Le 5 avril, le pasteur Jean-Claude Chabloz est décédé à l’âge de presque 78 ans. Pendant une trentaine d’années pasteur dans les Eglises évangéliques apostoliques de Suisse romande, cet employé de banque de formation a, par sa prédication, rayonné bien au-delà de sa fédération d’Eglises. Formé au Collège biblique apostolique de Kolding au Danemark, Jean-Claude Chabloz a été président de la Fédération romande d’Eglises et oeuvres évangéliques (FREOE) (1990-2006), premier président du Réseau évangélique suisse (2006-2007). A l’approche de la soixantaine, il a exercé un ministère d’« intercesseur » au Palais fédéral à Berne de 1999 à 2013.
Des livres publiés sur le tard
Grâce à la complicité du journaliste Joël Reymond, Jean-Claude Chabloz a pu donner à plusieurs reprises au grand public un contour plus explicite à ce qui l’habitait. Par rapport à la question de la prière avec les malades (1) et par rapport à sa vision du politique, suite à son parcours d’aumônier-intercesseur au Palais fédéral à Berne auprès des parlementaires, mais aussi auprès du personnel employé pour faire vivre un lieu de décision clé pour la Suisse (2). Ces deux livres ont fait la joie des journalistes puisqu’ils ont permis une cristallisation de la pensée de Jean-Claude Chabloz, alors qu’il avait 71 et 74 ans au moment de leur publication, et qu’il était libéré de toute pression ecclésiale ou financière.
« J’ai eu une poussée d’honnêteté avec ce livre ! » (3)
En 2013, à l’occasion de la publication de son livre « Pour aider les malades et ceux qui prient avec eux » et de son interview dans le cadre de l’émission TV Ciel ! Mon info diffusée sur Maxtv/Theotv, Jean-Claude Chabloz parle vrai. Il lâche un pourcentage qui a déplu à plusieurs personnes très actives dans la prière de guérison : « Au vu de certaines enquêtes que j’ai menées, on peut dire que 5 pour cent des gens pour lesquels nous prions sont guéris. » Ce pourcentage d’exaucements des prières en faveur de la guérison jette un éclairage mitigé sur une pratique qui apparaît à plusieurs comme la clé du Réveil. Au bénéfice d’une guérison de l’épilepsie à l’âge de 20 ans, Jean-Claude Chabloz ne tient pas à dévaloriser cette manière d’annoncer l’Evangile à nos contemporains. Il en montre juste les limites, lui qui comptait à cause de son diabète de type 2 parmi les « non-encore-guéris » et qui souligne qu’il a « vécu une vie où la santé était absente ». Il prend le contre-pied, toujours avec humour, d’une lecture pessimiste d’un tel pourcentage en relevant que le regard de chacun dépend du côté où on se place. « Si on compte soi-même parmi les 5 pour cent qui sont guéris, c’est magnifique ! »
Sa critique d’un manque de doigté dans la prise en charge des personnes pour lesquelles les évangéliques prient résonne juste. Il met en garde contre une certaine manière d’accompagner les souffrants et leur famille qui placent beaucoup d’espoir dans la prière pour les malades. « Nous, les ‘pas-encore-guéris’, lâche-t-il, nous ne sommes pas de la chair à guérir comme nous le donnent parfois à penser certains guérisseurs chrétiens qui n’ont pas d’approche globale de la personne. » Tout comme Jésus a manifesté beaucoup de doigté et de tendresse à l’endroit des souffrants, les priants pour les malades devraient faire de même. « Jésus a du tact. Il témoigne d’une tendresse extraordinaire… Une tendresse que ceux qui visitent et qui prient pour les malades devraient afficher dans leurs relations avec eux. »
Par rapport à certaines prises de position pentecôtistes ou charismatiques sur la guérison, le pasteur Chabloz redonne ses lettres de noblesse à la pratique de la prière pour les malades que tous les évangéliques considèrent comme importante. Le propos est équilibré. Plein d’espérance pour ceux que le Seigneur veut guérir et plein de tendresse pour ceux qui attendent la guérison.
De la conquête à « saluer, sourire et servir » (4)
Jean-Claude Chabloz s’est aussi révélé un homme en marche dans sa perception du monde politique. En 1999, il obtient une carte de lobbyiste pour un ministère qu’il inaugure : « intercesseur » au Palais fédéral. Comme il aime à le dire, aucune Eglise, ni aucune fédération ne l’envoie à Berne. La seule prière d’envoi dont il bénéficie, c’est celle d’une rencontre de jeunes qui a lieu sur La Côte vaudoise. Dans son livre « Que ton règne vienne. Des évangéliques tentés par le pouvoir absolu » (5), le sociologue Philippe Gonzalez fait de Jean-Claude Chabloz, à partir de divers enregistrements, le chantre d’une christianisation de la Suisse, le « prophète » d’une hégémonie évangélique désirée sur les autorités fédérales (6).
15 ans après, au moment où il publie son livre autobiographique « Un pasteur dans les coulisses du parlement », le pasteur Chabloz se montre très prudent. Il ne sait plus trop ce qu’est dans le détail une « politique chrétienne ». Il encourage les chrétiens à s’engager dans tous les partis politiques et à y œuvrer en tant qu’évangéliques. Il se méfie même des partis évangéliques, surtout quand « ils sont ‘carré’, peu souples dans les choses qu’ils affirment et trop traditionnels en tant qu’évangéliques ». Le pasteur pentecôtiste va jusqu’à rappeler que « quand il y a eu des gouvernements de sensibilité évangélique, ça a rarement réussi et ça a rarement été une bénédiction ! C’est tragique, mais osons le dire parce que c’est la réalité ! »
Sur ces deux sujets qui ont constitué des lieux de tensions et de vifs débats ces 20 dernières années dans le milieu évangélique romand, Jean-Claude Chabloz s’est révélé un homme en marche. Il n’est pas resté arcbouté sur les convictions, parfois très tranchées, de certains charismatiques. Il a su confronter ses idées à la réalité de la vie et à la réflexion théologique pour évoluer vers des perspectives plus nuancées et plus fructueuses pour l’ensemble des évangéliques, qu’ils soient conservateurs, charismatiques ou classiques.
Merci Jean-Claude !
Serge Carrel