Réformés et évangéliques ne sont pas des cousins si lointains par Jacques Blandenier

vendredi 14 novembre 2008
Les réformés et les évangéliques ont tendance à revendiquer leurs différences plutôt que de se souvenir de leur origine commune. Et pourtant…
Jacques Blandenier, formateur d’adultes et pasteur retraité de la FREE, vient de publier cet article dans la « Vie protestante » de l’Eglise réformée de Genève (EPG).

Le monde évangélique est une vaste galaxie, difficile de réduire à un dénominateur commun. En se limitant au monde francophone, on peut distinguer trois courants principaux, avec toutes les variantes intermédiaires : un groupe fondamentaliste, conservateur et en sensible déclin numérique ; une mouvance pentecôtiste-charismatique, en croissance depuis quelques décennies ; un courant modéré, enraciné en Romandie depuis près de deux siècles, incarné par diverses Eglises évangéliques, mais également présent dans bon nombre de paroisses réformées.
Ces tendances ont toutes une origine, plus ou moins directe et plus ou moins reconnue, dans le protestantisme historique avec lequel elles partagent les articles de foi fondamentaux de la Réforme : la divinité du Christ et le salut par sa mort sur la Croix, l’autorité de la Bible, la justification par la foi, l’espérance du Royaume de Dieu, la relation personnelle du croyant avec Dieu sans l’intermédiaire d’un clergé...

Arbre généalogique des évangéliques
Du point de vue historique, les différentes Eglises évangéliques de Suisse romande trouvent leurs origines notamment dans le pentecôtisme. Ce mouvement est né en Amérique au début du XXe siècle. Il est redevable au réveil de Wesley, né au sein de l’anglicanisme – aujourd’hui encore, le pentecôtisme est plus perméable que d’autres à l’influence de l’évangélisme américain. Autre origine : le fondamentalisme qui se veut en général fidèle à la théologie de Calvin, mais qui est en rupture avec le protestantisme historique auquel il reproche d’avoir trahi son héritage. Les évangéliques modérés se réclament eux du réveil francophone du début du XIXe siècle. Ses promoteurs prônaient un retour à l’enseignement de Calvin. Mais leur calvinisme fut teinté dès l’origine par le piétisme de prédicateurs moraves, qui voulaient rendre sa vitalité au luthéranisme originel et valorisaient l’importance de la conversion personnelle.

Points communs
Par son héritage composite, le courant évangélique partage ses convictions les plus profondes avec les Eglises réformées historiques sans être un simple retour à l’orthodoxie protestante. Sur certains points, les différences s’atténuent. Ainsi, les paroisses, de plus en plus constituées par un noyau de fidèles, ressemblent plus qu’avant aux communautés évangéliques minoritaires ; la laïcité a conduit à la séparation de l’Eglise et de l’Etat – un point sur lequel les évangéliques ont insisté dès le début ; l’importance accrue du rôle des laïcs dans la vie paroissiale est aussi un point de convergence, les évangéliques ayant pratiqué le sacerdoce universel dans leur vie ecclésiale dès leur origine.

Désaccords
Dans d’autres domaines, les divergences subsistent. Les évangéliques sont souvent choqués par l’approche historico-critique du texte biblique pratiquée par les théologiens réformés et par le peu de crédibilité historique qu’ils lui accordent. Beaucoup restent réservés à l’égard de l’œcuménisme et face à une approche du dialogue interreligieux qui leur paraît relativiser les vérités évangéliques. La manière d’envisager l’évangélisation et la mission reste aussi sensiblement différente.

Paradoxes
Enfin, il y a des points où les différences ont un aspect paradoxal : plus conservateurs en théologie, les évangéliques sont plus novateurs que les réformés quant à la forme du culte et à l’hymnologie. Moins ouverts aux courants de la pensée contemporaine, ils empruntent à la technologie moderne des moyens de communication plus audacieux pour rejoindre leurs contemporains. Situés souvent (pas toujours…) plutôt à droite sur l’échiquier politique, leurs communautés rassemblent pourtant de nombreux fidèles issus des milieux populaires, plus difficilement rejoints par la prédication de haut niveau intellectuel des cultes réformés ; trop peu impliqués dans une action politique ouverte à l’égard des migrants, les évangéliques en accueillent pourtant beaucoup dans leurs communautés, où ces derniers retrouvent mieux le caractère spontané et affectif de leurs Eglises d’origine. Autant de domaines où nous aurions beaucoup à apprendre les uns des autres !
Une profonde parenté due à un commun enracinement dans la Réforme est un motif à rapprochement et à reconnaissance réciproque ; à une ouverture aussi pour de sincères collaborations sans crainte mutuelle. Quant aux différences qui demeurent, qu’elles deviennent des thèmes de dialogue et soient considérées non comme des fossés, mais comme des richesses complémentaires pour l’accomplissement de la mission de l’Eglise du Christ à Genève et au-delà.
Jacques Blandenier

Cet article est paru dans une version quelque peu écourtée dans le numéro de novembre de la Vie protestante de Genève.

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