Quelles raisons vous ont poussé à publier ce livre ? Il y a deux raisons principales. La première est une raison théologique. Les trois quarts de notre Bible sont composés de l’Ancien Testament et l’Eglise, dès ses origines, a reconnu l’autorité de ces Ecritures juives. Jésus n’est pas apparu dans un contexte bouddhiste, animiste ou hellénistique avec les mythes de la Grèce antique, mais il est né au sein du peuple forgé par l’Ancien Testament. Ce n’est pas un hasard, et on ne peut qu’y discerner une évidente intention divine. Jésus et ses apôtres étaient des juifs, lecteurs de l’Ancien Testament. Les auteurs du Nouveau Testament étaient pétris des Ecritures de l’Ancienne Alliance et ils les citent constamment. On risque donc de passer à côté de beaucoup de vérités essentielles de notre foi évangélique si on fait l’impasse sur l’Ancien Testament.
Mais il y a une deuxième raison : souvent on a mal lu l’Ancien Testament, de façon très légaliste ; ou alors on se décourage devant certaines difficultés, ou face à des textes qui paraissent en conflit avec l’Evangile de la grâce et de l’amour révélés en Christ. Il faut que l’on retrouve comment lire l’Ancien Testament en tant que chrétien et non pas en tant qu’archéologue ou en tant que « judaïsant ».
Concrètement, quelle est la lecture que vous proposez de l’Ancien Testament ?
Personnellement, je plaide pour une lecture dynamique, en Christ. Ce qui évidemment pose problème dans la mesure où c’est introduire dans l’Ancien Testament quelqu’un qui ne s’y trouve pas historiquement, puisqu’il est né après. Lecture pourtant légitimée, par l’Ancien Testament lui-même, car il ne se termine pas comme un livre qui a dit tout ce qu’il y avait à dire. Au contraire, plus on avance dans sa lecture, plus on découvre qu’il s’ouvre sur ce qui n’est pas encore là, et qui est attendu avec espérance, avec impatience. Or le Nouveau Testament tout entier nous dit : ce qui devait venir est venu et c’est Jésus-Christ. Il est Celui vers lequel tend l’Ancien Testament.
Bien entendu, il ne faut pas en conclure que chaque page de l’Ancien Testament devrait être lue comme une énigme dans laquelle il faut essayer de découvrir où Jésus se cache, comme on l’a fait parfois avec une typologie exagérée. L’Ancien Testament doit être lu comme une histoire qui a un sens – c'est-à-dire une signification et une direction. C’est l’histoire du salut qui pointe vers son accomplissement au-delà de lui-même. La clé, ou la grille d’interprétation de l’Ancien Testament se trouve dans le Nouveau.
Aujourd’hui, que répondez-vous à celui qui affirme que lire l’Ancien Testament est une perte de temps ?
Il est vrai que le cœur de la Révélation de Dieu se trouve dans le Nouveau Testament. Si on veut se limiter à cet essentiel, alors concentrons-nous sur le Nouveau Testament. Du reste on ne s’y est pas trompé quand en mission on a traduit la Bible en commençant pas le Nouveau Testament : un évangile, les Actes et une ou deux épîtres... Par contre, si on veut comprendre plus en profondeur le Nouveau Testament, il faut être conscient que presque tous les termes clés qu’on y trouve ont leur explication dans l’Ancien. Ne serait-ce que les titres attribués à Jésus : le nom « Christ » (Messie), l’Agneau de Dieu, l’alliance avec le Dieu Unique, le sens de la croix comme sacrifice expiatoire, la cène qui accomplit pleinement le sens de la Pâque juive… Certes, on rencontre authentiquement le Dieu de Jésus-Christ en lisant le Nouveau Testament, mais si on veut comprendre l’ampleur de son œuvre pour nous, lire l’Ancien n’est en aucun cas du temps perdu, bien au contraire !
Certaines personnes font une lecture « plate » de l’Ancien Testament et mettent sur le même plan le don de la loi et la venue de Jésus-Christ. Comment vous situez-vous par rapport à une telle manière de faire ?
Je ne peux pas lire l’Ancien Testament sans savoir que c’est une dynamique qui pointe vers le Nouveau. Bien sûr, l’Ancien Testament a une grande valeur en lui-même… La vie des patriarches, les messages des prophètes, les Psaumes, etc., sont riches d’enseignements pour nous apprendre à louer Dieu ou dans le domaine de l’éthique sociale par exemple. Mais il faut constamment contrôler notre interprétation à partir du Nouveau Testament. Jésus a dit lui-même : « Vous sondez les Ecritures parce que vous pensez avoir en elle la vie éternelle, elles rendent témoignage de moi » (Jn 5,39). L’apôtre Paul le dit assez clairement aux Galates et aux Romains : le salut par la grâce sans les œuvres de la loi n’est pas une nouveauté : le fondement même de l’Ancien Testament, c’est l’alliance avec Abraham qui découle de la grâce de Dieu et non pas de la loi puisqu’elle est venue 430 ans plus tard et n’a jamais été le moyen du salut. Elle est un don à ceux que Dieu a déjà sauvés de l’esclavage pour les aider à vivre dans l’alliance (Ga 3, 15-18).
Aujourd’hui, le piège dans lequel tombe une lecture littéraliste de l’Ancien Testament, c’est de considérer que la charpente de l’histoire du salut est Israël et que l’Eglise est une sorte de parenthèse, un post-scriptum ou une ouverture provisoire sur les nations. Paul dit exactement l’inverse : c’est la loi qui est un post-scriptum, donnée à un peuple déjà allié à Dieu. Il est vrai qu’au fil des siècles, et particulièrement dans le judaïsme du temps de Jésus, on avait inversé la problématique, en faisant de la loi le moyen du salut, d’où le conflit avec les docteurs de la loi. Toutes les démarches légalistes, qui sont une manière faussée d’approcher l’Ancien Testament, tombent dans le même travers. Il y a une cohérence de la Bible dans son ensemble, et cette cohérence, c’est l’histoire du salut qui s’enracine dans la Genèse et se trouve accomplie en Christ pour tout homme, descendant ou non d’Abraham selon la chair : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec… » (Ga 3.28).
Après avoir entendu un récit violent de l’Ancien Testament, un enfant a lâché une fois : « Mais Dieu n’était pas encore chrétien à ce moment-là ! » Comment réagissez-vous à une telle remarque ?
La question de la violence dans l’Ancien Testament est difficile, impossible de tenter une réponse en quelques mots – c’est pourquoi j’y ai consacré presque tout un chapitre de mon livre ! Disons ceci en bref : Tout n’a pas été révélé dans l’Ancien Testament, sinon, à quoi bon Jésus-Christ ? L’histoire du salut ne se déroule pas dans un ciel d’azur, mais sur une terre profondément ravagée par le péché. Il y a des pages de l’Ancien Testament qui décrivent des étapes nécessaires d’un cheminement long et douloureux. Dieu travaille avec la pâte humaine telle qu’elle est, et cette pâte est terriblement rebelle. Dieu ne fait pas comme si tout allait bien. Il part de ce qui est, pour appeler et conduire pas après pas sa créature qu’il aime et veut sauver, vers une lumière beaucoup plus grande donnée par son Fils. Mais tout l’Ancien Testament est traversé par l’annonce de sa venue qui ouvrira la porte du Royaume de Dieu. C’est pourquoi la dominante de l’Ancien Testament n’est pas la colère ou le châtiment, mais la patience, le pardon, l’appel sans cesse renouvelé, et pour le croyant, l’expérience vécue de son immense bonté (voyez le Psaume 23 !).
Propos recueillis par Serge Carrel
Jacques Blandenier, Pour une lecture de l’Ancien Testament à la lumière de l’Evangile
, Excelsis & Je Sème, Charols et St-Prex, 2011, 288 p. Prix : 24 fr + frais de port. Il est possible de commander ce livre à la librairie l'Eau Vive à Genève : eauvive@sunrise.ch.