La question de l’ouverture dominicale des commerces se pose régulièrement en Suisse. Le parlement fédéral étudie ces temps une proposition zurichoise pour permettre aux commerces d’ouvrir douze dimanches par an sans besoin d’autorisation particulière. Par ailleurs, cette année, un jugement en Allemagne imposait à des magasins automatisés de rester fermés le dimanche, malgré l’absence de personnel. Au premier abord, la décision peut faire sourire, comme si l’on protégeait les droits syndicaux des robots. Cela pose cependant la question d’un jour de repos, aussi pour les consommateurs.
Un marqueur du statut de liberté
L’idée d’un jour de repos hebdomadaire remonte aux dix commandements donnés par Dieu à Moïse après qu’il a libéré le peuple d’Israël de son esclavage en Égypte, selon le récit biblique. L’une des motivations pour ce jour nommé « sabbat » est justement pour eux de se souvenir que Dieu les a fait sortir de l’esclavage. Un esclave n’a pas de temps libre, on ne lui accorde que le repos qui lui permet de continuer à fonctionner, et surtout pas de temps pour penser. Les Israélites avaient été esclaves, ils ne l’étaient plus, et le jour de repos marquait leur nouveau statut de liberté.
L'origine du dimanche
À l’époque de Jésus, les autorités religieuses juives prônaient une approche très rigoriste du sabbat. Jésus a pour sa part apporté une attitude plus souple par rapport au jour de repos, enseignant qu’il est fait pour le bien de l’humanité et non pour être lui-même un asservissement, et qu’il est permis de faire du bien le jour du sabbat, typiquement en soignant les malades.
Historiquement, le sabbat juif correspond à notre samedi. Jésus-Christ ressuscita le premier jour de la semaine, manifestant la libération de l’esclavage du péché et de la peur de la mort. Le premier jour de la semaine sera désormais nommé le « jour du Seigneur », en latin « Dominicus Dies », qui deviendra « dimanche » en français. Notre « week-end » est ainsi issu du sabbat juif et du jour du Seigneur chrétien.
Pas esclaves de la machinerie économique
Revenons à aujourd’hui. Ne reste-t-il pas pertinent de garder du temps à part pour manifester que nous ne sommes pas esclaves de notre machinerie économique ? La question se pose bien sûr sur le plan du travail. Autant le travail est une bonne chose, autant il est possible de s’y investir trop, au risque d’y perdre sa vie – figurativement voire littéralement. Le corps et l’âme ont besoin de périodes plus paisibles, et l’on connaît le risque du burn-out. Avoir un jour de repos qui soit commun à tous autant que possible permet bien sûr les rencontres en église pour les quelques pratiquants qui subsistent, mais aussi les retrouvailles familiales et un rythme plus détendu pour la société en général.
Des consommateurs plutôt que des travailleurs?
Il nous faut aussi être conscient que de nos jours, l’économie a davantage besoin de nous en tant que consommateurs qu’en tant que travailleurs. Nous sommes sollicités pour faire tourner la machine économique en achetant et dépensant. Cela nous est présenté comme une liberté, mais l’économie a intérêt à ce que nous pensions sans cesse à des achats, plutôt que de prendre du temps de recul, de relation et de réflexion. Consacrer du temps aux achats le dimanche, que ce soit en ligne ou dans des magasins avec ou sans personnel, c’est perdre du temps de respiration mentale.
Une exeption dangereuse
Il faut aussi souligner que les exceptions mettent en danger la règle. Si certains magasins, robotisés ou non, ouvrent le dimanche, cela désavantage ceux qui restent fermés, au risque que tous ouvrent de plus en plus, qu’ils le veuillent ou non. Les syndicats font bien de rappeler les impacts d’une telle évolution sur les travailleurs, mais c’est aussi une question de modèle de société.
Voulons-nous d’un monde où tout fonctionne sans cesse, où le repos n’est garanti que par tournus ? Comment gardons-nous individuellement et collectivement du temps pour diminuer notre rythme ? Pour passer du temps entre amis, en couple, famille ou collectivité ? Quel temps nous reste-t-il pour penser aux questions essentielles ? Voulons-nous vraiment être des consommateurs à temps plein, ou est-ce le moule dans lequel d'autres veulent nous faire entrer?