Non, vous ne trouverez pas le mot « missionnel » dans votre Petit Robert, pas plus que le terme original anglais « missional » ne se trouve dans l’Oxford Dictionary. Mais on ne peut pas parler d’Eglise émergente sans parler de « missional church ».
Pourquoi ce nouveau terme ? Pourquoi ne pas utiliser « missionary »/« missionnaire » qui existe déjà ? Justement parce que les termes existants ont déjà acquis certaines connotations. Ils ont une certaine saveur, évoquent une certaine image, qui empêcheraient ou tordraient le message à passer. Merci de m’accorder votre indulgence par rapport au terme « missionnel » que j’ai lancé lors d’un débat Skype en mars dernier, organisé par le site lafree.ch. Il faut poursuivre la discussion entre francophones pour décider s’il faut garder ce terme ou en utiliser un autre. Ces prochaines semaines, je vous offre donc un peu de chair à mettre autour de ce squelette, pour stimuler notre réflexion.
Les boeufs avant la charrette !
Il est important de poser un fondement historique avant de parler contenu pour comprendre le « pourquoi » de ce mouvement des Eglises émergentes qui est en train de devenir mondial. On pourrait vite réagir au nom en disant : « Pour qui se prennent-ils ? » Mais ce serait mal comprendre ce qui se passe. Les Eglises émergentes ou missionnelles ont pris forme dans plusieurs endroits du monde à la fois. Des chrétiens étaient interpellés par le fait suivant : si certaines Eglises grandissent, parfois beaucoup, c’est surtout dû à un déplacement de chrétiens, et non à l’arrivée de nouvelles personnes qui viendraient du dehors de l’Eglise. Ces observateurs se sont rendu compte que les Eglises en Occident, toutes dénominations confondues, y compris les leurs, ne savaient plus comment communiquer avec la culture environnante dite « postmoderne ». Nos Eglises ont perdu leur capacité à exprimer un propos pertinent aujourd’hui, elles ont perdu leur voix et leur vocation.
Ces observateurs ont compris que l’Eglise a besoin d’une approche semblable à celle qui caractérise certaines missions transculturelles : une approche qu’on pourrait qualifier de « nous venons vers vous » plutôt que « venez vers nous ». On s’installe chez un peuple pour le connaître de l’intérieur, pour participer à sa vie, pour pouvoir ensuite annoncer Jésus Christ avec compassion et pertinence. Nous devons faire en fait comme Dieu a fait pour nous, au travers de la personne de Jésus de Nazareth. L’Eglise tout entière en Occident doit retrouver son élan missionnaire pour le monde qui l’entoure et ne pas reléguer la réalité missionnaire à quelques appelés pour les terres lointaines.
Il y a un mois, lors d’une rencontre que j’animais dans un Groupe biblique des écoles à Bienne, nous avons réfléchi au mandat que Jésus a donné aux disciples, juste avant son ascension : « Et vous serez mes témoins à Jérusalem, en Judée, en Samarie, et jusqu’aux bouts de la terre » (Actes 1,8). Nous avons constaté que l’ecclésiologie de Jésus est caractérisée par ce mandat de témoins sous forme d’un seul continuum, partant de chez soi et finissant aux bouts de la terre. L’Eglise est missionnelle partout !
La question se pose : sommes-nous d’accord avec l’affirmation que l’Eglise en Occident a beaucoup de peine à accomplir sa mission de témoigner du Christ à ses contemporains ? Cela nous préoccupe-t-il ? Si nous répondons par l’affirmative, nous pourrons énormément profiter de ce que l’Eglise émergente a à nous dire.
Brian McLaren (1) est l’un des précurseurs et actuellement l’un des « penseurs » du mouvement des Eglises émergentes. Avec les anciens de son Eglise, il a un jour décidé de « fermer les portes » de sa communauté, au sens propre comme au sens figuré. Pendant 10 mois, ils ont fermé les portes de leurs bâtiments et « fait retraite » pour que tous puissent changer complètement d’orientation et d’attitude par rapport à la manière d’« être l’Eglise » et de « faire l’Eglise ». Pendant ces 10 mois, ils ont formé les membres de leur communauté, entre autres, à ouvrir leurs maisons aux « pas encore chrétiens » et à nouer des amitiés avec eux. Ils ont aussi totalement revu leurs rencontres. Ensuite ils ont redémarré dans un lieu différent et sous un nouveau nom pour refléter leur nouvelle orientation. Cela date de la fin des années 80. Et ce même genre de mise en question s’est produit dans plusieurs endroits du monde, plus ou moins en même temps. Des chrétiens se sont levés pour sauter dans la brèche, quittant l’église qu’ils connaissaient pour aller vers l’église « de l’autre côté » (2), tout en sachant que ce serait une aventure ardue et souvent désordonnée.
Et la charrette…
Les chrétiens émergents sont des passionnés de Jésus Christ et du message de l’Evangile. Dans le même temps, ils sont passionnés par une communication pertinente et reformulée de l’Evangile. Ils sont enthousiasmés par la conviction que le Dieu de la Bible a quelque chose de pertinent à dire aux gens d’aujourd’hui. L’Eglise missionnelle n’est pas une nouvelle dénomination. C’est un mouvement transdénominationnel lié par le contact du web. Au lieu d’être sur la défensive, elle joue l’offensive. Elle ne se préoccupe pas beaucoup d’ailleurs de liste de membres et de statuts d’Eglise. Elle ne se voit pas non plus comme concurrente des Eglises existantes, mais veut que tous les chrétiens travaillent ensemble, comme de vrais amis, de vrais frères et soeurs. Au lieu des « oui mais » (ce qui veut dire « non ») de nos querelles doctrinales, ils disent « et si…».
Les Eglises émergentes s’incarnent dans des formes extrêmement variées : dans des bars/cafés, dans des maisons, dans des lieux commerciaux de services, des cryptes de vieux bâtiments d’églises (leurs membres sont très sensibles à l’art et à la beauté). Elles peuvent constituer de petites communautés comme de grandes. Elles sont parfois liées avec d’autres mouvements que Dieu est en train de susciter de par le monde, tels que « les Eglises de maison » (qui connaissent un grand essor en Inde) et DAWN (« Discipling a whole nation » – une association internationale lancée aux Philippines dans les années 70) qui sont eux aussi nés pour chercher des solutions à la marginalisation de l’Eglise.
Trois caractéristiques importantes
Les Eglises missionnelles ont trois caractéristiques principales que l’on peut exprimer ainsi :
- Elles procèdent par incarnation (anglais « incarnational ») et non par attraction (anglais « attractional »).
- Elles sont messianiques au lieu d’être dualistes.
- Elles sont apostoliques ou « plates », au lieu de verticales ou hiérarchiques.
Nous examinerons chacune de ces caractéristiques dans nos prochaines contributions.
Jane Maire
Pour lire la suite du propos de Jane Maire :
Notes :
1 Brian McLaren, Réinventer l’Eglise, Communiquer l’Evangile dans un monde postmoderne, Valence, Ligue pour la lecture de la Bible, 2006, 208 p.
2 Michael Frost, Alan Hirsch, The Shaping of Things to Come : Innovation and Mission for the 21st-Century, Peabody, Hendrickson Publishers, 2003, 256 p.