Comment avez-vous décidé de devenir aumônier dans l’Armée ?
Daniel Ruefenacht – Lorsque je suis devenu pasteur, j’étais encore incorporé dans le système Armée 95. A l’époque j’avais demandé à devenir aumônier militaire et j’ai eu l’occasion de vivre une journée avec l’aumônier du Bataillon de fusillers 21 de l’époque. Malheureusement mon parcours évangélique ne me permettait pas de poursuivre dans cette voie. C’est en parlant avec un collègue qui entamait des démarches avec l’Aumônerie de l’armée que j’ai découvert que cela était désormais possible.
Nathanaël De Keuster – J'ai entendu parler de la Convention de collaboration qui a été signé en 2021 entre la FREE et l'Armée suisse. Quelques mois plus tard, j’ai effectué un stage avec un ami aumônier à la caserne de Chamblon. J’ai trouvé fantastique de pouvoir accompagner des recrues dans les bons moments, comme dans les moments difficiles.
Maxime Jaquillard – Lors de mon école de recrue à la caserne de Bière, l’aumônier Udo Bayer, qui était pasteur dans le village voisin de Gimel, m’a donné un nouveau testament. J’ai beaucoup apprécié cela, et ce nouveau testament a trouvé place dans une poche de ma tenue de combat. J’aimais le lire, par petites portions, lors des temps libres. Ensuite, l’idée de transmettre à mon tour la sagesse contenue dans ce livre m’a vraiment motivé. Et lorsque je suis arrivé comme pasteur dans la communauté évangélique de Gimel, j’ai eu envie de concrétiser cette idée.
Comment la sélection et la formation se sont elles passée ?
Daniel Ruefenacht – Après un entretien téléphonique, des personnes de l’Eglise dans laquelle je suis pasteur, la FREE et moi-même ont eu quelques formulaires à remplir. Ensuite, j’ai participé à une journée d’informations, à un entretien personnel et à une visite médicale. Finalement, j'ai été accepté pour participer à la formation qui s’est terminée en mai 2022 par ma nomination au grade de capitaine aumônier. Cette procédure a été très enrichissante pour moi. J’ai vécu des temps extraordinaires avec des hommes et des femmes remarquables.
Nathanaël De Keuster – J’ai passé par des entretiens rigoureux, avec de nombreuses questions et des tests de situations. La sélection est faite de manière vraiment sérieuse.
En quoi le travail d’aumônier dans l’Armée suisse consiste-t-il ?
Daniel Ruefenacht – Le travail d’aumônier est avant tout un travail d’écoute. Il s’agit d’être disponible pour la troupe, de la recrue et du soldat, jusqu’aux cadres et officiers supérieurs.
Nathanaël De Keuster – Il s’agit aussi d’accompagner des militaires de toutes confessions, dans leurs questions spirituelles.
Maxime Jaquillard – L’aumônerie de l’Armée suisse est un service qui apporte une assistance spirituelle à tous les militaires, quelles que soient leurs convictions. Du coup, elle doit être adéquate pour chaque militaire qui fait appel à ses services, quel que soit son arrière-plan religieux. Chaque aumônier doit être prêt à s’engager selon ces conditions. Cependant, il lui est demandé de garder un encrage dans sa tradition et sa confession, afin de pouvoir aider les militaires qui auraient des besoins spécifiques, en lien avec cette confession.
Ma fonction d’aumônier m’amènera à être présent auprès de la troupe, du soldat au commandant, et à gagner la confiance de chacun. Il m’arrivera d’avoir à intervenir lors de situations problématiques, telles qu’un accident ou un désaccord entre un militaire et ses supérieurs. Je pourrai également être amené à prendre la parole lors de cérémonies militaires ou religieuses. Il se trouve que les aumôniers sont souvent des théologiens, des pasteurs ou des prêtres, mais c’est avant tout leur savoir-être qui est important, et leur vision de l’être humain inspirée par l’Evangile qui est appréciée.
Pourquoi recevez-vous le grade de capitaine ?
Daniel Ruefenacht – Le Règlement de service de l’Armée précise qu’un soldat empêché de rédiger un testament normal, notamment en raison de la guerre, peut le faire par oral et le faire transmettre à un officier du rang de capitaine, au moins. L’aumônier doit donc être habilité à recueillir et transmettre des testaments.
Maxime Jaquillard – Plusieurs raisons font qu’un aumônier de l’Armée suisse reçoit le grade de capitaine. D’abord, cela rappelle l’importance, pour l’armée, de la fonction d’aumônier. Comme il s’agit d’un grade intermédiaire, cela permet également à chaque militaire, du soldat au commandant de corps, de s’adresser librement à l’aumônier. De plus, selon le règlement militaire, seul un officier peut recevoir le testament d’un mourant. Pour moi, être capitaine implique aussi de développer le respect et des relations de confiance, ainsi que de travailler au bien-être de chacun.
Quelle sera votre disponibilité pour l’Armée, au cours de ces prochaines années ?
Daniel Ruefenacht – Selon mon affectation, je vais être actif au minimum une dizaine de jours par année, et au maximum 80 jours sur deux ans.
Maxime Jaquillard – Cela dit, nous devons d’abord être incorporés, soit à une école de recrue, soit à un cours de répétition. La décision sera prise au plus tard au début 2023.
Comment conciliez-vous un certain pacifisme évangélique avec votre engagement militaire ?
Daniel Ruefenacht – Les deux choses ne ont pas incompatible. Aimer son prochain, c’est aussi être là au moment où les choses sont compliquées… et à plus forte raison dans une situation de conflit.
Maxime Jaquillard – En principe, l’Armée suisse ne devrait exercer aucune violence, puisqu’elle est une armée de dissuasion, avec une vocation uniquement défensive. C’est donc une manière d’aimer nos ennemis que de les dissuader de nous attaquer, afin que nous respections ensemble le commandement : « Tu ne tueras point ». La violence n'est jamais positive. Même lorsqu’elle est parfois nécessaire, elle ne fait que démontrer l'échec humain.
Ambroise (339-397), évêque à Milan, expliquait : « Celui qui ne lutte pas, autant qu'il le peut, contre l'injustice qui menace son prochain est aussi coupable que celui qui la lui fait subir ». Quant à Martin Luther, il soulignait la tension qu’engendre l’exercice de la violence : « Tout meurtre rend moralement coupable – même si ce n'est pas juridiquement. Mais il existe aussi une culpabilité lorsqu'on n'agit pas là où l'on devrait et pourrait agir. »
Vous engagez-vous avant tout comme aumônier, citoyen, chrétien ou évangélique ?
Daniel Ruefenacht – Les trois en même temps.
Nathanaël De Keuster – Moi aussi, je m'engage en tant que citoyen, chrétien et évangélique.
Maxime Jaquillard – Les aumôniers évangéliques sont reconnus pour leur compétences pastorales. Ils témoignent également de la capacité des évangéliques à s’impliquer dans la société suisse, pour son bien, sans arrières pensées, avec confiance et foi.
Dans certaines armées étrangères, les aumôniers s’occupent de leurs coreligionnaires. Dans l’Armée suisse, chaque aumônier doit être capable de prendre soin de soldats de n’importe quelle religion, voire sans religion. Comment cela oriente-t-il votre travail ?
Daniel Ruefenacht – Je vais accomplir mon travail selon les directives qui me sont demandées. Je serai là pour chacun, quelque soit son origine, pour écouter, apporter un soutien spirituel et aiguiller vers d’autres services si nécessaire.
Nathanaël De Keuster – C'est ce qui fait la beauté de ce travail qui est en même temps un ministère. Nous accompagnons des militaires de toutes confessions, dans leurs questions spirituelles. Il s’agit d’être à l'écoute de chaque militaire, de prier pour ceux qui le souhaitent et d’être une personne-ressource. C'est cela qui me donne envie de m'engager comme aumônier militaire.
Dans l’Armée suisse, les aumôniers ont l’interdiction de « faire de l’évangélisation ». Alors, à quoi sert-il à un évangélique de devenir aumônier militaire ?
Daniel Ruefenacht – Un aumônier évangélique s’engage de manière similaire à un évangélique qui serait politicien, syndic, pompier, magistrat ou membre de la fonction publique.
Nathanaël De Keuster – Un aumônier évangélique peut être « sel et lumière » ; et ce qu’il est parle bien plus fort que ce qu’il dit. Et c’est ce que je désire être. Je veux être un aumônier militaire rempli d'amour, d'écoute et de compassion pour chaque militaire.
Maxime Jaquillard – J’aime témoigner de ma foi en Jésus-Christ. Cependant, je le fais en considérant le contexte dans lequel je me trouve. Et, à l’armée, évangéliser n’est clairement pas la mission qui nous est confiée. Par contre je suis un témoin et je m’en réjouis.
Il nous est demandé d’incarner des valeurs liées, notamment, à la tradition chrétienne dont notre pays est imprégné. Il s’agit de valeurs telles que la justice, la liberté, l’égalité de traitement, la solidarité, la coexistence pacifique, le respect, la tolérance et la diversité. Dans ce but, il est bon que nous soyons enraciné dans une tradition spirituelle. Pour ma part, je désire incarner l’amour de Dieu pour chacun par ma relation au Christ, mon service, ma présence, mon écoute, la confiance, la sagesse et l’encouragement (du Christ) que je pourrai partager avec chacun.
Bien-sûr, si un militaire me pose des questions en lien avec l’espérance qui m’anime, je serai heureux de lui donner quelques réponses. Mais ce sera sa demande.
Selon la Constitution suisse, la Confédération est déiste, mais elle ne reconnaît aucune religion. Du coup, pourquoi est-elle intéressée à engager des aumôniers évangéliques ? Vu le petit nombre de chrétiens en Suisse, ne devrait-elle pas engager plutôt des aumôniers sans religion ?
Daniel Ruefenacht – Il faudrait poser cette question directement au département concerné. Cependant, un aumônier est avant tout une personne « connectée » : un curateur d’âme, un « Seelsorger », en allemand. Ainsi, l’aumônier doit savoir ce qu’est une âme et comment en prendre soin. C’est une question de compétences humaines, et c’est ainsi qu’il saura accomplir ce travail.
Maxime Jaquillard – L’Armée possède déjà des ressources en dehors du domaine religieux : des psychologues et des services sociaux avec lesquels nous travaillons en réseau. Ce dont l’armée a besoin, ce sont des personnes qui ont des compétences spirituelles, complétées par une expérience humaine. Or, ces compétences, nous les avons.
Interview de Daniel Ruefenacht, Nathanaël De Keuster et Maxime Jaquillard. Propos recueillis par Claude-Alain Baehler.