« On partage de la vie ». Par ces quelques mots, l’Erythréen Samuel Tesfay, responsable d’une Eglise éthiopienne de type pentecôtiste à Lausanne résume ce qui réunit les divers membres des plus de 300 Eglises de migrants qui se sont ouvertes en Suisse ces dernières années. « De la vie », c’est-à-dire bien sûr le message biblique, mais aussi la langue et la culture d’origine qui sont toutes les deux présentes au fil des célébrations, que ce soit par le son d’un tam-tam, par la danse ; ou encore par les moments pris au début comme à la fin des célébrations pour se parler... Et « le partage », cela comprend toutes ces informations utiles qui tissent le quotidien, que ce soit en matière d’appartements à louer, ou à propos d’une place de travail qui se libère.
« On vient vers 13h le dimanche après-midi, explique Samuel Tesfay. Dès 14h, on prie, on loue, et puis c’est vers 15h qu’on ouvre la Parole de Dieu. A 17h30, on doit laisser les locaux à d’autres. » Malgré cette large plage horaire, ce cuisinier dans la vie civile et responsable d’une communauté de 30 personnes, regrette « le manque de temps pour parler ». Une étude biblique le vendredi de 17h30 à 20h et un samedi par mois de 10h à 15h « pour la prière » viennent partiellement combler le manque évoqué. « Nous avons besoin de temps pour mûrir, pour grandir, pour évoluer ensemble », explicite-t-il.
Des lieux de contactEn provenance d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, les membres de ces nouvelles Eglises sont estimés à plusieurs milliers. Moyenne d’âge : 30 ans. La Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) s’y intéresse et vient de publier un rapport sur ce mouvement qui l’interroge et avec lequel elle souhaite tisser des liens (1). « Ces Eglises ne sont pas seulement des communautés religieuses mais encore des lieux de contacts et d’échanges en réseaux, reconnaît-elle. Elles remplissent une fonction importante comme institution créatrice d’identité pour leurs fidèles, qui peuvent y vivre selon les habitudes et coutumes de leur pays d’origine ou échanger avec des personnes qui connaissent une situation semblable à la leur. »
En même temps, la FEPS appelle de ses vœux des échanges entre les Eglises suisses et ces nouvelles communautés. Une façon de régénérer les rangs des Eglises vieillissantes et de proposer une meilleure intégration des populations migrantes. Ce qui s’effectue timidement. A Lausanne, l’Eglise évangélique de Villard (FREE) accueille deux communautés de migrants dans ses locaux. La communauté éthiopienne de Samuel Tesfay, et une communauté tamoule le samedi en fin d’après-midi (voir encadré). Le responsable de cette dernière, Kanthia Mahenthiran, explique qu’ils ont débuté à 4 ou 5 il y a 8 ans, pour se retrouver aujourd’hui à quelque 30 personnes membres de cette Eglise lausannoise du mouvement
Christian Fellowship International. Le pasteur de cette dénomination vient tout exprès de Zurich une fois par mois.
La langue: une barrière de taille« Notre ministère a été fondé en 1992. Notre but est d’annoncer l’Evangile aux réfugiés tamouls qui ont quitté le Sri Lanka pour demander l’asile en Suisse », peut-on lire sur
leur site (2). Les services se déroulent bien sûr en langue tamoule, mais la jeune génération garantit la traduction pour les invités occasionnels... « Nous vivons parfois des cultes communs avec eux », indique le pasteur Marc Gallay de l’Eglise de Villard. Les enfants de cette communauté suivent le culte de l’enfance chez nous, voire ensuite le groupe de jeunes », se réjouit-il. En ajoutant que la langue reste une barrière de taille pour le partage avec les adultes.
Plus de 40 différentes langues parlées sont d’ailleurs répertoriées à propos des Eglises de migrants sur le site de la mission
MEOS. Une mission qui veut notamment leur faciliter l’accès aux événements chrétiens et favoriser les rencontres dans leur langue maternelle... « Pourtant, même si on ne se comprend pas toujours très bien, on est tous membres du même corps en tant que chrétiens ; et le partage est très riche », estime Anne-Marie Grand d’Hauteville Ortiz, 38 ans, maman de 3 enfants à la Tour-de-Peilz. Mariée à un Equatorien, elle a connu des Eglises sud-américaines dès sa conversion. « Ce sont les premières Eglises où j’ai été accueillie, intégrée et baptisée », témoigne-t-elle.
La jeune femme se rend en famille dans une Eglise des Assemblées de Dieu à Villeneuve, qu’elle qualifie de multiethnique. « On y chante en français, en espagnol, en anglais, cela dépend. Si quelqu’un ne comprend pas, on s’arrange pour s’asseoir à ses côtés et lui traduire l’essentiel de ce qui est dit ou chanté. J’apprécie ce mélange et je le vis comme une source de bénédictions pour chacun. » Un mélange réussi dans le cas précis... et que prône d’ailleurs la FEPS par la voix de son président Thomas Wipf, pour qui les migrants apportent une force et une pluralité enrichissantes. « Cette force, nous devons la faire valoir dans la société et dans l’Eglise », affirme-t-il.
Gabrielle DesarzensNotes
1)
Voir la présentation de ce document sur lafree.ch . L’étude complète de la FEPS, 127 pages, est téléchargeable gratuitement sur
www.feps.ch/shop.