C'est très beau d'avoir des idées, encore faut-il pouvoir les faire passer de la toile ou du papier dans la réalité des gens! Qui sont ces communicateurs, ces diffuseurs de nouvelles idées, ces "maîtres-à-mettre-en-pratique" qui pourraient constituer les responsables des Eglises émergentes ? Qui vont être des sortes de "réformateurs", ces innovateurs et autres incubateurs des Eglises de demain ? Portrait-robot !
Profil d’entrepreneur
C'est un lieu commun de le dire, mais ce ne sont pas des conservateurs, ni des gens ancrés dans leur terroir qui pourront renouveler l'Eglise. En France, les "beurs", issus de l'immigration, ont plus fait évoluer les arts de la scène, de la musique, du cinéma, du multimédia que les natifs, descendants du Roi Soleil. Ils sont partis d'un contexte instable et difficile et ont dû sortir par le haut. Une civilisation comme celle de l'Europe du Nord a intérêt à entrer en compétition avec ces gens du Sud, porteur d'un nouveau dynamisme. Jusqu'à maintenant, pour faire grandir nos communautés, nous exigions avant tout de la part des leaders, une grande spiritualité. Pour l'aspect culturel, cela allait de soi! Aujourd'hui, cela ne suffit plus. Les hommes et les femmes du changement doivent être souples, curieux, entreprenants, culturellement branchés, tout en affichant une spiritualité colorée, très loin de l'ambiance "noir-blanc" du protestantisme.
Profil "technique"
Les «tuyaux» électroniques qui nous servent de liens privilégiés avec les autres, formatent nos comportements, notre langage, nos mentalités. On ne peut pas faire l'économie de ces techniques pour entrer dans les mentalités d’aujourd’hui et souvent le chercheur protestant se penche sur la question comme un ethnologue sur sa tribu, sans jamais s'y intégrer. On se forme l’œil à la photographie, en faisant soi-même de la photo et non parce qu'on comprend les conseils écrits par un Cartier-Bresson. Les outils électroniques forment notre regard, notre ouïe, notre manière de toucher et aucun leader ne peut se payer le luxe de passer à côté de ces instruments. Il faut donc comprendre de l'intérieur ce qui se passe autour de nous. Nos auditeurs ou spectateurs vont sentir si nous parlons «multimédia» ou pas. Mais parler cette langue ne veut pas forcément dire qu’il faut accompagner son message avec des images, des sons, etc. On peut tout à fait prêcher dans un style multimédia, sans utiliser du multimédia. Le Christ était le parfait prédicateur multimedia sans brancher de micros, ni de spots, sans pianoter sur son portable et sans Powerpoint. Il était "multimédia"! Il parlait en paraboles, racontait des histoires, touchait physiquement les gens et surtout il arrivait à faire des «shows» impressionnants avec quelques pains et quelques poissons! Nous avons assis nos auditeurs dans des écoles et on leur a demandé de croiser les bras. Ce temps est révolu et Jésus n’a pas rechigné à monter certains «shows» comme la multiplication des pains, même si le résultat était plutôt mitigé en terme d’engagement spirituel (voir le chapitre 6 de l’évangile de Jean). Un pasteur émergent doit donc être à l’aise avec son téléphone et tous les gadgets qui s’y trouvent. Il doit savoir «skyper», «chatter», connaître Youtube, Netvibes, Technorati, del.icio.us, etc. Il n’a pas besoin d’être accro, mais au moins d’être au courant de ces techniques, parce que la plupart du temps elles sont liées à des comportements sociaux qu’il doit connaître.
Profil social
A m’entendre, on pourrait dire que je ne vois le salut du pasteur que dans la maîtrise technique, pourtant l'outil le plus performant que Dieu nous ait donné, c'est notre corps et notre propre personne, sans artifices électroniques. J'ai parfois l'impression que nous, les responsables d'églises, nous sommes comme des amoureux qui voulons "conquérir le coeur" de nos contemporains, par images interposées. Un peu à la façon du prétendant qui envoie un clip vidéo à sa belle, au lieu de la visiter en chair et en os. Ce que la belle en question attend, c’est que vous lui «parliez» comme un clip vidéo. Voilà la différence. Il faut saisir la mentalité de la personne "convoitée", il faut être adapté à la vie dans la société. Nous devons absolument développer non pas seulement les techniques de communications, mais les personnes qui utilisent ces techniques. Nous devons investir dans l’engineering social adapté à la mentalité multimédia. D'autant plus, que dans quelques années, les gens seront tellement saturés des intermédiaires technologiques qui poussent au bout de nos oreilles, de nos bouches, de nos mains et de nos pieds qu'ils vont avoir du plaisir à connaître des personnes qui leur serrent la main au lieu de leur envoyer un SMS. Reste que ces personnes, ne reviendront pas au vieux style de communication froid et austère du protestant. Ils seront "multimédia", friands d'ambiance, aimant la chaleur humaine plus que les concepts abstraits. Avec le web 2.0, nous sommes déjà en route vers cet univers basé sur l’inter-réaction entre les gens.
C'est réjouissant de voir que les Eglises émergentes s'intéressent plus à la gente humaine, aux groupes et réseaux de personnes, qu'aux moyens techniques. Logiquement, on devrait investir massivement dans internet, dans la téléphonie, dans les télés et les radios pour atteindre le plus grand nombre. Plus on aura des croyants à l'aise dans leur culture, à l'aise avec le style et le langage de la communication actuelle et plus on sera performant pour diffuser l'Evangile. Le leader émergent sera un homme de cœur, de parole, ayant de grandes capacités sociales. Il sera un "acteur" dans le vrai sens du terme, qui saura exprimer ses sentiments au travers de ses yeux, de sa bouche, de ses mains, de tout son corps. Il ne se reposera pas sur un arsenal électronique pour percer. Que servirait-il à la télé de pouvoir utiliser tous les canaux multimédias disponibles, s'il n'y avait pas des PPDA, des Anne-Sophie Lapix, des Michel Drucker ou des Michel Denisot? N'importe quel message repose sur des personnes et non sur des machines. Ces personnes doivent avoir des charismes de communicateur et non pas simplement savoir parler dans un micro.
Sélection des responsables
Pour terminer, mettons-nous à la place d’une communauté qui devrait choisir un candidat pour un poste de pasteur en charge du développement d’une communauté émergente. Quels critères va-t-elle mettre en avant pour ce choix? Pour le sélectionner, nous allons vous fournir quelques idées ou quelques clés. Il est clair que notre approche est un brin caricaturale!
1. Si vos candidats, homme ou femme, se présentent en costume-cravate, chaussures noires ou en tailleur strict, essayez de savoir s’ils se sont habillés ainsi pour vous faire plaisir, ou bien s’ils ont l’habitude de porter ce genre de vêtements pour de grandes occasions ou pour aller au culte. Si c’est pour vous faire plaisir, sachant que vous êtes une Eglise bien établie, c’est très positif. Si les candidats osent venir en jeans, col ouvert, c’est un bon signe aussi: même les présentateurs de télé ne mettent plus de cravates!
2. Demandez-leur de vous dire combien de rendez-vous professionnels ils ont eu dans le premier mois de l’année. Si, pour vous donner la réponse, les personnes sortent un agenda électronique du style Palm ou autre Pocket PC ou encore un téléphone possédant une fonction «agenda», vous avez des chances d’avoir une personne intéressante.
3. Demandez-leur la définition d’un flux RSS, d’un podcast et du Web 2.0. S’ils ne connaissent pas ces fonctionnalités ou ces nouveaux concepts, c’est plutôt embarrassant pour un émergent!
4. Si vous êtes à Paris, essayez de savoir si votre candidat a visité le Palais de Tokyo! En Suisse : le Musée de l’art brut à Lausanne.
5. Emmenez-le dans un supermarché devant la boulangerie et demandez-lui de vous faire une prédication de 10 minutes sur la multiplication des pains:
a) Si le candidat achète du pain en vue de sa prestation, mais qu’il ne sait absolument pas comment l’utiliser au moment de l’achat, c’est un bon point pour lui. Il a au moins eu l’idée d’entrer dans le monde de l’image.
b) Si cette personne lit devant vous la prédication qu’elle a concoctée, c’est un mauvais point. Un communicateur, aujourd’hui, ne lit plus de texte en public.
6. Lorsque vous interviewez la personne, arrangez-vous pour qu’il y ait quelqu’un dans l’entourage qui ait son anniversaire. Faites-le savoir et observez la réaction du candidat. Un de mes amis, cadre commercial, s’est rendu compte, en visitant un de ses clients, que la réceptionniste à l’entrée de l’immeuble avait son anniversaire. Il est ressorti pour acheter un bouquet de fleurs pour la féliciter. Sans aller jusque-là, c’est en observant l’attitude de vos candidats pour les «petits» de ce monde, que vous saurez s’ils sont aptes à être des émergents sociaux! Il y a plus simple encore: emmenez votre candidat dans un bistrot, commandez à boire et observez comme il se comporte avec les serveurs!
7. Demandez au candidat-pasteur les personnes, à part le Christ, dont il s’inspire. Si ses modèles sont des théologiens, des penseurs, des philosophes, des écrivains, des professeurs, il est très peu "émergent". S’il vous parle d’entrepreneurs, de créateurs d’entreprise qui commencent leur business dans un garage, il est sur la bonne voie. Les modèles d’artistes, des figures sociales, des humanitaires, des journalistes ou des militants écologiques doivent également avoir la cote d’un postmoderne.
8. Faites-le parler sur sa relation à l’argent. Suggérez-lui de vous raconter sa dernière expérience dans ce domaine. Que veut dire pour lui "vivre par la foi"? Si son attitude vis-à-vis de l’argent ressemble à celle d’un businessman, c’est plutôt un mauvais point dans l’évaluation.
9. Donnez-lui la possibilité de vous montrer une sélection de photos de familles. Si vous êtes observateur, vous comprendrez pas mal de choses à partir d’une série de photos (type de relation, intensité, intérieur d’une maison qui vous renseignera sur les arrières-plans culturels, etc.). La manière dont on vous présentera les photos est également un indice pour comprendre, par exemple, les capacités d’organisation de vos candidats.
10. Enfin, prenez connaissance de sa formation théologique et de ses diplômes. Un passage en entreprise est un bon point.
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Nous pourrions mettre en avant bien d’autres critères, mais avec cet échantillon, nous voulions vous faire sentir que les choix devraient plutôt porter sur les aptitudes personnelles que sur les connaissances. Les connaissances, on peut les améliorer en travaillant, mais les talents et les aptitudes sont très souvent innés. Un candidat avec peu de connaissances, mais ayant une soif d’apprendre, va s’améliorer très rapidement, tandis qu’une personne n’ayant aucun sens social pourra investir tant qu’elle voudra dans des séminaires de formation. Elle ne progressera pas. D’où l’importance de choisir des candidats talentueux.
Henri Bacher
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