L’attentat terroriste de Conflans-Sainte-Honorine a instantanément provoqué les deux réflexes habituels : côté gouvernement, on réaffirme la nécessité de continuer d’encourager l’esprit critique chez les élèves ; côté associations musulmanes, on déplore des actes antirépublicains qui défigurent l’islam véritable et on organise des rencontres à la mosquée pour honorer la mémoire de la victime. Mais une fois l’émotion passée, on peut s’attendre à de nouveaux attentats du même genre, parce que les conditions du conflit demeurent.
Préserver la liberté de penser
La pratique du blasphème n’est pas « chrétienne ». L’apôtre Paul s’est toujours gardé d’insulter divinités et religions païennes rencontrées sur son chemin (voir Actes 19.37). Mais tout comme Jésus, il a appelé ses auditeurs à la réflexion. Il n’a jamais demandé à quiconque de croire sans question ni objection. Il n’a jamais non plus considéré comme insultant pour Dieu de chercher des explications à des questions difficiles. Et il a permis à ceux qui ne voulaient pas de son enseignement de le quitter sans les menacer. On peut dire, sans céder aux modes du jour, que Paul, comme Jésus, était un modèle de tolérance.
La grande difficulté des musulmans vivant en Occident aujourd’hui, c’est de ne pas avoir de modèles comparables. Mahomet lui-même avait pour principe « d’appeler à l’islam » les non-musulmans et de leur promettre la guerre s’ils refusaient de se convertir. Et, aujourd’hui encore, tout propos concernant Mahomet ou l’islam qui n’est pas exactement conforme aux enseignements du Coran et de la tradition islamique est considéré comme « blasphème ».
Cette intolérance fondamentale rend impossible l’idée de faire société ensemble. D’ailleurs, le Coran dissuade les musulmans de vivre dans les pays « mécréants », parce que leur foi pourrait en être altérée. Pour justifier un tel séjour, les raisons de force majeure sont, en principe, les seules admises : par exemple, des raisons commerciales et celle d’y faire avancer la cause de l’islam. Ainsi, il est plutôt conseillé aux musulmans de vivre dans les pays de tradition musulmane, là où ils peuvent pratiquer leur foi comme un système intégrant tous les aspects de leur vie familiale, commerciale et politique.
Les musulmans installés en Occident doivent donc choisir, en conscience, d’aller s’établir dans un pays musulman ou, s’ils restent en Occident, de faire l’apprentissage d’une conception de l’homme et de la société différente de celle promue par l’islam. Cette conception est celle que résume la déclaration des Droits humains : liberté d’opinion et de religion pour chaque individu (dans le respect des lois du pays), liberté de changer de religion, etc.
Outre l’impératif de respecter la liberté de penser de chacun, il faut prendre en compte une deuxième question qui est moins souvent évoquée : celle de la réciprocité de traitement.
Pratiquer le respect réciproque
Les musulmans, par exemple, peuvent construire des lieux de culte en Occident mais, sauf situation exceptionnelle, refusent ce même droit aux non-musulmans établis dans leurs pays. Les hommes musulmans peuvent épouser des femmes non-musulmanes mais les non-musulmans ne peuvent épouser de femmes musulmanes sans se convertir.
La question du « blasphème » fait aussi partie de cette question de réciprocité. On l’a vu, tout ce qui ne correspond pas à l’enseignement coranique sur Mahomet, Allah ou le Coran est considéré comme blasphématoire. Mais en adoptant des critères identiques, les chrétiens pourraient leur reprocher de « blasphémer » à plusieurs titres : ils ne reconnaissent au Christ ni sa filiation divine, ni sa mort expiatoire, ni sa résurrection. Ils dénoncent la Bible comme porteuse d’une multitude de faux enseignements et affirment que le texte a été falsifié pour en faire disparaître les passages annonçant la venue de Mahomet. Les chrétiens pourraient aussi s’offenser d’être traités de « chiens de mécréants » et les Juifs de « porcs et de singes », parce qu’ils n’adhèrent pas aux enseignements de Mahomet.
Imaginons un instant ce que deviendraient nos sociétés si les chrétiens et les Juifs, que ces propos offensent, allaient tuer leurs offenseurs. Or, non seulement cela n’arrive pas, mais des lois antidiscriminatoires protègent les musulmans vivant en Occident.
Comme le dit Jésus, une ville ou une famille divisée contre elle-même ne peut subsister. Si les musulmans souhaitent vivre en Occident, il leur revient d’en accepter les règles. Ils ont la liberté d’en critiquer les institutions, mais doivent s’attendre aussi à la critique de leur critique. Recourir à la violence et à la barbarie pour faire taire cet esprit critique ne fait qu’exacerber la méfiance vis-à-vis des musulmans et rendre leur situation personnelle en Occident toujours plus difficile.