Les Eglises de migrants foisonnent

mardi 18 mai 2010
« Dis-moi quelle Eglise tu fréquentes et je te dirai qui tu es... » La famille chrétienne est multiple et ses cultes le sont tout autant. Les membres des nouvelles communautés africaines, asiatiques ou sud-américaines vivent une réalité d’Eglise qui leur ressemble. Coups de projecteur.
« On partage de la vie ». Par ces quelques mots, l’Erythréen Samuel Tesfay, responsable d’une Eglise éthiopienne de type pentecôtiste à Lausanne résume ce qui réunit les divers membres des plus de 300 Eglises de migrants qui se sont ouvertes en Suisse ces dernières années. « De la vie », c’est-à-dire bien sûr le message biblique, mais aussi la langue et la culture d’origine qui sont toutes les deux présentes au fil des célébrations, que ce soit par le son d’un tam-tam, par la danse ; ou encore par les moments pris au début comme à la fin des célébrations pour se parler... Et « le partage », cela comprend toutes ces informations utiles qui tissent le quotidien, que ce soit en matière d’appartements à louer, ou à propos d’une place de travail qui se libère.
« On vient vers 13h le dimanche après-midi, explique Samuel Tesfay. Dès 14h, on prie, on loue, et puis c’est vers 15h qu’on ouvre la Parole de Dieu. A 17h30, on doit laisser les locaux à d’autres. » Malgré cette large plage horaire, ce cuisinier dans la vie civile et responsable d’une communauté de 30 personnes, regrette « le manque de temps pour parler ». Une étude biblique le vendredi de 17h30 à 20h et un samedi par mois de 10h à 15h « pour la prière » viennent partiellement combler le manque évoqué. « Nous avons besoin de temps pour mûrir, pour grandir, pour évoluer ensemble », explicite-t-il.

Des lieux de contact
En provenance d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, les membres de ces nouvelles Eglises sont estimés à plusieurs milliers. Moyenne d’âge : 30 ans. La Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) s’y intéresse et vient de publier un rapport sur ce mouvement qui l’interroge et avec lequel elle souhaite tisser des liens (1). « Ces Eglises ne sont pas seulement des communautés religieuses mais encore des lieux de contacts et d’échanges en réseaux, reconnaît-elle. Elles remplissent une fonction importante comme institution créatrice d’identité pour leurs fidèles, qui peuvent y vivre selon les habitudes et coutumes de leur pays d’origine ou échanger avec des personnes qui connaissent une situation semblable à la leur. »
En même temps, la FEPS appelle de ses vœux des échanges entre les Eglises suisses et ces nouvelles communautés. Une façon de régénérer les rangs des Eglises vieillissantes et de proposer une meilleure intégration des populations migrantes. Ce qui s’effectue timidement. A Lausanne, l’Eglise évangélique de Villard (FREE) accueille deux communautés de migrants dans ses locaux. La communauté éthiopienne de Samuel Tesfay, et une communauté tamoule le samedi en fin d’après-midi (voir encadré). Le responsable de cette dernière, Kanthia Mahenthiran, explique qu’ils ont débuté à 4 ou 5 il y a 8 ans, pour se retrouver aujourd’hui à quelque 30 personnes membres de cette Eglise lausannoise du mouvement Christian Fellowship International. Le pasteur de cette dénomination vient tout exprès de Zurich une fois par mois.

La langue: une barrière de taille
« Notre ministère a été fondé en 1992. Notre but est d’annoncer l’Evangile aux réfugiés tamouls qui ont quitté le Sri Lanka pour demander l’asile en Suisse », peut-on lire sur leur site (2). Les services se déroulent bien sûr en langue tamoule, mais la jeune génération garantit la traduction pour les invités occasionnels... « Nous vivons parfois des cultes communs avec eux », indique le pasteur Marc Gallay de l’Eglise de Villard. Les enfants de cette communauté suivent le culte de l’enfance chez nous, voire ensuite le groupe de jeunes », se réjouit-il. En ajoutant que la langue reste une barrière de taille pour le partage avec les adultes.
Plus de 40 différentes langues parlées sont d’ailleurs répertoriées à propos des Eglises de migrants sur le site de la mission MEOS. Une mission qui veut notamment leur faciliter l’accès aux événements chrétiens et favoriser les rencontres dans leur langue maternelle... « Pourtant, même si on ne se comprend pas toujours très bien, on est tous membres du même corps en tant que chrétiens ; et le partage est très riche », estime Anne-Marie Grand d’Hauteville Ortiz, 38 ans, maman de 3 enfants à la Tour-de-Peilz. Mariée à un Equatorien, elle a connu des Eglises sud-américaines dès sa conversion. « Ce sont les premières Eglises où j’ai été accueillie, intégrée et baptisée », témoigne-t-elle.
La jeune femme se rend en famille dans une Eglise des Assemblées de Dieu à Villeneuve, qu’elle qualifie de multiethnique. « On y chante en français, en espagnol, en anglais, cela dépend. Si quelqu’un ne comprend pas, on s’arrange pour s’asseoir à ses côtés et lui traduire l’essentiel de ce qui est dit ou chanté. J’apprécie ce mélange et je le vis comme une source de bénédictions pour chacun. » Un mélange réussi dans le cas précis... et que prône d’ailleurs la FEPS par la voix de son président Thomas Wipf, pour qui les migrants apportent une force et une pluralité enrichissantes. « Cette force, nous devons la faire valoir dans la société et dans l’Eglise », affirme-t-il.
Gabrielle Desarzens

Notes
1) Voir la présentation de ce document sur lafree.ch . L’étude complète de la FEPS, 127 pages, est téléchargeable gratuitement sur www.feps.ch/shop.
  • Encadré 1: Un seul chemin
    17h45 dans le sous-sol de l’église de Villard à Lausanne un samedi : la famille Mahentiran a installé la salle, disposé les chaises en rang face à une table étroite où se tiendront tout à l’heure le chantre, puis le pasteur. Des bougies sont allumées. Les premiers participants arrivent, comme Bamini, 29 ans, une nièce du responsable. Arrivée en Suisse il y a 11 ans, née dans la religion hindoue, elle est aujourd’hui secrétaire au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et mariée à un homme qui s’est converti à l’Evangile il y a 15 ans, explique-t-elle. « Je fréquente cette Eglise depuis 2 ans et j’y viens presque tous les samedis. Je ne suis pas encore convertie au christianisme. J’y pense, mais j’ai encore des conflits avec Dieu. Ce qui m’attire ici, c’est la chaleur des gens. Chez les hindous, on est vite jugé, il y a des choses très fortes au niveau de la culture. Dans cette Eglise chrétienne, ce n’est pas le cas. On peut être pardonné et renaître ! Et c’est comme une famille : les chrétiens sont toujours là si j’ai besoin d’eux. » Bamini est revêtue d’habits traditionnels. « Ce n’est pas toujours le cas, mais aujourd’hui, le pasteur vient de Zurich... »
    Impeccable dans son complet-cravate, Anton Joseph passe la porte et salue avec effusion les paroissiens. Agé de 50 ans, cet homme est arrivé en Suisse en 1985. « J’ai accepté le Seigneur 2 ans plus tard au contact d’un compatriote, indique-t-il à la seule Blanche du groupe. Et Dieu m’a parlé. Au travers des versets de Marc 16, il m’a demandé de proclamer l’Evangile et m’a promis d’écarter les pierres de mon chemin. » Avec l’aide de la mission MEOS, Anton a alors créé la Tamil Christian Fellowship – devenue Christian Fellowship International – « parce que plusieurs Cinghalais se réunissent désormais avec nous ». Le mouvement a donné naissance à 5 Eglises en Suisse... 5 au Sri Lanka et 3 en Inde !
    « Nous sommes de 30 à 35'000 Tamouls en Suisse et nos Eglises comptent quelque 200 membres en tout : la moisson est grande », s’exclame-t-il. Tout en ajoutant vouloir leur enseigner que Jésus est le seul chemin... Qu’il ne faut pas adorer des idoles – « C’est le premier commandement ! » Que c’est une bataille... Que Jésus seul est la vérité.
    Quant au rapprochement avec les Eglises suisses, Anton Joseph pense qu’il s’agit d’une question de temps... et de langue : « Nous sommes la première génération. Plusieurs d’entre nous ont de la peine à comprendre et à s’exprimer dans une langue nationale. Mais nos enfants fraient avec les jeunes chrétiens de leur âge dans les Eglises où nous nous réunissons, et les liens et partages réciproques vont croissant. C’est une bonne chose. »
    Le pasteur rejoint ses paroissiens dans la louange qui a débuté et qui est dirigée par un chantre au micro. Une batterie électronique rythme les différents chants entonnés et repris avec ferveur par les personnes présentes qui tapent des mains.
    G.D.
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