sont nombreux et perturbants pour les jeunes.

« Quartier libre » est perçu par certains comme une activité d’évangélisation. Comment réagissez-vous à cela ?
« Quartier libre » en tant que programme dans la rue n’est pas une activité d’évangélisation. C’est une activité de « préévangélisation », parce qu’on travaille surtout au niveau des valeurs. Notamment des valeurs bibliques qui, je le crois, transforment l’enfant. On m’a souvent dit : « Tant qu’ils n’ont pas rencontré Jésus, les valeurs de l’Evangile ne les transforment pas ! » Je réponds souvent : si j’avais attendu que mes enfants fassent une démarche de foi sans leur communiquer de valeurs, je n’aurais pas fait mon job de père ! Même si l’enfant ne donne pas sa vie à Jésus, les valeurs de l’Evangile sont agissantes. Elles changent son comportement et sa vie familiale.
J’ai en tête une famille touchée par l’alcoolisme. Le papa, grâce à la prière, à l’écoute active et à l’espérance qui est au coeur de la foi chrétienne, a progressé. Il a retrouvé son rôle de père. Il a suivi une cure de désintoxication et finalement il a repris un travail. Les valeurs de l’Evangile sont donc agissantes, peu importe où on se trouve dans notre démarche de foi.

Comment cette dimension chrétienne est-elle perçue par les municipalités ? Vous reproche-t-on parfois de faire du prosélytisme ?
La crainte est là dès le départ. On a peur qu’avec « Quartier libre » on fasse du prosélytisme. Quand on met en avant que dans la rue on travaille au niveau des valeurs et que c’est pour cette raison-là que l’on peut rejoindre aussi bien des musulmans que des bouddhistes ou des familles hindoues parce que ces valeurs on les retrouve dans d’autres traditions religieuses, alors l’attitude change.
Par contre nous en tant que chrétiens, nous ne ferions pas notre job si nous nous arrêtions à ce travail sur les valeurs. Nous proposons aux enfants et aux familles d’aller plus loin dans la foi. Non pas au travers d’activités de rue, mais au travers d’activités privées. Nous sommes prêts à venir dans le salon d’une famille et à avoir une activité pour les enfants afin d’aller un peu plus loin dans la foi. Le but, c’est que ces enfants puissent rencontrer Jésus et découvrir en quoi consiste le fait d’être son disciple.

Propos recueillis par Serge Carrel

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