Que représente pour vous la publication de ce « Manuel des bonnes pratiques agroécologiques » ?
La sortie de ce manuel crédibilise davantage le Secaar par rapport au travail effectué sur le terrain. Par le passé, nous avons accompli beaucoup de choses dans le domaine du conseil agricole, sans trop laisser de traces. Consigner nos expériences dans un écrit, c’est accroître notre capacité de partage avec les organisations et les producteurs qui s’impliquent dans l'agroécologie.
A quel public est destiné à un tel manuel ?
Ce manuel est destiné aux responsables d'organisations qui accompagnent les paysans. Il est aussi destiné aux producteurs eux-mêmes sur le terrain, parce qu'on y trouve de nombreuses propositions pratiques.
En travaillant avec les agriculteurs, nous avons constaté que leur production diminuait, malgré l’utilisation d’intrants chimiques (engrais et pesticides), qui, économiquement, leur sont de moins en moins accessibles. Il nous fallait réfléchir à des alternatives qui leur permettent d'avoir le même niveau de rendement, donc le même niveau de revenus.
L'agroécologie vous est apparue comme le moyen de rendre l'agriculture aux paysans…
Oui ! L’agroécologie apparaît comme la seule alternative qui permette à ces paysans de régler leurs problèmes de rentabilité et de durabilité. Nous avons commencé à identifier des pratiques que l'on pouvait améliorer ensemble pour leur permettre d'avoir un niveau de rendement et un niveau de revenus acceptables.
Lorsqu’on parle d'agroécologie, qu'est-ce que cela veut dire pour vous ici au Togo ?
Au Secaar, nous comprenons l’agroécologie comme une manière de produire de la nourriture dans un environnement équilibré. L’agroécologie n'est pas qu’un ensemble de pratiques agricoles comme le couvert végétal, l’association et la rotation des cultures, l'utilisation d'engrais organiques, les biopesticides, la technique du zaï… mais cela touche également un volet social avec la question du plaidoyer et un volet économique avec la vente directe et les circuits courts.
Qu’apporte l'agroécologie à une famille d'agriculteurs de votre région ?
Notre expérience montre qu’avec l’agroécologie les familles d’agriculteurs que nous conseillons réussissent à améliorer leur niveau de vie. Les producteurs qui produisaient moins d'une tonne de maïs ou de céréales par hectare et par année, arrivent maintenant à trois tonnes ou à trois tonnes et demie par an, sur une période de trois à cinq ans.
L'autre élément qui n'est pas directement mesurable, c'est la préservation des sols. Avec l’agroécologie, au lieu de laisser les sols se dégrader, nous parvenons à les restaurer, eux qui n’étaient pratiquement plus cultivables. Après 5 ans de travail, certains paysans ont produit des récoltes incroyables avec des superficies sur lesquelles ils n'arrivaient plus à avoir de récolte du tout.
Avec l’accompagnement proposé par le Secaar, vous avez restauré la vie biologique des sols, en multipliant les vers de terre, les collemboles et tous les microorganismes qui y vivent…
Oui. Au niveau des formations que nous proposons, nous mettons beaucoup l'accent sur la restauration des sols à partir de ces éléments de microbiologie. Toutes les pratiques combinées ont pour objectif d'amener les producteurs et les productrices à enrichir la vie organique du sol et sa fertilité.
Ce livre est sorti il y a 3 mois, qu'espérez-vous générer, sur la durée, au travers d'une telle publication ?
Notre espoir, c'est de voir davantage de « conversions » à l’agroécologie parmi les agriculteurs. Une fois que nos paysans disposeront d’alternatives crédibles, ils pourront facilement délaisser l'utilisation des intrants chimiques et des pesticides qui appauvrissent les sols.
Y a-t-il une dimension chrétienne à ce livre ?
Pour nous, l’agroécologie n'est pas seulement une technique de culture. Cela nous permet de nous réconcilier avec la terre. Le Togolais moyen qui pratique l’agriculture conventionnelle se trouve dans un rapport de domination des ressources naturelles et environnementales, alors que Dieu nous invite à entrer dans un rapport de coopération avec tous ces éléments qu'il a mis à notre disposition. Il faut aider les paysans à développer une nouvelle relation avec la terre et une réconciliation avec toute la création. Nous sommes appelés à être des jardiniers dans le grand jardin où Dieu nous a placés.
Propos recueillis par Kossi Delphin Gake et Serge Carrel
Le « Manuel des bonnes pratiques agroécologiques » à feuilleter sur Issuu