Quand on parle des 500 ans de la Réforme et qu’il s’agit d’évoquer la personne de Martin Luther, qu’est-ce qui vous vient à l’esprit au premier chef ?
A mon sens, notre situation a des points comparables à la situation de Martin Luther au XVIe siècle. Mais elle apparaît aussi comme son image inversée…
Expliquez-nous ce que vous entendez par là ?
Avec la distance, nous nous rendons compte que le XVIe siècle a accouché d’un âge nouveau : la modernité. Il y a eu les grandes découvertes, des inventions comme l’imprimerie… Et dans le tumulte des esprits, une configuration nouvelle s’est constituée. Aujourd’hui, il semble bien aussi qu’avec les évolutions technologiques extrêmement nombreuses, avec une mondialisation qui changent la donne et la sensibilité communes, nous soyons aussi à la veille de l’enfantement d’un monde nouveau.
Mais en même temps, vous dites que nous sommes presque aux antipodes de la situation du XVIe siècle ?
Le problème auquel Martin Luther s’est attaqué, c’est la neutralisation du message biblique dans sa force et dans sa pureté par les couches accumulées de traditions, d’interprétations qui se voyaient attribuer une autorité quasiment égale ! De fait, le message était quasi annulé par le poids de la tradition qui le recouvrait. Aujourd’hui, la situation est inverse. On peut saper l’autorité, la communication d’un message par le trop, mais aussi par le pas assez. Dans beaucoup d’Eglises il y a une forme de théologie qui enlève au message biblique beaucoup d’éléments essentiels.
Lesquels ?
Il y a la question de la véracité de la Bible elle-même. D’après toute la tradition millénaire du christianisme, sous sa forme catholique ou protestante, la Bible est parole de vérité, et tout ce que la Bible enseigne doit être reçu comme Parole de Dieu. Aujourd’hui, cette position que l’on caricature souvent ou que l’on dénigre sous le nom de « fondamentalisme », n’est plus reconnue par un très grand nombre de théologiens. Ils s’estiment en nécessité et en légitimité de trier dans l’Ecriture ce qui leur semble vraiment Parole de Dieu et ce qui leur semble parole humaine, marquée par le temps et pour nous périmée. C’est un exemple extrêmement net concernant la chrétienté contemporaine.
Un autre exemple pourrait être le sens de la mort du Christ. La Croix est le symbole du christianisme, et pas pour rien ! La mort de Jésus-Christ – dans la prédication biblique elle-même et tout spécialement à la Réforme ! – a été proclamée comme la source de la vie pour ceux qui adhèrent à Jésus-Christ par la foi. L’interprétation qui domine parmi diverses approches dans la Bible elle-même et à la Réforme à coup sûr, c’est que le Christ a porté les péchés de l’humanité, qu’il a pris sur lui tout le poids des fautes et a enlevé ainsi l’obstacle qui séparait Dieu de l’humanité et rendu possible la communication de son Esprit. Or, cette interprétation de la Croix, que la Bible elle-même nous présente en priorité, est aujourd’hui très largement contestée…
Diriez-vous qu’aujourd’hui la foi chrétienne a été vidée de sa substance ?
Oui, le message est évidé de manière très dommageable ! Je me rappelle une formule que l’on retrouve dans la seconde épître à Timothée (3.5) : « Ils gardent la forme de la piété, mais renient ce qui en fait la force ! » Je crains que ce soit ce qui afflige une partie au moins notable de la chrétienté aujourd’hui.
En quoi devrions-nous aujourd’hui réformer le christianisme ?
Il y a une formule qui est très populaire. Elle ne vient pas du XVIe siècle, mais du XVIIe : « Ecclesia reformata semper reformanda. » En substance, l’Eglise qui s’est réformée grâce à Luther et à tous ceux qui ont suivi, notamment Jean Calvin… L’Eglise réformée doit toujours être réformée. Cela s’applique à notre temps de manière urgente. Il appartient aux théologiens, aux pasteurs et aux chrétiens de proclamer le message même de la Bible, la Parole de Dieu, avec la Seigneurie de Jésus-Christ et le sacrifice par lequel il rend possible la vie de tous ceux qui adhèrent à lui… C’est ce message que nous avons à disposition pour réformer à toute époque, et en particulier la nôtre.
La Réforme que j’appelle de mes vœux n’est pas dans l’air du temps. Elle est contraire aux tendances qui s’affirment assez largement parmi nos contemporains, selon les idéologies qui imprègnent les esprits et peut-être davantage encore la sensibilité qui s’exprime. Mais d’autre part, il y a le sentiment très fort d’une crise, d’un manque de sens et d’avenir, et cela favorise l’idée qu’une Réforme assez radicale serait nécessaire. Ces deux aspects ne vont pas dans le même sens, mais il faut « combattre » en tout temps. Les Réformateurs du XVIe siècle ont bénéficié de certains facteurs favorables, mais ont aussi rencontré une opposition extrêmement déterminée. Ils ont payé parfois très cher leur attachement à la Parole de Dieu redécouverte.
Pour les chrétiens d’aujourd’hui, comment entrer dans cette Réforme que vous appelez de vos vœux ?
Restaurer l’autorité plénière de l’Ecriture sainte est une nécessité fondamentale. C’est par ce moyen – la Réforme l’a dit ! – que le Christ exerce sa Seigneurie sur son Eglise, sa Seigneurie bienfaisante qui la conduit dans la vie et vers l’accroissement de vie. Il y a une autre façon subtile d’éluder la Seigneurie de Jésus-Christ, c’est de tout miser sur les composantes sensibles de l’expérience qu’il permet. S’intéresser au ressenti ou à l’émotion et ne pas se soucier beaucoup de la vérité de ses paroles et de la ligne qu’il commande de suivre pour aller dans la vie et vers la vie…
Faudrait-il à votre avis en appeler à une nouvelle orthodoxie ?
Le mot orthodoxie signifie « pensée droite », et certainement c’est la Réforme que je souhaite : que nos pensées soient rectifiées par la restauration de l’autorité biblique. Une nouvelle orthodoxie est souhaitable, mais cette orthodoxie n’est pas une fossilisation ! C’est une caricature que d’imaginer que l’orthodoxie tend forcément vers la mort… qu’elle est sectaire et intolérante ! Lorsque l’on s’inquiète de « pensée droite », on s’intéresse à la fausseté, autrement cela n’a pas de sens. Mais ce n’est pas pour autant que l’on se ferme à des interpellations, que l’on ignore des points de vue qui peuvent être intéressants et que l’on manque de bienveillance à l’égard des personnes. Pas du tout ! L’orthodoxie doit au contraire permettre, par la fermeté des fondements, d’accueillir plus facilement et avec un intérêt véritable des propositions différentes qui sont à examiner.
Y a-t-il des personnalités qui incarnent cette orthodoxie ?
J’ai beaucoup d’admiration pour James Packer, l’anglican évangélique, qui est maintenant à la retraite… Il y a Donald Carson, un professeur de Nouveau Testament des Etats-Unis, capable de traiter des sujets de théologie systématique ou de théologie pratique. Il y a aussi le mouvement Evangile 21, qui véhicule certains traits plus américains que je ne partage pas entièrement : par exemple, une réticence par rapport au ministère féminin, que je trouve excessive. Il y aussi l’Alliance évangélique mondiale et le Mouvement de Lausanne, deux mouvements très précieux, qui peuvent servir d’instrument à la grande Réformation dont nous avons besoin.
Propos recueillis par Serge Carrel