De nombreuses personnes aujourd’hui pensent que les récits de la naissance de Jésus tant chez Matthieu que chez Luc seraient des « midrash », des récits imaginaires que l’on trouve dans le judaïsme. Qu’en pensez-vous ?
Le mot « midrash » ne doit pas être pris comme un mot magique, par lequel on fait passer n’importe quoi. Je crains que parfois on en use de cette façon. Le mot vient de l’hébreu et de la racine « darash » qui signifie chercher, investiguer. Et c’est d’abord un mot pour caractériser l’étude. A partir de ce sens, comme souvent la linguistique l’observe, il y a un élargissement et un décalage. Le mot en est venu à désigner l’étude en général et le commentaire issu de l’étude. Dans le judaïsme se sont développés deux grands types de commentaires : le commentaire plus juridique qui cherche à déterminer avec une certaine rigueur la portée pour la conduite des textes en les comparant, en usant parfois d’arguments qui ne nous semblent pas très solides, par exemple la forme des lettres. D’autre part, il y a un midrash, que l’on a appelé haggadique, qui laisse le champ libre à l’imagination à des fins homilétiques ou d’exhortation…
Concrètement, ce seraient de petites histoires que l’on raconterait et qui viendraient appuyer la pertinence d’une vérité…
Un peu comme des histoires que nous racontons dans les fêtes de Noël. L’hypothèse de certains est que les récits que nous ont conservés Matthieu et Luc ressortiraient à cette catégorie.
Vous-même, vous inscrivez-vous en faux par rapport à cela ?
Entièrement. Il n’y a aucun indice sérieux qui permette de rattacher ces récits à ce genre du « midrash haggadique », qui est un midrash imaginatif et plutôt populaire. Luc, par exemple, nous avertit dans les premiers versets de son Evangile (1.1-4) de son intention d’être très rigoureux avec les témoignages, de les présenter avec ordre et de façon à ce que l’on puisse être tout à fait sûr des faits qu’ils rapportent. Donc ce serait à l’opposé de son intention qui mérite notre considération…
C’est comme si, immédiatement après avoir annoncé ses intentions d’exactitude, il faisait une sorte de développement sans réalité historique à l’appui…
Oui. En ce qui concerne Matthieu, c’est aussi comme des renseignements de type historique que son récit nous est présenté. L’élément le plus surprenant ne concerne pas le merveilleux, qui finalement est très restreint, mais plutôt l’usage, dans cet épisode de l’enfance de Jésus, de certains textes de l’Ancien Testament que Matthieu cite comme accomplis. C’est là ce qui nous surprend et ne correspond pas du tout à ce genre imaginatif du « midrash haggadique ».
Pour vous, comment faudrait-il qualifier le genre littéraire des récits de la naissance de Jésus ?
Aujourd’hui, il est assez remarquable que les récits évangéliques en général, ceux contenus dans les quatre évangiles canoniques, soient reconnus comme proches du genre biographique. Il fut un temps où cette opinion était fortement méprisée, mais aujourd’hui elle est commune parmi les spécialistes. Bien sûr, il s’agit d’une biographie à l’antique. Il n’y a pas un genre littéraire très stéréotypé ; une certaine liberté rédactionnelle existe, mais il s’agit tout de même foncièrement d’une biographie. A mon sens, Matthieu et Luc ont l’intention de faire connaître ce qui est significatif des circonstances de la venue au monde du Sauveur.
Aujourd’hui, beaucoup de gens sont surpris par le merveilleux véhiculé dans ces récits. Pour vous, tout ce qui se passe avec les anges et l’étoile, peut être historique ?
Dans une biographie à l’antique, il n’y a aucune exclusion a priori de ces éléments que l’on pourrait qualifier de surnaturels. De fait, il n’y a pas grand-chose si on élimine les apparitions d’anges. Si on refuse la possibilité que des anges existent et que Dieu puisse les envoyer et les faire apparaître, alors évidemment on a quelques difficultés… mais là on s’éloigne de toute la Bible. La vision du réel qu’enseigne la Bible n’exclut pas l’existence d’êtres surnaturels, qui ne relèvent pas de notre nature terrestre. En dehors de ces apparitions, qu’y a-t-il ? Il y a des songes, que Dieu utilise encore aujourd’hui comme des moyens de révélation. Ce n’est même pas surnaturel ! Si on ne tient pas compte des apparitions d’anges et que l’on dise que de telles manifestations sont tout à fait ordinaires dans la Bible, alors on n’a pas tellement de merveilleux qui intervienne dans ces récits de Matthieu et de Luc.
Propos recueillis par Serge Carrel